À l’appel des TUI, contre les licenciements et les suppressions d’emplois

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Les 8 et 29 novembre 2020, à l’appel des salariés des agences de voyage TUI, se sont tenues deux réunions nationales d’environ 60 travailleuses et travailleurs, qui représentaient les structures syndicales de divers secteurs et entreprises confrontés aux licenciements et aux suppressions d’emplois.

L’origine de l’appel des TUI

TUI se vante d’être le n°1 mondial du voyage avec des marques comme Nouvelles Frontières, Marmara ou encore Look Voyages. Sur son site web, l’entreprise ose encore revendiquer sa place de leader et ses 50 ans d’expérience. Comme l’ont rappelé les salariés et la CGT TUI dans leur appel du 15 octobre, ces 50 ans d’expérience n’ont pas appris à la direction à respecter les travailleurs. Le 17 juin 2020, le PDG de TUI France leur a annoncé par visio-conférence que 600 d’entre eux allaient être licenciés, soit les deux tiers des effectifs ! Confortablement installé dans le canapé de sa villa de luxe au Maroc, ce directeur décomplexé n’a pas hésité à apprendre froidement à 600 familles qu’elles allaient perdre leur seule source de revenus. Les salariés de TUI sont à 80 % des femmes, pour certaines présentes dans l’entreprise depuis 30 à 35 ans, qui n’ont connu que ce travail et qui sont souvent isolées.

Depuis, les TUI sont en bagarre, déterminés à ne pas se laisser faire. Ils dénoncent une direction qui a bénéficié de milliards d’euros d’argent public, en financements pour le chômage partiel, en crédit d’impôts avec le CICE, en allègements multiples et variés de cotisations sociales. Avec tout cet argent, pas un seul licenciement ne devrait être permis. Et pourtant, TUI, avant d’être un spécialiste du voyage, est surtout un spécialiste de la casse sociale et des plans de licenciements. Depuis 2012, le groupe n’a eu de cesse de se restructurer, et ce sont déjà 1800 salariés qui ont perdu leur emploi au cours de précédents plans sociaux.

Les TUI dénoncent tout cela. Et ils affirment que les licenciements devraient être interdits, que pour cela, il faut mettre en place un plan de bataille. Leur slogan : « Regrouper nos forces pour frapper ensemble ! » Et si toutes les boîtes du public ou du privé confrontées aux licenciements et aux suppressions d’emplois décidaient de se rencontrer et de s’unir ? Les TUI ont décidé de poser cette question et de sortir de la logique des luttes « boîte par boîte » quand ils ont réalisé qu’ils n’y arriveraient pas seuls.

Car ils se sont bien battus et continuent de se battre contre le plan de licenciements. Dès l’annonce du 17 juin, ils se sont regroupés en assemblées générales, malgré le confinement qui avait isolé les salariés chez eux, malgré la fermeture du siège dans les Hauts-de-Seine et des agences un peu partout en France. Ils ont réussi à être près de 600 salariés en assemblée générale sur Zoom ! Ensuite, ils ont organisé des rassemblements, au siège de la société et jusqu’à Bruxelles devant les locaux de l’actionnaire, ainsi que devant la Direccte pour obliger l’État à appuyer les revendications des salariés dans les négociations du « plan de sauvegarde de l’emploi » (PSE). Début septembre 2020, 57 des 65 agences étaient en grève.

Par ces luttes, ils ont réussi à faire bouger les lignes du plan social. Le nombre de postes supprimés a été réduit et un accompagnement social a été obtenu. Mais ce n’est pas suffisant, car le PSE est lancé et les licenciements sont toujours programmés. Pour continuer leur lutte, ils ont besoin des forces de toutes celles et tous ceux qui sont aussi concernés par les suppressions d’emplois.

Salariés du public et du privé, tous concernés

L’appel des TUI est celui de toutes les entreprises qui licencient. Leurs prises de position sont très claires : « Nous savons que nous ne sommes pas que les TUI. Nous sommes les Cargill, les Bridgestone, les Nokia, les Air France, les Aéroport de Paris, les Smart, les salariés du public, durement touchés par les suppressions d’emplois comme à la Santé, dans les finances publiques ou à La Poste. »

En octobre, les TUI disaient être l’un des 394 plans de licenciements recensés par le Ministère du Travail depuis mars 2020. À l’heure où nous écrivons cet article, les chiffres n’ont fait qu’empirer. En octobre, une moyenne de 30 plans de licenciements étaient annoncés chaque semaine. En cumul depuis le 1er mars 2020 jusqu’au 22 novembre, les ruptures de contrats envisagées dans le cadre des PSE atteignent le nombre de 67 100 ; cela fait plus de 40 000 de plus par rapport à la même période en 2019 (source : DARES). Le nombre des PSE est monté à 657. C’est-à-dire, 657 entreprises dans lesquelles le licenciement de plus de 10 salariés sur une même période de 30 jours est envisagé ou a déjà été mis en œuvre. En outre, en dehors des PSE, le Ministère du Travail recense, à la même date, 4 900 procédures de licenciements pour motif économique dans les entreprises de moins de 10 salariés. Globalement, ce sont les grandes entreprises, celles de plus de 1 000 salariés, qui licencient le plus. Environ quatre ruptures de contrat de travail sur dix concernent ces grandes entreprises ; celles qui sont également les plus profitables et dans lesquelles des actionnaires se gavent de profits. Les secteurs les plus touchés par les « plans sociaux » sont ceux de l’industrie manufacturière (les usines de l’aéronautique en font partie, de même que celles de l’automobile), ainsi que le commerce et la réparation de voitures.

