Renault Sandouville : après Amazon, nouvelle défaite en justice pour le patronat

Par ordonnance de référé du 7 mai 2020, le tribunal du Havre a ordonné la fermeture de l'usine Renault de Sandouville tant que toutes les mesures n'auront pas été prises pour assurer la santé et la sécurité des travailleurs face au risque lié au Covid-19.

À l'origine de cette victoire, on trouve l'action du syndicat CGT de Renault Sandouville, qui a décidé de porter l'affaire devant la justice pour faire primer la santé des travailleurs sur la logique du profit. La pression pour la reprise était pourtant forte. La direction avait réussi à obtenir la signature de son protocole sanitaire par les syndicats CFDT, CFE-CGC et FO de l'entreprise en organisant des groupes de négociations ad-hoc.

Dans cette affaire, la CGT n'a pas laissé passer l'irrégularité de forme consistant à n'avoir pas convoqué les élus CGT en réunion de CSE et à n'avoir pas consulté le CSE en lui donnant tous les éléments utiles pour se prononcer. Mais au-delà des procédures et de la forme, certes importantes, le véritable sujet au cœur de la bagarre est le risque sanitaire.

Comme dans de nombreuses usines, et comme dans bien d'autres secteurs, il est impossible de reprendre le travail dans un atelier ou sur une ligne de production en respectant à 100% les mesures de protection tels que les gestes barrières et la distanciation.

Renault s'est contenté de prendre des mesures très générales, valables dans tout le groupe, sur les sens de circulation par exemple ou en procédant par simples rappels des gestes barrières mais sans évaluer de façon suffisamment spécifique le risque encouru à chaque poste par chaque travailleur.

De plus, sur une centaine de postes, qualifiés de « zone rouge » et pour lesquels la distance est inférieure à un mètre, au lieu de réfléchir à une autre organisation, la rentabilité et la cadence ont primé. Du coup, la direction a décidé de donner des masques FFP2 aux salariés. Certes, les FFP2 sont bien les masques les plus protecteurs contre le Covid-19 mais ils rendent la respiration difficile et il est recommandé de ne pas les porter plus d'une heure sans pause, avec, à chaque pause, un changement de masque obligatoire. Or, Renault avait prévu deux masques par jour, pas plus. On voit vite le problème : pour garantir des conditions de travail acceptables, il faudrait entre 7 et 8 masques par jour et par salarié. Sachant que ces masques devraient être réservés aux soignants qui, eux, n'en ont pas du tout... Mais comme dans d'autres multinationales, ce problème moral n'a pas eu pour conséquence de pousser la direction de l'usine à revoir son projet de réouverture.

Il est aussi reproché à Renault de ne pas avoir pris les mesures de décontamination suffisantes des surfaces que touchent les salariés. En la matière, la politique de la boîte est sans faux-semblants : zéro désinfection des carrosseries qui passent de main en main. Pourtant, même gantées, les mains sont un vecteur de transmission du virus, surtout quand il faut s'éponger la sueur au visage à cause d'un masque porté de longues heures.

Bref... la direction a choisi de ne pas trouver de solutions à tous ces problèmes et a forcé la reprise du travail en trouvant chez certains syndicats de complaisants alliés.

Une fois n'est pas coutume, la justice ne s'est pas laissé berner par les manœuvres patronales visant à faire croire que le « dialogue social » avait tout solutionné et que la reprise était viable. Renault a donc été condamnée à fermer son usine et à reprendre à zéro l'évaluation des risques pour mettre en œuvre « des actions de prévention ainsi que des méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs". 

Le tribunal oblige de plus Renault à dispenser à chacun des salariés une formation pratique et appropriée à la sécurité ; à soumettre les mesures décidées à l'avis du CSE ; à ne pas oublier la sécurité des salariés des sous-traitants en modifiant tous les plans de prévention et protocoles de sécurité afin d'y intégrer le risque Covid-19. Tout cela sous astreinte de 3 000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la date de signification.

Un encouragement

On est loin d'une simple victoire administrative comme ont commencé par le prétendre les médias pro-patronaux. On est loin également de l'« irresponsabilité » dénoncée par la CFDT et son secrétaire Laurent Berger qui a versé des larmes de crocodile sur le sort des intérimaires, privés de reprise et du salaire qui devait aller avec. Il ne lui semblait en revanche pas irresponsable de permettre la reprise sans que les salariés des sous-traitants ne soient considérés comme des travailleurs du site à part entière...

Si la pression est si forte sur la section CGT et les militants combatifs qui ont porté cette affaire en justice, c'est parce que l'enjeu est de taille. Il s'agit d'une sanction exemplaire contre une entreprise qui a voulu tenter l'enfumage de la reprise à tout prix, avec des mesures insuffisantes et en l'enrobant de « dialogue social ».

Cette décision doit être un encouragement pour toutes celles et ceux qui luttent dans leurs lieux de travail pour ne pas sacrifier leur santé et leur vie sur l'autel de la rentabilité et des profits. 

Elle doit nous rappeler qu'en période d'épidémie, le système capitaliste est plus que jamais destructeur. Personne ne devrait avoir à choisir entre son salaire et sa santé. Personne ne devrait avoir à accepter des concessions en matière de sécurité et de conditions de travail car le virus, lui, n'en fera aucune.

Alors, au lieu de rouvrir les usines de production automobile, pourquoi ne pas réorienter la production massivement, sous contrôle ouvrier, pour les besoins des hôpitaux et de la population ?

Au lieu d'augmenter le temps de travail et de voler des congés aux salariés, pourquoi ne pas baisser les cadences, revoir les conditions de travail, pour travailler à moins nombreux, moins longtemps, à des rythmes moins destructeurs et qui laissent la place au respect des gestes barrières et à la santé en général ?

Tant que ceux qui dirigent ne seront pas ceux qui ont intérêt à ce que ça fonctionne autrement, nos vies auront toujours moins de valeur que leurs profits. C'est pourquoi dès aujourd'hui, au deuxième jour de déconfinement, par toutes nos luttes, par l'utilisation de notre droit de retrait et par la grève, organisons-nous pour imposer notre logique, nos vies, pas leurs profits !

Camille Decaux