Le premier bilan des élections est évidemment la marginalisation des partis politiques qui avaient structuré l’alternance gauche-droite depuis l’élection de Mitterrand en 1981.
Le parti Les Républicains
(ex-UMP, ex-RPR) n’a pas réussi à
se qualifier pour le second tour
de l’élection présidentielle, perdant
2,5 millions de voix par rapport
à celle de 2012 (soit plus du
quart de son électorat). Il vient
de perdre 82 députés à l’Assemblée
nationale, soit 42 % de ses
élus, passant de plus de 7 millions
de voix au premier tour des
législatives de 2012 à un peu plus
de 3,5 millions de voix en 2017.
Le PS n’a recueilli qu’un peu
moins de 2,3 millions de voix au
premier tour de la présidentielle
2017 – plaçant son candidat en
quatrième position – alors qu’il
avait recueilli près de 10,3 millions
de voix au premier tour de la présidentielle
de 2012, soit la perte
des trois quarts de ses électeurs.
Il est ramené au niveau de marginalité
qu’il avait connu en 1969
avec la candidature de Gaston
Defferre, avant que Mitterrand
n’engage sa reconstruction à partir
du congrès d’Epinay, en 1971.
Une marginalisation confirmée
par le résultat des législatives :
le nombre de ses députés passe
de 280 en 2012 à 30 en 2017, soit
la perte de 250 sièges. Il a perdu
près de 78 % de ses électeurs,
passant 7,6 millions de voix au
premier tour des législatives 2012
à moins de 1,7 million en 2017.
Le deuxième fait est le niveau
record des bulletins blancs ou
nuls et des abstentions : au
second tour de la présidentielle,
plus de 4 millions des votants
ont tenu à se déplacer dans
un bureau de vote pour dire
qu’ils ne choisiraient pas entre
Macron et Marine Le Pen, la candidate
du Front national. C’est
un nombre deux fois plus élevé
qu’en 2012 et presque 2,5 plus
élevé qu’en 2002, lors du duel
entre Chirac et Le Pen père. Il
faut évidemment ajouter les 12
millions d’abstentionnistes (10,5
millions au premier tour). Cela
fait plus de 16 millions d’électeurs
(34 % du corps électoral)
qui n’ont pas jugé utile d’aller
choisir entre Macron et Le Pen.
Ces chiffres devraient pousser
certains à se poser des questions
sur leur compréhension de
la période de turbulences dans
laquelle nous sommes manifestement
entrés. Par exemple, ceux
et celles qui avaient cru devoir
dénoncer le « gauchisme » du
slogan « Peste ou choléra, on
n’en veut pas » inscrit sur l’affiche
du Front social, entre les
deux tours de la présidentielle
(et qui avait été condamné par
Martinez sur Europe 1) ou du
« Ni patrie, ni patron ; ni Le Pen,
ni Macron » de manifs organisées
dans la même période.
Aux législatives, là encore,
avec plus de 51 % d’abstention
au premier tour (contre moins
de 43 % en 2012), puis plus de
57 % au second (contre 44,6 %
en 2012), on a assisté à de nouveaux
records. Sur un corps électoral
d’un peu plus de 47 millions
d’électeurs, ils ont été un
peu plus de 27 millions à s’abstenir,
sans compter les millions
de personnes qui ne sont pas
inscrites sur les listes électorales.
Même la poussée des votes en
faveur de Le Pen ou de Mélenchon
au premier tour de la présidentielle
n’est pas parvenue
à modifier cette tendance. Si
Le Pen recueille plus 7 600 000
voix au premier tour de la présidentielle,
en progression d’un
peu plus de 16 % par rapport
à 2012, le FN n’en recueille plus
que 2 990 000 au premier tour
des législatives, soit seulement
39 % des voix obtenues en avril.
