Lors du débat entre Lutte ouvrière et le NPA à la fête annuelle de LO à Presles, il a beaucoup été question des rapports entre ces deux organisations et le Front de gauche... bien plus que du rapport entre ces deux organisations et les luttes de la classe ouvrière !
Au-delà des reproches portant sur la participation ou sur la manière de participer à telle ou telle initiative avec le Front de gauche qu'ont pu se faire les quatre protagonistes de ce débat qui n'en était pas un, et qui s'apparentaient à des querelles de cour d'école, il y avait un grand absent : quel rôle peuvent et doivent jouer les organisations révolutionnaires dans la situation d'aujourd'hui pour aider notre classe sociale à reprendre confiance dans ses propres forces et poser des jalons solides pour la construction d'un parti révolutionnaire. En étant focalisés par leurs rapports avec les réformistes, les uns pour chercher tout ce qui peut les en rapprocher parce qu'on "serait dans le même camp de la gauche", les autres pour trouver toutes les manières de les dénoncer tout en en les considérant comme incontournables à certaines occasions (y compris électorales si on se rappelle les alliances aux municipales de 2008 pour LO avec des listes d'union de la gauche), les orateurs avaient finalement une ligne commune ! Celle de ne pas parler des responsabilités de leurs organisations respectives dans une situation, certes défavorable au monde du travail dans ses grandes tendances, mais recelant des possibilités d'intervention à une échelle nationale à l'occasion de luttes sociales importantes (comme par exemple la grève des cheminots qui s'annonçait pour le mardi suivant ou bien des conflits durs et emblématiques dans certains secteurs du prolétariat, comme les postiers ou les intermittents).
Attendre que le vase déborde ?...
Du côté de LO, la construction d'un parti communiste révolutionnaire est réaffirmée comme une nécessité absolue mais se situe dans un espace-temps qui semble échapper à la moindre intervention consciente et concrète des militants révolutionnaires ici et aujourd'hui. On est suspendus à l'attente d'une irruption brutale et massive de la classe ouvrière sur le terrain politique et social qui résoudrait l'équation fatale : pas de grève générale, pas de prémisses d'une situation révolutionnaire = pas d'avancée possible vers la construction d'un parti révolutionnaire. Marqué par une analyse globale des rapports de forces nettement dégradés, ce raisonnement de LO est par ailleurs en contradiction avec les efforts volontaristes de cette organisation pour s'implanter pied à pied dans les entreprises. Efforts qui montrent bien que personne à LO ne croit que la manière de construire une organisation n'aurait non seulement aucune d'influence sur le type de parti qu'on veut, mais surtout qu'il suffirait de "laisser faire" la classe pour qu'elle soit (parce que c'est son rôle historique) en capacité de bousculer l'ordre capitaliste.
Cette contradiction il faut l'expliquer par le fait que pour Lutte Ouvrière, les pas vers la construction d'un parti ne peuvent être que le fruit d'une construction patiente autour de ses propres militants, et qu'il est inenvisageable de raisonner à l'échelle des forces actuelle de l'ensemble des militants révolutionnaires, dont l'intervention commune au coeur des bagarres de la classe ouvrière pourrait à la fois peut-être peser sur le cours et l'issue de ces bagarres... et du coup entraîner des sauts qualitatifs et quantitatifs vers l'émergence d'un parti. Son refus d'essayer de peser sur les orientations majoritaires du NPA, même sur le plan électoral, ce qu'elle faisait du temps de la LCR, est justifié par le fait qu'avec la création du NPA, celle-ci aurait renoncé à la construction d'un parti communiste révolutionnaire. Donc on ne s'adresse plus à cette organisation comme faisant partie du mouvement communiste révolutionnaire, sans pour autant pouvoir la qualifier ouvertement de réformiste mais de fait, aucune collaboration dans l'intervention dans la lutte des classes n'est possible. Cela renforce le discours sur "on est petits, on ne peut pas peser"... mais qui du coup, peut amener LO à renoncer à considérer qu'il est encore possible de prendre des initiatives pour forcer le "cours naturel" des choses : les travailleurs ne se battent pas beaucoup, quand ils se battent c'est défensif et de manière dispersée, et quand ils se battent à l'échelle nationale, c'est compliqué de s'affronter avec les directions syndicales qui tiennent le mouvement. La grève des cheminots est révélatrice à cet égard. Dans l'éditorial du journal Lutte Ouvrière du jeudi 19 juin à propos de la grève des cheminots on pouvait lire : "jusqu'où les cheminots vont-ils pouvoir aller ? Les directions syndicales résisteront-elles aux pressions gouvernementales ? Sont-elles traversées par des divisions qui pourraient les conduire à négocier des arrangements contre la poursuite de la grève ? Quoi qu'il en soit, il revient aux grévistes et à eux seuls de décider de l'avenir de leur mouvement. Ils ont montré qu'ils n'étaient impressionnés ni par les attaques du gouvernement, ni par celles des médias. Leur mécontentement est profond et suffisamment légitime pour qu'ils tiennent bon". C'est un peu curieux de poser de telles questions au moment où la grève bat son plein et qu'il s'agirait plutôt de dire clairement quelle va être l'attitude des directions syndicales et que si les cheminots eux seuls "doivent décider de l'avenir de leur mouvement" il va falloir se doter d'un certain nombres d'outils pour cela... qui s'appellent des structures d'auto-organisation et d'une stratégie pour gagner la grève : son extension, notamment à d'autres secteurs du monde du travail, ceux qui sont déjà en lutte mais pas seulement.
