- le même programme antilibéral, « L’humain d’abord », d’un réformisme fade ;
- la même révérence envers l’État tel qu’il est ;
- le respect complice de « l’indépendance » des bureaucraties syndicales, c’est-à-dire le refus d’engager leurs militants et les gens qu’ils influencent dans une quelconque politique sur le terrain de la lutte de classe, leur refus du coup de tenter d’offrir une quelconque perspective de lutte aux travailleurs, autre que celle des grandes confédérations.
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Publié dans la revue A&R
/ Le NPA et la crise du Front de gauche
Cette crise vient pour l’essentiel du désaccord entre le PG (et alliés) et le PCF à propos des municipales. Elle a pris des allures qui pourraient être pour nous, militants du NPA, surprenantes, si nous n’avions nous-mêmes connu cela ces dernières années… Mélenchon a traité Pierre Laurent de « tireur dans le dos » puis de « vendeur de Tour Eiffel ». Début janvier, au congrès du Parti de la gauche européenne (PGE, qui regroupe divers partis d’Europe dont le PG, le PCF, Die Linke, le Bloco portugais, Syriza etc.), à Madrid, le PG suspendu sa participation à ce cartel pour protester contre la réélection de Pierre Laurent à sa présidence. Martine Billard l’a justifié ainsi : « Nous considérons que le fait que le président du PGE appelle à aller sur la même liste que les sociaux-démocrates, deux mois à peine avant l’élection européenne, brouille le message d’autonomie du PGE, et ce, pas seulement en France. »
Où cette crise peut-elle mener ? Il ne s’agit ni de réduire cette crise du Front de gauche à des péripéties politiciennes ou à des purs affrontements d’appareils, ni de prédire hâtivement l’éclatement du front de gauche… et la radicalisation d’un PG qui se rallierait à la construction d’une « opposition de gauche » qui ne se limiterait pas à une contestation électorale et très institutionnelle.
Une fracture politique
Mélenchon a posté sur son blog un billet titré « Municipales : le front de gauche en piteux état » dans lequel on peut lire : « Le lâchage du Parti Communiste dans la moitié des villes de plus de vingt mille habitants et la volonté de réduire le Front de gauche à une étiquette donnée au plus offrant a rendu notre situation illisible (…). Avec de tels amis, nous n’avons plus besoin d’ennemis. Le Front de gauche est en lambeaux. (…) Le nombre de listes où les communistes ont ralliés les socialistes est trop important pour que nous puissions espérer faire comme s’il s’agissait de retards à l’allumage ou de spécificités locales comme dans le passé. C’est une ligne qui se substitue à une autre. Sans le dire. »
En fait la crise vient d’assez loin. Le PG souhaite taper dur sur le PS et le gouvernement pour se tailler une existence politique fondée sur le dégoût de leur politique. Le PCF, lui, a 8000 élus - bien plus que toutes les autres composantes du Front de gauche-. Ils cogèrent des villes, des départements et des régions avec le PS, et ont bien l’intention de se faire réélire. Ce qui passe par l’alliance avec le PS aux municipales et donc une mise en sourdine des attaques contre le gouvernement. Le PCF a donc bien plus besoin, comme appareil bureaucratique, d’une attitude à géométrie variable à l’égard du PS. Le PG peut se laisser davantage tenter par la radicalisation verbale et « l’autonomie » électorale.
