Du Royaume-Uni à un mouvement général pour la hausse des salaires

 Cet article est paru dans la revue Anticapitalisme & Révolution en octobre 2022.

Manifestation contre la vie chère, Londres, juin 2022. / Photographie : source.

Des dizaines de milliers de travailleurs et travailleuses se sont mis en grève au Royaume-Uni en juin, juillet et août. Les trains, les bus, le métro londonien, les principaux ports ont été bloqués. De nombreux secteurs dans lesquels la grève n'avait pas été utilisée depuis des décennies ont ressorti cette arme, la force des travailleuses et des travailleurs. Cet « été du mécontentement » a fait parler de lui en France, et a mis en lumière l'actualité d'une mobilisation générale pour la hausse des salaires, ici comme de l'autre côté de la Manche.


L'été du mécontentement

La principale raison de la colère des travailleuses et travailleurs du Royaume-Uni se résume dans la formule reprise par leurs syndicats : la « crise du coût de la vie ». La hausse des prix du gaz était de 100 % sur un an cet été, celle de l'électricité de 50 % et celle du fuel de plus de 110 %. Et ce n'est qu'un début puisqu'une nouvelle hausse des prix de l'énergie est annoncée pour octobre et les factures devraient à nouveau augmenter de 80 %. L'inflation est d'ores et déjà calculée à hauteur de 13 % en comptant la nouvelle hausse des prix de l'énergie et pourrait atteindre 18 à 20 % au début de l'année 2023. Dans ce contexte, on comprend le mécontentement – le mot est faible – de la classe ouvrière qui s'est vue à peu près partout proposer des miettes par un patronat un peu trop sûr de lui.

Dans les transports ferroviaires, les hausses de salaires gracieusement offertes par les employeurs étaient de l'ordre de 5 %. Il s'agissait donc d'une perte de pouvoir d'achat de 5 points au minimum. Les conductrices et conducteurs de trains menés par le syndicat Aslef ainsi que des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs du ferroviaire organisés principalement par les syndicats RMT et TSSA ont fait grève à tour de rôle et immobilisé le pays à plusieurs reprises au cours de l'été. Les secteurs des bus puis du métro londonien leur ont emboîté le pas, et ont également provoqué des perturbations importantes des transports du fait de journées de grève très suivies.


Surtout, certains secteurs qui n'avaient pas été en grève depuis trente voire quarante ans ont rejoint la mobilisation. Des professions peu habituées à la conflictualité ont tenu des piquets de grève comme les avocats commis d'office, les journalistes, les employés des pubs. En Ecosse, les éboueurs d'Edimbourg ont arrêté de ramasser les ordures en plein Fringe, le plus gros festival de la capitale. D'autres secteurs dominés par la précarité des contrats de travail ont également utilisé l'arme de la grève, parfois de façon sauvage, c'est-à-dire sans que des syndicats n'aient validé le mouvement. Au sein des entrepôts Amazon, à Tilbury d'abord puis sur les sites de Coventry et Bristol, des grèves ont ainsi démarré début août quand la direction a cru pouvoir annoncer 3 % d'augmentation aux salariés.


Des syndicats pas forcément à la hauteur

Certaines grèves, comme à Amazon, ont été lancées par la base, sans que les syndicats n'aient le temps de mettre en œuvre la trop longue procédure qui encadre normalement obligatoirement l'exercice du droit de grève au Royaume-Uni. Depuis les années Thatcher et la répression des grandes vagues de grève des mineurs et des ouvriers du livre, les syndicats ne peuvent plus déclencher une grève sans avoir organisé un vote de leurs adhérents, une procédure de consultation qui peut durer plusieurs semaines.

A force d'adaptation aux procédures imposées et à mesure que se perdait le réflexe de la grève et de la lutte pour gagner des droits, les syndicats ont perdu des adhérents et ne comptent plus aujourd'hui qu'environ 6,5 millions de membres contre 13 millions dans les années 80. A peine 13 % des salariés du privé sont syndiqués (contre 50 % dans le secteur public).

Il faut dire que les directions syndicales ne sont pas forcément à la hauteur des enjeux de la période. A la mort de la Reine, les principaux syndicats ont accepté d'arrêter le mouvement de grève. Le syndicat des postières et postiers du Royal Mail a annoncé dès le 9 septembre, lendemain du décès d'Elizabeth II, l'annulation des grèves « par respect pour son service rendu à la patrie et pour sa famille »... Le puissant syndicat des conducteurs de train, Aslef, a également annoncé l'annulation d'une grève qui était prévue le 15 septembre. De même du côté des principaux syndicats du secteur des transports et du rail, le RMT ainsi que TSSA, félicités par le patronat du secteur ferroviaire pour avoir respecté la période de deuil national. Les représentants d'Aslef et du RMT se sont empressés de présenter leurs condoléances à la famille royale, au nom de l'unité nationale. Le Trade Union Congress (TUC), principale confédération syndicale, a de son côté repoussé son congrès annuel en octobre alors qu'il était prévu en septembre et revêtait une importance stratégique pour la poursuite et la coordination des différentes grèves en cours. Sur son fil tweeter officiel, le TUC a reconnu les « nombreuses années de service dévoué au pays » de la reine. Pas un mot n'a été dit par ces directions syndicales sur les dizaines de millions de livres annuellement ponctionnées sur les finances publiques pour couvrir les dépenses de la famille royale.