Quant à Mélenchon, qui recueille
un peu plus de 7 millions de
voix à la présidentielle, en progression
de 77 % par rapport
à 2012, sa France insoumise ne
recueille plus qu’un peu moins
de 2,5 millions au premier tour
des législatives, soit seulement
35 % des voix de la présidentielle.
Tout cela témoigne d’une
révolte et d’un rejet inédit de ce
système et de ses institutions de
la part d’une fraction importante
de la population qui n’attend
plus rien des élections. Cela ne
signifie pas qu’elle bascule spontanément
dans l’action pour
aller chercher ce qu’elle estime
ne plus pouvoir obtenir par le
vote. Mais c’est une donnée à
prendre en compte pour réfléchir,
face au durcissement de
l’offensive libérale annoncée
par Macron, à notre manière
d’intervenir pour contribuer
à la construction de la riposte.
Une offensive accélérée
Des ordonnances pour prendre
le mouvement ouvrier de vitesse
Macron et Philippe disposent
bien de la majorité absolue dont ils
avaient besoin à l’Assemblée pour
engager leur offensive en vue de
la refonte totale du Code du travail
par le moyen des ordonnances.
Le parlement ne sera sollicité qu’à
deux reprises : une première fois,
fin juillet, pour examiner et voter
le projet de loi autorisant le gouvernement
à faire la loi par ordonnances
pendant six mois. Une
seconde fois pour voter la loi de
ratification des ordonnances, que
le gouvernement compte adopter
dès le 20 septembre en Conseil
des ministres.
Ce choix de légiférer par ordonnances
au sortir des séquences
présidentielle et législative a pour
but de mettre à profit la période
des congés pour entraver, tétaniser
la contestation sociale
qui avait eu tout le temps de se
déployer contre la loi Travail.
Depuis le 12 juin, le gouvernement
a engagé ses 48 réunions
de concertation avec les organisations
dites représentatives, qui
vont se poursuivre jusqu’au 21 juillet.
Elles portent sur trois thèmes :
jusqu’au 23 juin, c’était à propos
de l’articulation entre l’accord
d’entreprise et la convention de
branche, pour consacrer la primauté
des accords d’entreprise
sur les conventions collectives et
le Code du travail. Du 26 juin au
7 juillet, sur la « simplification et
le renforcement du dialogue économique
et social », c’est-à-dire la
fusion des institutions représentatives
du personnel (DP, CE, CHSCT).
Du 10 juillet au 21 juillet, sur la
sécurisation des relations de travail,
c’est-à-dire le plafonnement
des indemnités prud’homales
pour licenciement abusif et les
règles entourant les licenciements.
Depuis les fuites dans la presse
(dans Le Parisien du 5 juin et Libération
du 6 juin à propos des ordonnances,
dans Le Monde du 21 juin
et sur Mediapart le 23 juin à propos
du projet de loi d’habilitation
à légiférer par ordonnances), nous
avons pu prendre connaissance
des « réformes » du droit du travail
qui vont être demandées par le
gouvernement et qui pourraient
se concrétiser autour de huit
ordonnances. Certaines sont dites
« prioritaires », le gouvernement
n’a aucunement l’intention de tergiverser
dessus. Les autres sont
désignées comme « moins prioritaires
» ou « non prioritaires », le
gouvernement se donne alors des
marges de discussion avec les syndicats
disposés à la conciliation.
Une première ordonnance
contre le CDI
La première ordonnance, qualifiée
de « prioritaire » pour tout
ce qui concerne le contrat de travail,
va renvoyer soit à la négociation
de branche dans quelques
cas, soit principalement à la
négociation d’entreprise – c’est-à-dire là où le rapport de force
est le plus défavorable aux travailleurs,
voire inexistant – sur
des thèmes pour lesquels la loi
prévoyait jusqu’à présent qu’il
était impossible de déroger
par accord d’entreprise ou de
branche. L’objectif est de revoir
à la baisse tout ce qui concerne
le contrat de travail en modifiant
les conditions de recours
aux CDD. La loi créera de nouveaux
cas dans lesquels il sera
possible d’y recourir, elle augmentera
(ou supprimera) leur
durée maximale et le nombre
de renouvellements possibles,
baissera la période de carence
entre deux contrats et facilitera
les cas de rupture.