Or jusque-là, ils avaient trouvé un accord. Aux présidentielles d’avril 2012 le candidat Mélenchon était « la tempête », aux législatives le PCF se réservait les candidatures gagnables et le Front de gauche prétendait « colorer la majorité de gauche ». Quand même un peu inquiets de l’avenir, les dirigeants des diverses composantes du Front de gauche ont ensuite élaboré un document de synthèse… à la Hollande, vague et lyrique à la fois, sur la « stratégie du front de gauche ». Mais le congrès du PCF, juste après, il y a u an, tentait d’imposer son compromis à tout le monde : au mieux, le front de gauche n’était ni dans la majorité ni dans l’opposition (voire « dans la majorité parlementaire » sans être « dans la majorité gouvernementale » selon le sénateur Pierre Laurent !), une campagne anti-austérité était lancée (sans décoller), les municipales étaient vouées à rester axées sur des enjeux municipaux et les européennes sur des enjeux européens. Entre les deux, le gouvernement, à critiquer mais pas trop, pour ne pas compromettre l’alliance municipale socialiste. Mélenchon aurait alors en échange le droit de tenir la vedette aux européennes. La « stratégie du front de gauche » pour une « nouvelle alternative majoritaire à gauche » devenait la tactique la plus politicienne qu’on puisse imaginer.
C’est ce deal que le PG a finalement refusé. Pour une raison sans doute déterminante : la volonté extraordinairement cynique du PCF de s’allier dès le premier tour avec les socialistes. Le PG a donc constitué avec d’autres des listes indépendantes du PS (au premier tour) dans quelques dizaines de villes, alors que le PCF, lui, présente dans les villes de plus de 20 000 habitants une moitié de listes communes avec le PS et une autre moitié Front de gauche.
En externe et en interne, le PG présente cette crise comme extrêmement grave. Mélenchon sur son blog : « Depuis le début de l’offensive « démocrate » en France, le danger est qu’il n’y ait plus de gauche politique dans notre pays, comme c’est le cas en Italie, laboratoire de pointe de la nouvelle orientation du mouvement social-démocrate. C’est cette issue dont nous avons coupé la route avec la création du Front de gauche. D’où l’acharnement des solfériniens à le briser par tous les moyens. (…) Ainsi donc, non, il ne s’agit pas d’une « gueguerre » ou d’une « bisbille »,comme disent certains commentateurs au front bas. Il n’y a aucun problème de personne au Front de gauche. Personnellement, je n’éprouve ni jalousie ni frustration. Mais il y a un lourd problème d’orientation. C’est un débat stratégique de fond. L’indépendance politique à l’égard du PS est une question fondatrice que n’évacuent pas de simples simagrées sur « la gauche rassemblée » et autres balivernes qui servent de bouée de sauvetage au naufrage des solfériniens. »
A l’entendre, le Front de gauche pourrait même se passer… de sa principale force, le PCF : « La présence ou non du parti communiste n’est pas l’horizon ultime de l’autonomie ni de l’existence d’une opposition de gauche ». Raquel Garrido (porte parole « internationale » du PG) a ainsi décrété la bouderie générale : « Il n’y aura ni meeting commun Laurent/Mélenchon, ni photo ensemble jusqu’aux municipales. On crée un cordon sanitaire avec ceux qui votent PS et on ne mettra pas la poussière sous le tapis. Se rabibocher, c’est apparaître comme des traîtres devant le peuple. »
Pas de rabibochage en vue, vraiment ?
Evitons de faire des paris sur l’avenir. Mais tout de même… On sait ce que veut le PCF : critiquer le gouvernement d’austérité tout en continuant de cogérer avec toutes les filiales locales du même gouvernement ! A Paris, se rallier à Hidalgo dès le premier tour tout en exigeant « un Paris moins cher » (sic : c’est un des slogans du PC parisien !) en échange de 13 conseillers de Paris. Et le PG ? il suffit d’écouter ce que disent ses dirigeants eux-mêmes, sans procès d’intention inutile mais aussi sans se laisser intimider par leurs rodomontades. Eric Coquerel (secrétaire national du PG), dans une interview à la revue Regards : « Le problème : pour la première fois depuis sa création, les partis du FdG abordent une élection nationale sans stratégie commune. Depuis 2009, parfois avec un vocabulaire différent, nous avons toujours été capables de proposer une ligne nationale : l’autonomie au premier tour vis-à-vis du PS, afin que les électeurs puissent choisir entre les lignes qui fracturent la gauche. Cette fois, le PCF, par la voix de son secrétaire général – raison pour laquelle nous l’interpellons nommément – assume une stratégie à géométrie variable : une fois avec ses partenaires du FdG, une fois derrière les socialistes. Et ce dans le premier scrutin suivant l’élection de François Hollande, ce qui le "nationalise" évidemment. D’ailleurs, tant dans le texte stratégique du FdG de janvier 2013 que dans le discours final de Pierre au PGE, les élections municipales et européennes sont reliées. Si l’on suivait cette stratégie, et quoi qu’en pensent les intéressés, le FdG serait ramené dans l’orbite du PS. Un cousin critique, bien sûr, mais un cousin quand même. ».
