Malgré l'interdiction de manifester et les menaces d'intervention militaire de la part de Pékin, 1,7 millions de personnes ont a nouveau pris la rue le 18 août à Hong Kong. Ici, nous publions un article de Lam Chi Leung, socialiste révolutionnaire de Hong Kong que nous avons interviewé en juillet, publié* après la grève générale du 5 août, qui détaille les coordonnées de la situation et l'évolution du mouvement.
« On est à un
moment crucial du mouvement »
Témoignage de Hong
Kong alors que le mouvement a gagné un recul sur la loi
d'extradition.
Après bientôt deux
mois de contestation, le mouvement de masse hongkongais arrive à un
moment crucial. Le mouvement a préparé des grèves qui ont commencé
ce lundi (NDLR : 5 août). Environ quatre-vingt-seize syndicats,
de la Confédération des syndicats de Hong Kong, ont annoncé leur
soutien à la grève. Et des salariés de Hong Kong Airlines et
Cathay Pacific, du travail social, de Radio-télévision Hong Kong,
des universitaires ont annoncé leur participation.
Cette tentative de
grève politique est importante, c'est la première depuis la vague
de grèves contre le joug colonial britannique en 1967. Et elle
arrive à un moment où des fissures apparaissent au sein de la
classe dirigeante. Le Parti libéral, parti du grand patronat et
soutien du régime chinois, a dû appeler à la démission de Carrie
Lam, cheffe de l'exécutif de Hong Kong. Elle a été nommée à
cette fonction par la Chine, qui gouverne Hong Kong sous le statut de
« région administrative spéciale ». Les libéraux ont
aussi pris position en faveur d'une enquête indépendante sur les
violences policières à la fin juin. Des organisations patronales,
la Chambre générale de commerce de Hong Kong et la Chambre
internationale de commerce, y ont fait écho.
Le résultat d'une
pression par en bas
Un rassemblement,
appelé par des fonctionnaires à la base, a vu 40 000 personnes
descendre dans la rue le 2 août. En même temps, Carrie Lam refuse
toujours de retirer complètement le projet de loi d'extradition qui
a été suspendu. Cette loi draconienne, qui a déclenché les
manifestations en juin, faciliterait la possibilité pour le régime
chinois d'extrader des gens (NDLR : vers la Chine). Cependant,
même si des divergences claires apparaissent au sein du
gouvernement, elles n'en sont pas au point d'une rupture ouverte.
Le mouvement s'est
étendu à tout Hong Kong. Depuis juillet, des rassemblement, des
manifestations et des blocages routiers ont eu lieu à Tsim Sha Tsui,
Sheung Shui, Tuen Mun, Sha Tin, Yuen Long, Tseung Kwan O et Sheung
Wan. Le nombre de participants va de la dizaine de milliers à plus
de 200 000 personnes. Les manifestants et manifestantes mettent
en avant cinq revendications principales, avec en premier lieu le
retrait complet du projet de loi d'extradition. Ils et elles veulent
que la police arrête de qualifier les manifestations du 12 juin
d'émeutes, la relaxe inconditionnelle de tous les manifestants
arrêtés et une enquête indépendante sur le comportement de la
police. Les manifestants et manifestantes veulent plus de droits
démocratiques, revendiquant le suffrage universel et l'élection
démocratique des dirigeants du territoire.
Le gouvernement de Hong
Kong espère les discréditer en les présentant comme une foule
émeutière. En faisant cela, il espère regagner auprès des masses
une popularité qui est pour l'instant au niveau le plus bas
historiquement. En dépit de ses efforts, l'opinion publique ne s'est
pas significativement retournée. Au contraire, la collision évidente
entre la police et le crime organisé a nourri encore plus de colère
dans la population ordinaire.
Un incident de ce type
s'est déroulé à Yuen Long, une ville des Nouveaux Territoires, le
soir du 21 juin. Environ trois cents personnes entraînées au sein
des Triades, ces gangs criminels, sont entrées dans une station de
métro et ont attaqué sans distinction les manifestants et les
passants. La police est volontairement restée en retrait, laissant
un grand nombre de personnes subir des blessures. Le même soir, le
politicien Kwan-yiu Junius Ho a été filmé en train de soutenir ces
gangsters. Il a dit à une de leurs bandes : « Vous êtes
tous mes héros », et leur a tendu le pouce. Les Triades sont
directement contrôlées par les propriétaires immobiliers des
Nouveaux Territoires, une couche qui était privilégiée sous le
règne colonial britannique. Depuis que Hong Kong est revenue à la
Chine en 1997, le régime chinois les utilise à ses propres fins. Il
prétend qu'elles sont la colonne vertébrale des forces
« patriotiques, agissant pour l'amour de Hong Kong » sur
le terrain. Cette forme de violence soutenue par l'État n'a pas
dissuadé les manifestants. Six jours après l'attaque de Yuen Long,
plus de 200 000 personnes sont descendues dans la rue, défiant
l'interdiction prononcée par la police. Les manifestants ont monté
des piquets d'auto-défense pour se protéger de nouvelles attaques
de la mafia.
Certains manifestants
et certaines manifestantes ont compris qu'il fallait s'unir aux
masses de la Chine continentale. Des tracts sont distribués aux
touristes qui en viennent pour expliquer le sens et l'importance de
ce mouvement de masse.
Un mouvement de
masse qui a aussi des faiblesses
Les manifestantes et
manifestants sont facilement tentés par la police d'attaquer des
lieux sensibles, encourant une répression plus lourde encore. Il y a
aussi une menace de l'extrême droite. Des individus manifestants ont
tagué « Chink », une insulte raciste anti-chinoise, sur
le bâtiment du bureau de liaison des officiels du régime chinois
envoyés à Hong Kong. Depuis la mi-juillet, le slogan « Libération
de Hong Kong, révolution de notre temps » s'est popularisé
dans les manifestations. Ce slogan est dérivé du groupe politique
d'extrême droite Indigènes de Hong Kong. L'usage de ce slogan par
ce groupe sous-entend lourdement une forme de « discrimination
ethnique » contre les résidents de Chine continentale et les
nouveaux immigrés de Chine. Cependant, la façon dont la majorité
des jeunes qui utilisent ce slogan l'interprète est pour le moment
incertaine.
Pendant ce temps, le
régime du Parti communiste chinois (PCC) soutient Carrie Lam et la
police jusqu'au bout. Il veut que le gouvernement de Hong Kong
commence à refuser certains dépôts de manifestations et renforce
la répression policière à l'encontre des plus radicaux. À moins
que la police de Hong Kong ne parvienne plus à contrôler la
situation par elle-même, il est peu probable que le régime envoie
l'armée.
Des questions pour
faire avancer le mouvement
La gauche socialiste à
Hong Kong, qui n'est pas alignée sur le régime du PCC, soutient
pleinement les grèves politiques. Elle appelle à intégrer des
revendications sociales et économiques aux revendications des
grévistes. La grève de lundi (5 août) n'était qu'un premier
essai, une grève générale plus grande et plus longue sera lancée
ultérieurement. En même temps, les manifestants et manifestantes,
les syndicats ouvriers et étudiants, les mouvements sociaux doivent
se regrouper en un comité d'action commun pour diriger la lutte. À
travers ce comité d'action, la force ouvrière et les mouvements
pourront converger. Et cela établirait une auto-organisation de
masse à même de défier le pouvoir de la classe dominante.
Lam Chi Leung,
socialiste révolutionnaire de Hong Kong
* publié originellement en anglais sur le site Socialist worker