Afin de modifier « les conditions
et les conséquences » de la rupture
du CDI, l’ordonnance pourrait
permettre de définir la durée
de la période d’essai et de prédéfinir
des motifs de licenciement
soit directement dans le contrat
de travail signé à l’embauche,
soit dans l’accord d’entreprise.
Serait renvoyé à la négociation
d’entreprise le niveau des indemnités
« légales » de licenciement
et la durée du préavis.
Toujours pour attaquer le CDI,
le projet de loi d’habilitation prévoit
également de favoriser le
recours au CDI « de chantier »,
contrat à durée « indéterminée »,
mais uniquement pour la durée
d’un chantier ou d’un projet défini
à l’avance. Dans l’automobile
par exemple, cela pourrait être un
contrat pour la durée de fabrication
d’un véhicule, soit sept ans !
Les autres mesures de cette
ordonnance sont présentées
comme « moins prioritaires ».
Elles envisagent de modifier les
règles encadrant le temps de travail,
par exemple la plage horaire
définie comme travail de nuit et
sa durée maximale ou ses contreparties
obligatoires en matière
de repos et de rémunération.
Elles envisagent de renvoyer au
niveau de l’entreprise la négociation
des salaires, tout en permettant
aux employeurs de ne plus
être tenus de respecter les minima
conventionnels des accords
de branche. Lors des premières
concertations, le MEDEF a fait
de cette question une priorité.
Pourraient aussi être renvoyées
à la négociation d’entreprise les
dispositions relatives à la sauvegarde
et au maintien de l’emploi
et toute la partie du Code
du travail qui définit l’ensemble
des protections en matière de
santé et de sécurité. Seuls les
seuils d’exposition aux matières
dangereuses resteraient définis
par la loi. Il en irait ainsi du
droit d’alerte des syndicats ou
du droit de retrait des salariés
en cas de danger grave et imminent,
ou encore de la protection
des salariés de moins de 16 ans,
des obligations en termes d’équipements,
de la configuration des
locaux de travail, etc.
Le projet de loi d’habilitation
prévoit aussi de pouvoir modifier
les obligations de l’employeur en
matière de reclassement pour
inaptitude, notamment celle de
proposer un nouveau poste à un
travailleur devenu handicapé.
Une deuxième contre
les indemnités prud’homales
La deuxième ordonnance qualifiée
de « prioritaire » concerne
le plafonnement des indemnités
prud’homales en cas de licenciement
abusif (donc illégal). Cette
ordonnance est présentée comme
devant « sécuriser » les entreprises
dont on nous dit qu’elles renonceraient
aujourd’hui à embaucher
en raison des risques encourus en
cas de licenciements « sans cause
réelle et sérieuse » !
Il s’agirait donc de « sécuriser »
l’employeur en instaurant un
plancher (inférieur au plancher
actuel des six mois de salaire minimum)
et un plafond (inférieur à
la moyenne des condamnations
actuelles). Les employeurs pourraient
donc choisir entre respecter
le droit du travail... ou provisionner
le montant des indemnités
qu’ils devront verser !
C’est la troisième fois que
Macron tente d’imposer cette
mesure. Il l’avait déjà fait dans
sa loi de 2015, mais elle avait été
retoquée par le Conseil constitutionnel.
Il l’avait réintroduite
dans la loi El Khomri, mais elle
avait été retirée face à la mobilisation
et pour s’assurer la collaboration
de la CFDT.
Enfin, les délais de recours
aux Prud’hommes, qui ont déjà
été ramenés de cinq à deux ans,
seraient encore baissés et de
nouvelles procédures s’ajouteraient
avant de pouvoir les saisir.