C’est nous qui soulignons : « autonomie au premier tour ». Donc pas au second. Et qu’on entende bien : dans un scrutin à signification « nationale ». Pas la peine pour lui de se cacher derrière des arguties sur le caractère « local » des municipales pour justifier la fusion de second tour avec le PS. S’opposer au PS, mais pas au point de ne plus être dans la « grande famille de la gauche » et se résigner au passage à n’avoir qu’une poignée d’élus.
Les questions de premier et second tour ne résument pas une politique, mais elles en concentrent parfois la vérité. Il y a un vrai désaccord politique au sein du front de gauche, mais aussi, toujours et encore, de profondes convergences de fond, qui expliquent largement cette ambiguïté calculée à l’égard du pouvoir socialiste (et donc de la bourgeoisie, car faut-il le rappeler, le PS est l’un des deux grands partis de la bourgeoisie française) :
Le PG et le PC ne se sont tout de même pas pacsés il y a cinq ans par hasard ou par malentendu politique !
La divergence sur la posture à adopter à l’égard du PS devrait donc s’atténuer voire s’éteindre au soir du premier tour, quand les uns et les autres appelleront à voter pour la « famille de la gauche », et quand la plupart (en position de le faire) se retrouveront finalement sur les mêmes listes que les socialistes au second tour.
C’est pour préparer ce nécessaire rabibochage que des délégations du PG et du PCF se sont donc retrouvées le 17 janvier à Paris. Par exemple en réglant… « l’affaire du logo » : le PG et ses alliés utilisent le logo à Paris sur leur liste indépendante du premier tour, et les communistes aussi… sur des matériels communs avec les socialistes (avec photo d’Anne Hidalgo). Le PG (dépositaire légal du logo), après avoir d’ailleurs dit envisager des poursuites judiciaires, propose au PCF de l’utiliser seulement sur le matériel non commun avec le PS. Quant aux européennes, il se retrouveraient tous ensemble, le PG et le PCF aurait chacun trois têtes de listes, une septième étant accordée à Ensemble (regroupement tout neuf des Alternatifs, de la Fase, de la moitié de la GU –l’autre se rallie de fait au PCF avec Piquet- de la GA, de Convergences & Alternative).
Si rabibochage a lieu, quel bilan pourrait alors être tiré de cette crise ? Le Front de gauche, à nouveau réuni, pourra continuer de marier la carpe et le lapin, la critique du gouvernement et la prudence politicienne et bureaucratique, ne proposant que des canaux très institutionnels à la colère, au lieu de perspectives de lutte sérieuses. Le PCF aura fait ce qu’il veut de ses positions municipales. Le PG aura tenté d’accroître son existence politique à l’égard du PCF, plus puissant, plus nombreux, plus implanté, en lui taillant des croupières politiques et militantes. Et revoilà la politique politicienne... qui n’était jamais partie.
Quel enjeu pour les révolutionnaires ?
Les positions prises par le PG et alliés d’un côté, le PCF de l’autre, ne peuvent pas nous laisser indifférents. D’abord ces positions ne sont évidemment pas équivalentes. Ensuite, pas mal de militants/es, y compris communistes, sont de toute évidence choqués par l’attitude du PCF, qui éclaire d’une lumière crue la duplicité de ce parti et les intérêts bien tangibles de toute une bureaucratie politique. Des militants/es du PCF sont d’ailleurs troublés, peut-être (mais ce serait à vérifier !) en rupture avec leur direction. A Paris, 43 % des militants/es ont voté contre la proposition d’alliance au premier tour avec le PS de la direction. A Lyon la majorité l’a rejetée contre l’avis des élus. Mais on pourrait espérer aussi que cela éclaire pour certains/es militants/es l’ambiguïté calculée du projet même du front de gauche ? En tout cas l’affrontement laissera des traces.