Il est frappant de constater que les tentatives de camarades cheminots du NPA lors de la grève pour construire ces cadres d'auto-organisation, (notamment à Paris Saint-Lazare, avec la parution d'un journal de grève, et à l'échelle de Paris la tenue d'une "AG des AG" regroupant une centaine de cheminots grévistes le jeudi 19 juin) n'ont pas été soutenues par les camarades de Lutte Ouvrière. Face au rouleau compresseur médiatique, gouvernemental, patronal et des bureaucraties syndicales, il aurait pourtant été vital que les militants révolutionnaires, relativement nombreux dans ce secteur d'activité par rapport à bien d'autres, unissent leurs forces dans la bataille pour proposer une autre politique aux grévistes. Mais sans doute que pour franchir le pas, pour disputer frontalement la direction du mouvement aux organisations syndicales, il faut avoir autre chose comme aliment politique permanent que les analyses qui répètent en boucle qu'on est dans une période de recul et que les rapports de force sont trop défavorables à la classe ouvrière.
...Chercher le débouché politique ?...
Pour le NPA, la logique est autre mais finalement complémentaire dans l'abandon des responsabilités qui incombent aujourd'hui aux organisations d'extrême gauche jugées trop petites (notamment à l'aune de leurs résultats électoraux). Il faut donc "une alternative politique" et "une opposition de gauche"... en attendant de construire le parti révolutionnaire ! La ligne de la majorité est de plus en plus affirmée vers la construction d'un "front social et politique permanent" avec des organisations "indépendantes du PS", qui seul pourra permettre aux luttes de prendre corps. Avec la direction majoritaire du NPA sans l'existence de ce front constitué par les organisations politiques à la gauche du PS et une partie des organisations syndicales (FSU, CGT - ou des bouts de celle-ci -, Solidaires), point de luttes car celles-ci buteraient sur un obstacle majeur : l'absence "de perspectives politiques"... Et nous voilà avec un nouveau modèle agité par notre direction majoritaire : Podemos. Alors que ce mouvement est une des manifestations électorales de la radicalité sociale existant depuis plusieurs années dans l'Etat espagnol, et dont le projet réformiste ne fait aucun doute, il serait la recette à appliquer ici... avec un raisonnement qui est complètement inversé : construisons "un Podemos à la française", et hop le tour sera joué, on verra enfin notre classe sociale reprendre le chemin de l'offensive ! Or, ce n'est pas Podemos qui a fait les luttes dans l'Etat espagnol... ce sont les luttes radicales, notamment celles issues du mouvement des Indignés, qui ont donné naissance à Podemos.
Le collectif du 12 avril est vanté comme le cadre permettant un tel projet. Il faudra que lors d'une prochaine réunion unitaire de ce collectif, les camarades du NPA qui y assistent demandent pourquoi Philippe Poutou n'a pas pu s'exprimer à la tribune installée sur l'esplanade des Invalides lors de la manifestation des cheminots en grève du 17 juin, ni pourquoi des camarades postiers en grève du 92 n'ont pu y monter... alors que Pierre Laurent s'y est exprimé à son gré. Privilège accordé parait-il aux seuls partis ayant des députés à l'Assemblée.. drôle de conception du front unique ! Et ce n'est pas non plus l'appel, finalement avorté, rédigé par certaines de ces organisations du collectif du 12 avril, ne demandant pas l'abrogation de la réforme ferroviaire et appelant le gouvernement à ouvrir des négociations "pour une autre réforme" qui aurait pu être une aide quelconque aux cheminots en grève. Bien au contraire, il s'agissait d'un renoncement à défendre ce qui était le ciment collectif de cette grève. Le problème est que pour les camarades majoritaires à la direction de l'organisation, cet appel était une bonne chose... permettant de créer une solidarité autour de la grève, un élan unitaire, indépendamment du contenu de l'appel. Si on rajoute à cela l'amendement Chassaigne, qui consacre le découpage en trois EPIC de la SNCF sous couvert "de feuille de paie unique pour les cheminots" et qui a été un des principaux outils pour casser la grève, on mesure bien l'impasse politique de cette recherche d'alliance ou de regroupement avec des organisations qui sont clairement nos ennemies lorsqu'elles sont confrontées à l'explosion sociale. A quoi a servi le cadre unitaire pour renforcer la grève des cheminots ? A rien ! Par contre, il permet à notre direction majoritaire de se réclamer "de la gauche" et de réaffirmer que la construction d'une organisation anticapitaliste passera par des recompositions au sein de la gauche de la gauche, dont les réformistes sont aujourd'hui les forces principales. Tout cela n'est évidemment en rien une étape allant dans le sens de la construction, même lointaine, d'un parti révolutionnaire... mais bien au contraire un obstacle de plus puisqu'il revient à servir les plats à ceux qui se dressent inévitablement à un moment donné devant les travailleurs en lutte.
... Ou défendre une politique utile aux luttes
et à la construction d'un parti révolutionnaire ?
Il ne s'agit pas pour nous d'observer au milieu du gué les agissements de ces deux directions actuelles du mouvement révolutionnaire et de nous contenter de distribuer les mauvais points à l'une et à l'autre. Ou bien d'espérer que l'une ou l'autre change de cap, enfin. Mais plutôt de défendre une politique qui soit à la hauteur des responsabilités de l'ensemble de l'extrême gauche et d'agir, à la mesure de nos forces, dans ce sens. Non pas que nous ayons « la grosse tête » mais parce que nous sommes las de voir toutes les occasions manquées depuis près de deux décennies dans l'émergence d'un courant révolutionnaire suffisamment sûr de lui et suffisamment confiant dans notre classe sociale.