La « nouvelle représentation politique des exploités » : l'exemple de Podemos, après celui de Syriza...

L’ancienne majorité du NPA, aujourd’hui regroupée dans la plateforme C, rencontre une difficulté : la « nouvelle représentation politique » sur laquelle elle fonde son orientation n’a aucune réalité en France. Mélenchon et son projet « en dehors de tout parti » ? Le Front de gauche, avec ses divisions ? Ensemble, avec ses députés qui votent l’état d’urgence ? Voilà une affaire compliquée…

C’est pour cela qu’un dirigeant aussi lucide qu’Olivier Besancenot préfère se réfugier dans l’ambiguïté, en déclarant qu’il « reste persuadé que le mouvement social couve dans ses flancs une nouvelle représentation politique »[1].

Syriza était, il y a peu, l’expérience la plus avancée de cette « nouvelle représentation politique ». Pourtant, la « capitulation » de Tsipras était inscrite dans les orientations stratégiques et dans la pratique politique de sa formation : respect des institutions bourgeoises dont celles de l’Union européenne (UE), exclusion de la mobilisation des masses en tant qu’outil politique, soutien à la bureaucratie syndicale.

En l’absence de luttes sociales significatives depuis 2012, Syriza est parvenue à un accord avec l’UE, et elle met aujourd’hui en œuvre un programme d’austérité d’une rare violence. Mais le gouvernement Tsipras, qui représente une solution provisoire pour la bourgeoisie grecque et les institutions européennes, fait désormais face à la mobilisation de masse… Et plus personne ne songe à décerner le label de « représentation politique des exploités » à Syriza.

L’État espagnol est aujourd’hui l’épicentre de la crise européenne : crise économique, plan d’austérité, dégradation sociale, mouvements indépendantistes et crise politique aiguë. Après les élections du 20 décembre, la constitution d’un nouveau gouvernement est devenue un vrai casse-tête. Le PSOE, qui est chargé d’en former un, réfléchit à différentes formules : soit une « gauche plurielle » avec Podemos et Izquierda Unida (IU), soit une variante sociale-libérale avec Ciudadanos.

Un « gouvernement du changement » ?

Le PSOE a gouverné de 1982 à 1996, puis de 2004 à 2011, et il a toujours soutenu les piliers de la domination bourgeoise en Espagne : la monarchie – héritage de Franco –, l’unité de l’Etat, l’appartenance à l’OTAN et à l’UE, les profits des multinationales espagnoles, etc. Ce qui n’a pas empêché Podemos de lui proposer très rapidement un pacte de gouvernement : leur ancienne stratégie proclamée de « prise d’assaut du ciel » s’est muée en combine parlementaire. Le noyau de la bureaucratie du PSOE s’oppose à une telle alliance, et ce sont les leaders de Podemos qui en sont les défenseurs les plus en enthousiastes. Le théoricien Iñigo Errejón a ainsi déclaré : « Il faut des compromis entre acteurs différents », ou encore que « des nouvelles élections ne sont ni souhaitables, ni nécessaires ». L’horizon politique de Podemos est donc de gouverner sous la direction de Pedro Sanchez, le leader du PS. Podemos, aujourd’hui au centre des négociations pour un gouvernement PSOE-Podemos-IU, fait monter les enchères en exigeant la moitié des ministères.

En mai 2015, François Sabado publiait un article sur Podemos dans lequel il décrivait les caractéristiques de cette fameuse « nouvelle représentation politique » : « Le rejet de l’austérité ; la souveraineté populaire ; l’idée d’un processus constituant, avec une assemblée constituante ; un mouvement extérieur au système, contre la caste ». Mais la politique mise en œuvre par la direction de Podemos est très éloignée de la description de Sabado. Ses chefs sont prêts à gouverner avec un grand représentant de la « caste » – les forces politiques traditionnelles, dans leur jargon –, et la souveraineté populaire est remplacée par les manœuvres d’appareils.

Présenter Podemos comme la continuité du mouvement du 15-M (mouvement des indignés) serait simpliste. L’équipe dirigeante de Podemos a construit un appareil qui a écrasé les « cercles » de bases, les militants et les courants anticapitalistes. Quant aux bons résultats électoraux, elle souhaite les utiliser comme monnaie d’échange pour un accord avec le PSOE.

Comme Syriza avant lui, Podemos entend offrir une nouvelle issue à la bourgeoisie espagnole et européenne, et freiner les mobilisations ouvrières et populaires indépendantes. Loin de « représenter » les exploités, Podemos et Syriza – parce qu’ils ne s’appuient ni sur un programme anticapitaliste et révolutionnaire, ni sur la classe ouvrière – se retournent contre les intérêts de notre classe. Le rassemblement anticapitaliste et révolutionnaire doit se faire contre leur politique, qui est une politique de conciliation de classes.

Marcelo N, Javier Guessou et Florencia Catania

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[1] Entretien accordé à la revue américaine Jacobin, publié en français par Contretemps, 21/12/2015.