L’idée de réunir des équipes syndicales, militantes, radicales et « lutte de
classe » – qui ont fait la démonstration qu’elles voulaient en découdre avec les
politiques gouvernementales et patronales, en allant nécessairement jusqu’à
une confrontation avec leurs directions confédérales – n’est pas nouvelle.
Les précédentes tentatives de regroupement
En 2001, par exemple, la Fraction l’Étincelle de
Lutte ouvrière (FLO) avait été à l’initiative d’un
regroupement d’équipes syndicales « lutte de
classe », avec les camarades de la tendance « Révolution
! » de la LCR ; tous ces militants et militantes
avaient alors pris part aux initiatives de l’équipe
des LU-Danone de Ris-Orangis, pour organiser une
manifestation centrale contre les licenciements,
avec l’objectif qu’elle soit le point de départ d’un
mouvement de grande ampleur contre tous les
licenciements. Jospin avait fait voter une loi de
modernisation sociale, amendée à la marge par le
PCF, qui laissait intacts les profits du CAC 40.
Plusieurs rencontres avaient été organisées à
la Bourse du travail de Paris, réunissant la FLO,
la LCR, Attac, la FSU, la CNT, les SUD, certaines
sections d’entreprises, unions et fédérations
CFDT, FO et CGT.
La manifestation du 9 juin avait réuni 20 000 personnes,
en reprenant le mot d’ordre d’interdiction
des licenciements lancé en 1995 par Lutte ouvrière.
L’approche des élections de 2002 et l’absence de
perspectives proposées après le 9 juin par LO ou
la LCR – qui, lors de la manifestation, avaient axé
sonn intervention autour d’une interpellation des
députés PCF pour ne pas voter la loi – allaient couper
court à l’expérience.
Une autre tentative, similaire au niveau des
objectifs, mais dans un contexte différent, a eu
lieu autour des travailleurs de New Fabris, à l’été
2009. Là aussi, un nombre significatif d’équipes
syndicales ont été regroupées à partir d’une boîte
en lutte, une manifestation a été organisée –
plus modeste que celle de 2001 –, et la Fraction
l’Étincelle y a joué un rôle significatif. Mais cette
fois encore, l’expérience n’a pas abouti à la création
de liens durables.
En 2012-2013, les ex-salariés des 3 Suisses ont
entamé des procédures prud’homales contre le
groupe pour contester leur licenciement économique.
Majoritairement composé de femmes, le
personnel a formé le collectif les « Licenci’Elles »
pour tenter d’agréger d’autres équipes syndicales
militantes, en particulier d’entreprises touchées
également par les licenciements : Goodyear, Samsonite,
La Redoute et la Fnac. Dans ce cas également,
des réunions se sont tenues à la Bourse du
Travail de Paris. Bien que présent, le NPA n’y a pas
défendu une politique définie. En ce qui concerne
celles et ceux d’entre nous qui allaient fonder le
courant A&R du NPA, nous étions trop faibles et
sans légitimité suffisante pour être capables d’intervenir
efficacement et de surmonter les obstacles,
dont le sectarisme entre militants issus de
traditions différentes.
En dehors de l’hostilité de principe à ce genre
d’initiatives de la part des bureaucraties, l’idée de se
préparer à saisir de telles occasions pour construire
un « pôle ouvrier » se heurte, dans les milieux militants,
à une analyse de la situation politique selon
laquelle celle-ci serait tellement défavorable qu’elle
rendrait futiles les efforts en ce sens.
De son côté, LO a maintenu son implantation
ouvrière, mais elle ne conçoit pas cette implantation
comme un moyen de prendre de telles initiatives.
Lors de la grande grève de PSA Aulnay en 2013,
plusieurs animateurs du mouvement étaient également
membres de LO. S’appuyer sur cette grève
pour la mettre en lien avec d’autres luttes, et s’en
saisir pour essayer de construire une mobilisation
nationale pour l’interdiction des licenciements, n’a
pas été une orientation de LO. Cela aurait-il fonctionné
à ce moment-là ? On ne peut bien sûr pas
l’affirmer. Mais ne jamais essayer, c’est considérer
que la période actuelle ne permet absolument pas
de bousculer les rapports de forces, et c’est au final
s’en remettre à une explosion révolutionnaire totalement
indépendante de l’intervention consciente des
révolutionnaires. De son côté, le NPA ne disposait
d’aucune implantation construite préalablement
pour porter une telle politique
Notre politique
Militantes et militants d’A&R, nous avons fait des
tentatives de dépasser les directions réformistes, à
notre échelle et aux côtés d’autres.
Lors du mouvement de 2010 contre la réforme
des retraites, par exemple, nous étions une minorité
lorsqu’il s’est agi de mettre en pratique la
construction de cadres d’auto-organisation, d’assemblées
générales de villes ou départementales.