Fin de la trêve, reprise de la grève en ordre dispersé.

Fin septembre, les grèves ont commencé à être à nouveau annoncées par les syndicats. Car si certains ont gagné, comme chez Stagecoach, où la compagnie de bus a lâché une augmentation historique des salaires de 13 %, c'est loin d'être le cas partout. Ainsi, les dockers du port de Felixstowe, premier port de conteneurs du Royaume-Uni, ont fait plus de huit jours de grève fin août pour demander des augmentations de salaires, et ont redémarré le mouvement, emmené par le syndicat Unite, le 27 septembre pour une nouvelle période de huit jours. Ce sont 1900 ouvrières et ouvriers portuaires qui sont actuellement en grève, auxquels s'ajoutent 500 autres du port de Liverpool, en grève depuis le 19 septembre et jusqu'au 3 octobre au moins. Dans les deux ports, les salariés refusent d'accepter l'offre patronale d'augmentation des salaires de 7 % alors que l'inflation réelle est de plus de 12 %.

Les grèves dans le secteur des transports ont également repris à compter du 1er octobre mais les syndicats marchent séparément : après une journée commune le 1er octobre, une grève concernant uniquement les conducteurs du syndicats Aslef est prévue le 5 octobre tandis que le RMT prévoit une seconde journée le 8 octobre.

Certains secteurs publics ont annoncé des mobilisations pour l'automne, comme le Royal College of Nursing, le syndicat des infirmières, qui a, pour la première fois de son histoire plus que centenaire, recommandé à ses adhérents et adhérentes de cesser le travail, dans le cadre d’un mouvement qui devrait se dérouler en octobre. L’éducation nationale prépare aussi des actions sociales à l’automne.

Mais, comme cet été, aucune grande manifestation interprofessionnelle ni aucune vraie coordination des actions n'est annoncée pour l'automne. Une première journée d'action le 1er octobre n'a réuni que quelques dizaines de milliers de personnes dans différents rassemblements dans tout le pays, il s'agissait de la journée organisée par la campagne dite « trop c'est trop » (« enough is enough ») organisée par le syndicat des télécoms CWU et des élus travaillistes. Elle avait beau coïncider avec une nouvelle journée de grève des trains, aucune vraie convergence n'était organisée.


Stratégie perdante des directions syndicales

De son côté le TUC qui regroupe le plus grand nombre de syndicats en Angleterre et au pays de Galles (48 syndicats, totalisant environ 5 millions de membres), affiche une stratégie très institutionnelle : son programme pour un « automne d'action » est constitué d'une unique journée nationale d'action le 14 octobre et d'un événement de lobbying des membres du parlement le 2 novembre, consistant à inciter les travailleurs et travailleuses à prendre rendez-vous avec leur député ce jour-là pour leur faire part des difficultés liées au coût de la vie...

La conséquence de cette division syndicale et de ces stratégies purement institutionnelles est que le nouveau gouvernement de la très à droite Liz Truss se sent pousser des ailes : en plus de faire adopter un budget qui fait la part belle aux baisses d'impôts des plus riches, elle a clairement annoncé son intention de limiter le droit de grève. Le gouvernement veut imposer un service minimum dans les transports, et rendre illégale toute grève n'ayant pas été précédée de négociations.


En France aussi, l'urgence d'une mobilisation générale pour les salaires

Les grèves au Royaume-Uni nous rappellent que pour faire reculer le patronat et obtenir des victoires qui tiennent dans la durée, il faudra plus qu'une ou deux journées nationales d'action. En France, les manifestations du 29 septembre pour l'augmentation des salaires ont été globalement réussies mais on est encore loin du niveau de mobilisation nécessaire pour obtenir des avancées.

Les travailleuses et travailleurs du Royaume-Uni nous rappellent surtout que la seule arme qui vaille, la vraie force, reste la grève, celle qui bloque l'économie, celle qui touche au porte-monnaie des patrons.

En cette fin septembre, ce sont notamment les ouvriers de PSA-Stellantis qui ont fait parler d'eux dans la bagarre pour l'augmentation des salaires. Pour revendiquer l'embauche des intérimaires et une augmentation des salaires de 400 euros par mois, les grèves ont commencé dans le Nord le 16 septembre par le site d'Hordain avant de s'étendre à Douvrin puis à Valenciennes. Le jour-même, sans tergiverser, Jean-Pierre Mercier pour la CGT PSA, appelait à étendre la grève à tous les sites. La semaine suivante, des débrayages ont eu lieu sur tous les sites du groupe, avec des participations massives comme à Sochaux et Mulhouse où plus de 1000 salariés ont arrêté le travail. Sur les réseaux sociaux, Jean-Pierre Mercier recensait 4300 ouvriers en débrayage le 28 septembre.

Dès le 27 septembre, la direction, avait annoncé vouloir discuter d'une prime exceptionnelle – qui ne réglera pas dans la durée le problème des salaires trop faibles, surtout en période de forte inflation. Cette fébrilité de la direction montre que le patronat redoute de voir les grèves s'étendre. Rien de pire que des grèves qui prennent en même temps sur différents sites, avec les mêmes revendications. Surtout si les syndicats sont menés par des militants et militantes qui ont à cœur de faire converger les bagarres, de construire un mouvement d'ampleur, pour une grève générale qui commencerait par arracher des hausses de salaires et ne s'arrêterait pas en si bon chemin.

Marie-Hélène Duverger