A nous d’en discuter le plus possible, avant peut-être qu’une « fenêtre » ne se referme, avec le retour d’un front de gauche plus uni et plus matamore que jamais aux européennes.
Mais quelle attitude de parti ?
C’est une illusion de croire qu’on influence d’autres militants en faisant alliance avec eux, si pour cela on doit le faire en en rabattant sur l’esprit de son propre programme, en s’alignant sur les superstitions et les non- dits habituels du front de gauche, en s’abstenant de commenter la politique des confédérations syndicales, en constituant des listes qui n’excluent pas de fusionner au second tour avec les socialistes. Même si les militants du NPA disent refuser de le faire pour leur propre compte. C’est malheureusement le cas d’une bonne partie des listes communes du NPA avec le PG et parfois le PCF.
Où sera alors la démonstration politique à l’égard de la population, des travailleurs, ou du milieu militant large ? Les gens sensés jugent d’un film par sa fin, et ils le feront donc en juin : à ce moment-là, selon toute probabilité, une partie du NPA se sera alliée électoralement, au premier tour des municipales, avec des forces qui se seront parfois alliées ensuite aux socialistes au second tour, et qui dès le mois suivant se rabibocheront avec leurs vrais cousins, ceux du PCF, pour faire liste commune aux européennes ! Et la politique nationale du NPA ? Invisible !
Sur ce point, nous, militants du NPA, nous avons peut-être encore des choses à apprendre… de Jean-Luc Mélenchon, qui pose ainsi le problème des politiques « à géométrie variable » : « Le Front de gauche est notre bien commun. (…) La ligne conductrice de notre action ne peut pas être dans les micmacs d’appareil mais dans l’accompagnement de la situation du pays et des gens vers l’opposition de gauche. (…) Être collés aux solfériniens est la pire position pour porter un discours d’opposition de gauche crédible aux yeux du grand nombre. On a le droit de ne pas le penser et de croire aux balivernes sur « les politique locales » qui serait d’un autre ordre que la politique nationale. C’est gravement méconnaître l’intelligence politique des citoyens et les résultats électoraux de ces dernières années. Mais nous n’avons pas le droit (…) de laisser la confusion s’installer et souiller tout le monde. »
Une ligne nationale. Et à la hauteur de la gravité extrême de la situation. Effectivement ! Alors on ne peut pas s’empêcher de penser que le NPA a loupé un coche. Qu’il n’a pu ou su, se donner une politique nationale visible et cohérente aux prochaines élections municipales. Celle-ci n’ aurait pas consisté à « tenter un coup » ou « faire un pari » en s’alliant partout avec le PG pour aiguiser les contradictions du front de gauche… quitte à se faire débarquer aux européennes et un peu plus dépouiller de son âme par des politiciens plus malins et surtout plus influents que nous. Mais à présenter le plus possible de listes anticapitalistes indépendantes, sans aucune compromission avec les notables « austéritaires » (comme on dit au PG). Difficile ? Assurément ! Il aurait d’autant plus fallu une volonté, et même un sacré volontarisme, de la direction du parti.
Il est urgent de réagir. En affirmant notre point de vue (et notre présence) aux européennes, d’un côté, et de l’autre en proposant aux militants/es du Front de gauche, de construire une opposition populaire et ouvrière sur le terrain de la lutte de classe. C’est une perspective éminemment politique, et pour le coup à rebours du consensus qui règne au sein des dirigeants (et non des militants/es) du Front de gauche : le refus de faire sauter les verrous du « dialogue social » et de l’inertie des directions syndicales.
Lettre d'information du courant n° 2
1er février 2014