Pour que la rue impose son programme


Le 22 avril, des équipes militantes combatives se retrouvent pour manifester à la veille du premier tour de l’élection présidentielle. Cette manifestation doit être la première étape pour le regroupement d’un pôle ouvrier « lutte de classe », un pôle qui soit capable de porter les revendications des secteurs les plus mobilisés ; un pôle dont les revendications n’hésiteront pas, contrairement aux programmes de tous les politiciens bourgeois, à contester le pouvoir des capitalistes. 

Relaxe et abandon de toutes les poursuites pour les victimes de la répression 

La revendication de la relaxe des militants et militantes contre la loi Travail s’est imposée comme une évidence dès le début de la convergence entre les différentes équipes appelant au « premier tour social ». En effet, cette convergence a commencé à s’opérer autour de l’équipe de la CGT-Goodyear et de la proposition de montée nationale à Amiens, les 19 et 20 octobre, pour obtenir la relaxe. L’équipe de la CGT-Goodyear, condamnée en première instance à de la prison ferme pour s’être battue pendant 9 ans contre la fermeture de l’usine, est rapidement devenue une figure emblématique de la répression contre celles et ceux qui ont osé résister et contester le pouvoir des capitalistes. Et au-delà, pour la première fois s’est dessinée une convergence entre syndicalistes réprimés et victimes des violences policières dans les quartiers populaires, d’où la revendication de relaxe et d’abandon des poursuites pour tous les réprimés, et non pour les seuls syndicalistes. 

Les quatre mois de lutte contre la loi Travail – au cours desquels, à une large échelle, le mouvement ouvrier a fait l’expérience d’une répression inédite depuis des dizaines d’années – ont fait apparaître la véritable nature de la police aux yeux de nombreux militants et militantes. C’est sur ce terreau qu’est née la convergence entre des équipes syndicales traditionnelles, comme CGT-Goodyear ou Info’Com-CGT, et des collectifs comme « Urgence notre police assassine ». Pour la première fois, des syndicalistes réalisent qu’il est important que le mouvement ouvrier organisé soit présent dans les mobilisations contre les violences policières, qu’il prenne cette question à bras-le-corps. Et de l’autre côté, des collectifs organisés par les familles de victimes des violences policières commencent également à saisir l’importance de se tourner vers cette force sociale puissante qu’est le mouvement ouvrier. Ces différents secteurs, constitutifs de ce qu’on pourrait appeler au sens large le « mouvement social », comprennent la nécessité de la convergence, du « tous ensemble », pour en finir avec la répression et la violence de la société capitaliste. 

Abrogation de la loi Travail 

L’abrogation de la loi Travail est le deuxième axe revendicatif qui s’est naturellement imposé dans la convergence du premier tour social. Rendant compte du meeting du 16 février au théâtre La Belle Etoile à Saint-Denis, des journaux bourgeois ont écrit : « Les militants anti-loi Travail se rencontrent à nouveau ». Ils n’ont pas tort de présenter les choses ainsi, car à peu près un an après le début de la mobilisation, malgré le fait que les directions syndicales ont sifflé la fin de la récréation après le 15 septembre, la loi Travail reste dans toutes les têtes et sur toutes les bouches. 

D’abord, parce que cette loi est une étape importante dans l’aggravation des attaques patronales contre la classe ouvrière en France. Le Code du travail, malgré ses limites, a représenté pendant des décennies un cadre qui empêchait le patronat d’exploiter autant qu’il le voulait les salariés. Ce n’est pas un hasard si le gouvernement Hollande-Valls a lié son sort à la mise en oeuvre de sa loi. Même si le MEDEF a pleurniché en déclarant qu’elle n’allait pas assez loin, en réalité, la loi Travail (ou loi El Khomri), cumulée à la « loi Macron » et autres « accords de compétitivité », représente l’une des pires réformes que la bourgeoisie a pu imposer ces dernières années. Obtenir l’abrogation de la loi Travail, ce serait donc obtenir une victoire majeure pour les travailleurs et les jeunes ; ce serait une véritable brèche dans laquelle il serait possible de s’engouffrer pour intensifier la lutte de classe dans le pays. 

Mais au-delà, mettre l’abrogation de la loi Travail au centre des revendications, c’est mettre au centre du jeu la dernière grande mobilisation de classe qui a eu lieu dans le pays et qui a marqué tous les esprits. Partir de la loi Travail, c’est expliquer que quand nous avons été nombreuses et nombreux dans la rue, quand plusieurs secteurs ouvriers stratégiques étaient en grève, en bref, quand la grève générale était dans l’air, c’est à ce moment-là que la peur a commencé à changer de camp, à gagner la classe dirigeante. Mettre cette revendication au centre, c’est rappeler que rien n’a jamais été obtenu sans la mobilisation des travailleuses et des travailleurs, de celles et ceux qui font tourner l’économie. 

C’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons ! 

Se battre pour la relaxe de l’ensemble des réprimés, de toutes celles et tous ceux qui sont victimes de la répression parce qu’ils ont osé relever la tête face à un système qui nous opprime chaque jour ; rappeler que ce qui doit être au centre, c’est la lutte collective par la grève, la mobilisation, pour défendre nos conquêtes et en obtenir de nouvelles… Tout cela, c’est dire qu’il faut prendre notre destin en main. D’où le dernier axe revendicatif, plus large, plus « programmatique », qui a émergé au cours des discussions avec les différentes équipes appelant au 22 avril. « C’est nous qui travaillons, c’est nous qui décidons ! » : ce n’est pas aux capitalistes, à leurs politiciens, à leur police, de décider de nos vies. 