Une troisième pour
les référendums-chantage
La troisième ordonnance, qualifiée
de « non prioritaire », viserait
à faciliter l’adoption d’accords
d’entreprise dérogatoires
à la loi et aux accords de branche,
en étendant aux employeurs la
possibilité de les faire adopter
par voie de référendum dans les
cas où un accord serait refusé
par les syndicats représentant
au moins 50 % des salariés. Des
référendums qui s’appuient toujours
sur le chantage à l’emploi.
Cette possibilité est aujourd’hui
réservée aux syndicats minoritaires
représentant – à un ou plusieurs
– 30 % des salariés.
Une quatrième contre
les conventions collectives
La quatrième ordonnance,
qualifiée de « moins prioritaire »
viserait à redéfinir l’accord de
branche pour réduire le nombre
de sujets sur lesquels il prime
sur l’accord d’entreprise. Il y en
a actuellement six : les salaires,
les classifications, l’égalité professionnelle,
la pénibilité, la formation
professionnelle et la prévoyance.
Dans l’avant-projet qui a
« fuité », seuls le salaire minimum
et l’égalité professionnelle de la
branche continueraient à primer.
Une cinquième contre
les instances représentatives
La cinquième ordonnance,
qualifiée de « prioritaire »,
concerne la fusion des instances
représentatives du personnel
(IRP), avec la disparition des CE,
CHSCT et DP. Le texte précise,
sans rire : « sauf avis contraire des
entreprises concernées ».
Les CHSCT sont clairement dans
le collimateur, et avec eux leur possibilité
d’aller en justice, de faire
des enquêtes et de diligenter des
expertises. Sont également en jeu
la diminution du nombre des élus
proches du terrain. Les accords
d’entreprise pourraient ne plus
être négociés avec les délégués
syndicaux, mais avec ces nouvelles
IRP et donc avec des « élus » sans
attache syndicale.
Une sixième et une septième pour
mettre les syndicats sous tutelle
La sixième ordonnance, qualifiée
de « prioritaire », porterait
sur ce qu’elle désigne comme
le renforcement des moyens
du « dialogue social » comme
contrepartie à la fusion des IRP.
Elle prévoit le renforcement de
la formation des élus (sans préciser
ce que cela signifie en termes
d’ingérence de l’employeur dans
le contenu de cette formation) et
l’introduction du « chèque syndical
», promis par Macron dans son
livre programme Révolution, sur
le modèle de ce qui se fait dans
le groupe AXA : la direction distribue
chaque année un « chèque »
de 250 € à chaque salarié. Mais ce
salarié ne peut pas le toucher lui-même.
Il peut alors décider de le
remettre ou pas, à l’organisation
syndicale de son choix, en restant
anonyme ou en donnant son nom.
La septième ordonnance, qualifiée
de « moins prioritaire »,
porterait sur des mesures incitatives
pour convaincre les entreprises
d’augmenter le nombre
des administrateurs salariés
dans les entreprises dotées d’un
conseil d’administration. Il s’agit
de répondre à une vieille revendication
de la CFDT et de la CGT.
Une huitième contre la Sécu
La huitième ordonnance, qualifiée
de « pas prioritaire » porterait
sur la réforme de l’assurance
chômage, avec en ligne de mire
la fin du paritarisme et la gestion
directe de ce régime par l’État.
Le gouvernement s’était engagé
à ce que cette réforme ne se fasse
pas par ordonnance, afin de ne pas
braquer les syndicats attachés au
paritarisme et dont il peut avoir
besoin pour faire passer ses ordonnances
sans agitation sociale.
Comme Le Parisien l’écrit, ce
« dossier est explosif, ce qui pourrait
obliger le gouvernement à prendre
plus de temps ». C’est probablement
ce qui va se passer puisque
ce sujet n’est pas visé dans le projet
de loi d’habilitation.
Par contre, celui-ci réintroduit
la facilitation des licenciements
économiques, en modifiant le
périmètre retenu pour apprécier
les difficultés d’un groupe international
qui licencie en France
(dans l’automobile, par exemple).