Mais les licenciements et les suppressions d’emplois ne concernent pas que les entreprises où des PSE sont mis en place. Il y a aussi tous les autres moyens de mettre la pression aux salariés et de les pousser vers la sortie avec par exemple les accords de performance collective, qui imposent des baisses de salaires en échange... de la hausse du temps de travail, de l’intensification de la production et sans aucune garantie pour l’emploi. Et il y a les fins de CDD, les non renouvellements de contrats d’intérimaires. Et aussi le secteur public dans lequel les postes vacants se multiplient sans recrutement à la hauteur. Dans les hôpitaux publics, les soignants ont recensé un besoin de formation et de recrutement de 120 000 emplois.

Ils privatisent les profits et nous font payer leurs pertes, ça suffit !

Pour sauver les entreprises, le gouvernement a déjà dépensé, à l’été 2020, 350 milliards d’euros en aides variées, financement du chômage partiel, réductions d’impôts, etc. En novembre, alors que rien n’a été entrepris pour financer des lits d’hôpitaux en nombre suffisant, pour recruter, former et mieux payer le personnel soignant, Macron a décidé une nouvelle fois de confiner la population et de verser des milliards aux entreprises. La quatrième loi de finance rectificative promulguée le 30 novembre 2020 mobilise 20 milliards d’euros supplémentaires, dont 17 seront exclusivement dédiés aux entreprises contre 2 seulement pour la santé (principalement le paiement des heures supplémentaires des soignants) et 1 petit milliard pour la prime de précarité. La logique bien connue de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes est à l’œuvre.

Pour en finir avec cette logique, pour refuser de les laisser nous faire payer la crise pendant qu’ils sauvent leurs profits, l’appel des TUI à regrouper les forces et à frapper ensemble est plus que bienvenu.

En route vers une manifestation nationale le 23 janvier 2021 à Paris !

Environ 60 personnes ont répondu présent et se sont retrouvées les 8 et 29 novembre 2020 en visio-conférence, confinement oblige. De nombreux secteurs et entreprises concernés par les plans de licenciements et les suppressions d’emplois étaient là : les Cargill, les Bridgestone, Air France, ADP, les sous-traitants d’Airbus, Thales aéronautique, General Electric, Total Grandpuits, Sanofi, le secteur de l’automobile avec Renault et Ford, l’hôtellerie, la grande distribution avec Monoprix, l’informatique et les jeux vidéo, les salariés du public avec La Poste, l’hôpital de Lille, des cheminots, Pôle Emploi, l’Inspection du travail, le travail social, des fédérations de Solidaires comme celles du commerce, des services postaux ou du rail. Des soutiens politiques étaient également présents : Clémentine Autain et Manu Bompard de LFI, Fabien Gay du PCF, Philippe Poutou pour le NPA.

Au-delà d’un tour d’horizon des secteurs et entreprises représentés – qui a permis de rappeler le désastre des licenciements et des destructions d’emplois par des dizaines d’exemples concrets, dans chaque boîte –, les deux rencontres ont surtout eu pour but de parler de perspectives concrètes de convergences des luttes, en s’appuyant sur des revendications communes. L’interdiction des licenciements est revenue dans de nombreuses interventions comme une évidence en cette période de crise. La nécessité d’y adosser la question du refus de toutes les suppressions d’emplois a également été affirmée. Car les licenciements ne sont pas les seules façons de faire payer la crise aux travailleurs. Dans le public, les postes sont supprimés, sans licenciements ; dans de nombreuses entreprises, ce sont aussi les contrats précaires qui ne sont plus renouvelés.

Dans un contexte où les directions syndicales confédérales ne proposent pas de plan de bataille commun, les participants aux réunions des 8 et 29 novembre ont évoqué la nécessité de prendre des initiatives et en particulier, d’aller manifester à Paris, devant les lieux de pouvoir. Le 13 décembre, lors d’une réunion nationale, le départ de la manifestation a été acté : elle s’élancera le 23 janvier 2021 à 14 heures depuis l’Assemblée nationale !

Construire la mobilisation

La manifestation nationale étant décidée, il reste maintenant à construire la mobilisation, en prenant contact dans tous les secteurs, pour faire de cette première étape dans la construction du rapport de force une réussite. Les TUI tissent depuis plusieurs semaines des liens avec d’autres, les Cargill, les General Electric, les Sodexo, etc., et participent aux rassemblements et manifestations, comme le 5 décembre à Paris, en lien avec d’autres secteurs.

Une chose est claire : ce n’est que le début d’un regroupement qui a vocation à s’élargir et à susciter un mouvement d’ensemble des travailleuses et travailleurs qui veulent se battre contre les licenciements et les suppressions d’emplois. Il y a donc un véritable enjeu à se mobiliser pour que l’appel des TUI devienne réellement l’appel de tout notre camp social contre les suppressions d’emplois.

Camille Decaux