Formuler la question ainsi, c’est éviter un énième catalogue revendicatif, simple énumération des revendications sectorielles sans aucune perspective commune. C’est dire que nous ne nous battons pas seulement sur la base de revendications défensives. Comme l’ont exprimé certains intervenants lors du meeting du 16 février : « Nous voulons tout ! ». Nous voulons pouvoir décider de nos vies, sans dépendre des lois imposées par ce système capitaliste inique. Il s’agit de commencer à contester, pied à pied, le pouvoir des capitalistes. 

Ne pas laisser décider de nos vies, cela commence par se battre pour les augmentations de salaires, sans céder au chantage de l’emploi. Les différentes luttes pour l’augmentation des salaires – comme par exemple la toute récente grève des éboueurs marseillais, ou encore la grève victorieuse des wagons-bars TGV – prouvent non seulement l’actualité de cette question, mais surtout, qu’elle fait partie des revendications essentielles en faveur desquelles notre classe se mobilise en ce moment. Cela va évidemment à l’opposé des politiques des différentes fédérations syndicales, qui ont accepté le cadre des « accords de compétitivité », c’est-à-dire, de conditionner le niveau des salaires à celui des profits réalisés par les capitalistes. Bien au contraire, contre la cherté de la vie, face à l’envolée des dépenses incontournables de la vie quotidienne (loyer, transports, électricité, gaz, etc.), c’est l’échelle mobile des salaires qu’il faut imposer ! Les contrats de travail doivent garantir l’augmentation automatique des salaires, corrélativement à la montée des prix des articles de consommation. Et si les capitalistes déclarent qu’ils sont incapables d’assurer ces augmentations de salaires alors que l’argent déborde de tous côtés, qu’ils s’en aillent ! 

Ne pas les laisser décider de nos vies c’est aussi, bien sûr, se battre contre les suppressions d’emplois qui se succèdent les unes aux autres depuis des années et des années : il faut imposer l’interdiction des licenciements ! Le fait que la CGT-Goodyear soit devenue une équipe syndicale « lutte de classe » significative et connue à une large échelle n’est pas dû au hasard. Ces dernières années, c’est l’une des seules à s’être battue non pas pour un « bon plan social », pour de bonnes primes de départ, mais pour empêcher toute suppression d’emploi dans l’usine. 

D’autre part, cela pose évidemment la question du temps de travail. C’est d’ailleurs l’une des revendications qui avait commencé à émerger lors du mouvement contre la loi Travail : les 32 heures. Car en effet, dans une société oeuvrant réellement au bien-être commun, l’introduction de nouvelles machines permettant de produire plus et plus vite devrait contribuer à l’amélioration des conditions de travail et au partage des tâches entre toutes et tous. 

Naturellement, de telles revendications, qui sortent du cadre légal des institutions capitalistes, sont insupportables pour le grand patronat. Elles posent la question de qui dirige : les capitalistes, ou bien les travailleurs. Une simple manifestation, une simple grève ne suffiront pas pour les imposer. Le mouvement contre la loi Travail a montré que la stratégie des journées d’action « perlées », prônées par les directions syndicales, ne mènent qu’à l’échec. La manifestation du 22 avril doit donc être un premier jalon pour regrouper ces forces qui veulent aller plus loin, qui veulent en découdre avec la politique des différents gouvernements au service de la bourgeoisie. C’est un premier pas vers la constitution d’un pôle ouvrier combatif, « lutte de classe ». Pour la première fois depuis longtemps, des militantes et des militants se retrouvent ensemble, par-delà les chapelles syndicales ou politiques, toutes et tous conscients que les choses vont se jouer non pas à travers les élections, mais dans la rue. Convaincus de cette idée qu’il faut relever la tête, reprendre le chemin de la grève, pour contester le pouvoir des capitalistes. La convergence doit donc se poursuivre au-delà du 22 avril car l’enjeu, c’est la possibilité de constituer un embryon de direction alternative aux directions traditionnelles du mouvement ouvrier empêtrées dans le jeu du « dialogue social » ou l’attentisme. 

Lutter pour un gouvernement ouvrier : la nécessité de construire le parti révolutionnaire 

Pour nous, militants anticapitalistes et révolutionnaires, cette politique est fondamentale, car nous sommes persuadés qu’une mobilisation d’ensemble, une grève générale, un « juin 36 qui aille jusqu’au bout », sont seuls à pouvoir ébranler le pouvoir des capitalistes. C’est en défendant cette politique de convergence des luttes et de regroupement des forces combatives, que nous pourrons poser la question fondamentale de qui doit diriger la société. Car il est clair que ce programme « de la rue » ne pourra être appliqué si les capitalistes conservent le pouvoir, si les institutions taillées sur mesure pour leurs intérêts (République française, Union européenne, etc.) restent en place. Pour réaliser pleinement ce programme, il faudra briser l’appareil d’État bourgeois et rompre avec les institutions existantes. 

Le programme qui commence à être ébauché par nos équipes, seul un gouvernement ouvrier pourra en faire une réalité, un gouvernement qui sera l’émanation des outils d’auto-organisation dont se seront dotés les travailleurs et les travailleuses en lutte. Dans cette perspective, la constitution d’un pôle ouvrier combatif renforce l’idée qu’il est indispensable de construire un parti anticapitaliste et révolutionnaire : un parti qui soit à même de formuler jusqu’au bout la stratégie capable d’imposer ce programme revendicatif.

Aurélien Perenna