En 2014, durant la mobilisation cheminote, nous
avons tenté avec les camarades de l’Etincelle la
construction de « l’AG des AG » des gares parisiennes.
Ici aussi, c’était la politique d’une poignée
de militants et de militantes.
Avec la loi Travail, les leviers pour construire l’embryon
d’une direction « lutte de classe » sont désormais
présents : les luttes, bien que dispersées, sont
réelles, et une « avant-garde large » militante existe,
y compris dans le mouvement syndical, réceptive
à une politique de convergence des luttes et à une
critique d’ensemble du capitalisme.
Déjà, le 4 février 2016, lors du rassemblement
place de la Nation en soutien aux 8 Goodyear, Mickaël
Wamen a énoncé une idée simple mais fondamentale
: il est temps de nous retrouver tous
ensemble, au même endroit, à la même heure et
pour la même cause.
C’est la mobilisation contre la loi Travail qui a
permis de franchir une étape, de rapprocher des
militants syndicaux, des militants de la grève, combatifs,
issus de secteurs différents, de diverses traditions
syndicales ou politiques, autour de cette
idée de la nécessaire convergence.
En participant en tant que salariés organisés en
interprofessionnelle – principalement postiers, travail
social, enseignants, SNCF – au cortège de tête
en région parisienne ainsi qu’à l’AG Interpro-Interluttes,
nous obligeant par là-même à ouvrir un dialogue
avec des courants libertaires ou autonomes,
en intervenant à « Nuit debout » notamment en lien
avec les commissions « convergences des luttes »
et « grève générale », et enfin en nous opposant
aux fouilles et contrôles lors des manifestations,
nous avons eu comme orientation d’unifier toutes
celles et tous ceux qui sont favorables à la perspective
de la grève générale et qui n’ont pas peur de
s’organiser indépendamment des directions réformistes.
Bien sûr, nous avons eu des divergences,
des débats en AG Interpro/Interluttes, sur la façon
la plus adéquate de massifier la mobilisation, sur la
centralité de la classe ouvrière, sur les démarches
collectives plutôt que les logiques individuelles ou
minorisantes.
Au gré de ces batailles que nous avons menées aux
côtés d’autres, des contacts se sont créés entre les postiers
des Hauts-de-Seine, la compagnie Jolie Môme,
mais aussi avec Info’Com-CGT et la CGT-Goodyear.
Deux mobilisations, à l’occasion des procès des
Goodyear les 19-20 octobre et le 11 janvier, ont renforcé
les liens tissés avec l’équipe de syndicalistes
de Goodyear, Info’Com et la CGT Energie Paris.
Dans la foulée du travail effectué en commun
pendant le mouvement contre la loi Travail et au
moment du procès des Goodyear, un collectif militant
s’est formé autour d’un accord sur quelques
idées-clés :
- c’est le rapport de forces qui est déterminant, et pas les élections ;
- le regroupement des luttes est une nécessité ;
- le combat à mener ne doit pas seulement être « économique », mais doit porter sur des questions politiques comme celles des violences policières, du racisme, de l’environnement ;
- nous devons être prêts à nous opposer à la politique des directions syndicales ;
- il faut se battre ensemble sur la durée, pas uniquement à l’occasion d’une manifestation.
Ce dernier point est déterminant : l’objectif est de
nous regrouper bien au-delà d’une manifestation.
Si nous sommes capables d’agréger des secteurs
militants significatifs, notamment ouvriers, prêts
à agir ensemble en direction des entreprises et
de la jeunesse, nous serons en position de réagir
rapidement et même de prendre l’initiative dès le
lendemain du premier tour de la présidentielle, et
surtout dans la période qui suivra l’élection.
Dans le cas probable d’une présence du FN au
deuxième tour, et plus généralement face à la
montée de l’influence de l’extrême droite, l’existence
d’un pôle ouvrier combatif, visible dans la
rue, donnera du poids à l’idée que ce n’est pas
avec le bulletin de vote que l’on combat le FN,
mais par la lutte de classe.
Dans tous les cas de figure, un tel collectif militant,
qui se pose d’emblée le problème de combattre
la politique des directions réformistes, sera
un point d’appui pour appeler largement à la lutte
dès l’annonce des mauvais coups qui ne manqueront
pas de pleuvoir cet été. Et dans les mobilisations
qui se produiront inévitablement à l’avenir,
ce sera un levier pour proposer une politique de
généralisation de la lutte et de confrontation avec
la classe dirigeante. Si une mobilisation significative
éclate dans un secteur, un pôle ouvrier déjà
existant la soutiendra et s’emploiera à l’étendre. Et
en cas de mobilisation interprofessionnelle, c’est
la capacité à mener de manière coordonnée une
politique indépendante des directions réformistes
dans un nombre suffisant de secteurs qui sera décisive
pour gagner. Voilà à quoi peut servir le pôle
ouvrier en cours de constitution autour du « Premier
tour social ».
Xavier Guessou