Aujourd’hui, la santé des sites
dans le reste du monde est prise
en compte. Le projet de loi prévoit
de modifier cette règle.
Depuis le 31 mai et le document
publié par Mediapart, on
connaît le calendrier de mise en œuvre de ces ordonnances :
- le 14 juin, envoi du « projet de loi d’habilitation à prendre des ordonnances » au Conseil d’État (celui qui a été révélé par Le Monde et Mediapart) ;
- mercredi 28 juin, examen en Conseil des ministres, adoption de ce projet ;
- dans la semaine du 24 au 28 juillet, examen et adoption par le Parlement ;
- le 28 août au plus tard, envoi des « ordonnances » au Conseil d’État ;
- dans la semaine du 4 au 8 septembre, consultation de divers organismes (dont certains où siègent les syndicats) ;
- le mercredi 20 septembre, adoption du paquet d’ordonnances en Conseil des ministres. Dès cette date, les ordonnances pourront être signées par le président de la République, puis promulguées et entrer immédiatement en application, sans avoir à attendre leur ratification par le Parlement.
Le projet de loi d’habilitation
prévoit par ailleurs que cette
ratification interviendra au plus
tard dans les six mois suivant le
vote de la loi d’habilitation, soit
au plus tard fin janvier.
Du côté des syndicats,
l’attentisme... au mieux
La CFDT et FO loin de
préparer l’affrontement
Berger de la CFDT a déclaré
après les fuites que « l’affrontement
stérile entre d’un côté les syndicats
et de l’autre, le patronat, où
la seule issue, c’est se taper dessus,
c’est ringard et dépassé ».
Du côté de FO, l’un des piliers de
l’intersyndicale contre la loi Travail,
interrogé sur les raisons pour lesquelles
son syndicat n’appelait pas
aux manifestations du Front social
le 8 mai dernier, Mailly a répondu :
« Une chose à la fois. Le président de
la République vient d’être élu, on va
avoir les premiers contacts. On verra
dans les semaines et les mois à venir
s’il y a une véritable concertation. Si
ce n’est pas le cas, il y aura des tensions
et des mobilisations ». Le 15
juin, la confédération a fait savoir
qu’elle « n’hésiterait pas […] à se
mobiliser contre ce qu’elle considérait
comme une loi Travail XXL » si
le gouvernement et le président
de la République ne prenaient pas
en compte « ses revendications »
et « ses lignes rouges »... Quand et
comment ? Nul ne le sait.
La CGT sans stratégie pour lutter
La CGT qualifie le projet de
« démantèlement de 120 ans de
droit du travail conquis par les luttes
sociales ». Si l’on tient compte du
calendrier serré choisi par le gouvernement,
il y a donc urgence à
construire la riposte. Perçue à une
échelle large comme à la pointe
de la mobilisation en 2016, la CGT
a une responsabilité particulière
pour l’organiser.
Le 17 mai, un communiqué
dénonçait « la casse du Code du
travail et de la protection sociale
qu’Emmanuel Macron compte
imposer, à coup d’ordonnances,
sous l’injonction de Pierre Gattaz,
pendant la période estivale ». Mais
dans le compte-rendu de la rencontre
à l’Élysée du 23 mai, on
lit : « Si le Président semble déterminé
sur sa volonté d’accroître
“la casse du Code du travail”, de
favoriser et d’étendre la négociation
en entreprise, il semble plus
mesuré sur la forme et les délais
de mise en oeuvre. En effet, s’il a
évoqué le recours à l’Assemblée
nationale […] pour pouvoir agir
par ordonnance, il a réaffirmé
sa volonté de dialogue avec les
organisations syndicales dans un
délai allant au-delà de l’été. Cela
reste bien entendu à ce stade
des déclarations ». Ou comment
minimiser la volonté du pouvoir
d’en découdre rapidement avec
les travailleurs et valoriser sa
« volonté » de dialogue social…
Les 6 et 8 juin, dans deux nouveaux
communiqués en réaction
aux révélations du Parisien et de
Libération, la CGT tire cette fois à
boulets rouges sur la « piètre stratégie
de camouflage du gouvernement
», qualifie d’« enfumage »
les consultations organisées,
dénonce sa volonté de « duper »
les syndicats avec ses 50 réunions
auxquelles elle se rendra « sans
pour autant être l’alibi d’un pseudo
dialogue social » et appelle à « se
préparer à la lutte et à la mobilisation
pour faire reculer les mauvaises
mesures ». Mais rien n’est annoncé,
en dehors d’une vague déclaration
de Catherine Perret, une
secrétaire confédérale qui affirme
qu’elle « part du principe qu’il y aura
forcément une journée d’action ».
Mais il faut attendre la toute fin
du mois de juin pour que la CGT
annonce enfin une date : elle aura
lieu le 12 septembre... Bien tard,
alors que les ordonnances seront
sur le point d’être adoptées ! Une
seconde date aurait lieu le 20 septembre...
Et l’on s’achemine ainsi
vers une répétition de journées
isolées jusqu’au vote de ratification
des ordonnances. Aucune
piste n’est avancée sur la stratégie
qu’il faudrait développer pour se
donner sérieusement l’objectif de
faire reculer le pouvoir.
Catherine Perret justifie ce flou
en nous expliquant que « réussir
une journée d’action est compliqué
en début de quinquennat car les gens
reportent leurs espoirs sur le vote
démocratique ». Cette explication
ne tient évidemment pas la route,
surtout avec le nombre sans précédent
d’abstentions et de votes
blancs et nuls à ces élections !
L’attentisme de la CGT a d’autres
causes bien plus profondes.
Pourquoi ces errements ?
Une partie du corps militant
ne voit pas comment ce qui a
échoué hier face à la loi Travail
pourrait marcher demain. Cela
demanderait d’accepter la discussion
sur ce qui n’a pas marché
dans la mobilisation, de questionner
la faillite de la stratégie
de la direction confédérale... ce
qui n’est pas à son programme !
En outre, la situation n’est
plus la même qu’en 2016. La
CGT tenait alors son congrès
confédéral. Sa direction devait
prendre en compte la pression
des équipes les plus combatives
qui poussaient à la grève
et à l’extension, ce qui l’a certainement
acculée à aller plus loin
qu’elle ne voulait. D’autant que
Martinez avait besoin de s’appuyer
sur les fédérations et les
unions départementales les plus
radicales – celles qui prônaient
la grève générale – pour asseoir
et consolider son autorité après
avoir été mal élu par un comité
confédéral national à l’occasion
du remplacement de Lepaon.
Enfin, l’annonce en avril dernier
que la CGT était supplantée par
la CFDT dans le privé a relancé le
débat sur le type de syndicalisme à
privilégier : syndicalisme « de proposition
» ou « de contestation ».
Interviewé à propos de l’image du
« syndicat qui dit toujours non »,
Martinez avait répondu : « Cette
image nous colle à la peau. Depuis
deux ans, je m’évertue à dire qu’on
doit être le syndicat qui dit non mais
qui pour autant conteste et propose ».
Ce qui l’amène aujourd’hui au choix
d’un positionnement lui évitant de
se placer « hors-jeu », marginalisé et
isolé par rapport aux autres confédérations
– CFDT, FO, CFTC et CGC
– dans la pseudo-concertation avec
le gouvernement. Et à refuser un
tête-à-tête avec Solidaires si FO
refuse de reprendre sa place dans
une intersyndicale.
Il est vital d’avancer sans attendre
dans la construction d’un cadre
pour prendre des initiatives. Sans
un tel cadre, les interpellations des
confédérations resteraient incantatoires.
C’est tout l’enjeu de la
construction et du renforcement du Front social.
Regis Louail