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Publié dans la revue A&R
/ Il y a 10 ans le CPE : retour sur le mouvement de 2006
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En annonçant, le 16 janvier 2006, la création du contrat première embauche (CPE) dans le cadre de la « loi pour l’égalité des chances » (LEC), le Premier ministre Dominique de Villepin allait devoir affronter la troisième crise politique du quinquennat, après la victoire du « non » au référendum sur le Traité constitutionnel européen en mai 2005 et la révolte des banlieues de l’automne suivant.
Réservé aux jeunes de moins de 26 ans et assorti d’une période d’essai de deux ans, le CPE allait susciter plus de trois mois de débats, de contestation et de mobilisation, forçant le gouvernement à reculer. L’issue du mouvement « anti-CPE » est la principale victoire sociale de la dernière décennie. Nous revenons aujourd’hui sur la mobilisation de 2006 et sur la politique des révolutionnaires, en particulier celle des militantes et militants des Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), notamment pour aider à la réflexion sur l’intervention à développer dans le contexte créé par la grève du 9 mars.
L’unité… pour l’action
Si la journée de mobilisation annoncée par la CGT début janvier a permis au rejet du projet gouvernemental de s’exprimer dans la rue dès le 31 janvier, c’est une intersyndicale nationale réunie après les annonces de Villepin qui a appelé à une première journée de mobilisation contre le CPE le 7 février. Une coalition nationale des organisations de jeunesse a été formée sur une base minimaliste, contre le CPE seulement, mais elle a permis la formation de cartels locaux d’organisations dans de nombreuses villes, qui ont servi à convoquer des AG dans des dizaines d’universités. Cela a été l’occasion d’une vaste campagne d’information pour commencer à gagner une majorité au sein de la jeunesse, sur l’idée qu’aggraver la précarité des jeunes n’allait pas faciliter leur embauche. L’unité des organisations a donc joué un rôle capital dans l’impulsion du mouvement.
Contre la précarité, contre le gouvernement, pour la grève
Dans les premières AG de janvier et février, sur les revendications, les militants des JCR ont argumenté en faveur du retrait non seulement du CPE, mais aussi du contrat nouvelle embauche (CNE) et de la LEC. Le CNE, décalque du CPE, concernait les entreprises jusqu’à 20 salariés. Prendre clairement position contre le CNE signifiait s’opposer à la précarisation des jeunes ET des salariés. Combattre la LEC, c’était s’opposer à tous les dispositifs de précarisation des jeunes, tout en impliquant un affrontement avec le gouvernement, qui avait fait de cette loi sa réponse à la révolte des quartiers populaires de 2005. Ces revendications ont vite été adoptées par les AG étudiantes. Mais l’un des problèmes essentiels du mouvement était de se fixer des objectifs. Parmi les éléments les plus actifs, s’il y avait une compréhension du fait que le problème était plus large que le CPE, il existait une tendance à empiler les revendications les unes sur les autres, à élargir toujours plus leurs listes et à ne pas se concentrer sur des objectifs stratégiques. C’était l’une des principales faiblesses de la mobilisation, alimentée par les courants gauchistes. Au final, quand le CPE a été retiré, la plupart des étudiants et lycéens ont repris les cours, faute d’avoir été convaincus d’aller plus loin.
Nous avons d’emblée argumenté pour une grève s’inscrivant dans la durée : il s’agissait de ne pas se limiter à quelques journées d’action visant à faire pression sur le gouvernement, mais d’organiser l’affrontement. Dès que les AG atteignaient un certain seuil, nous défendions le blocage, qui correspondait à notre conception des piquets et d’une grève active où l’on cherche à étendre le mouvement. C’était une méthode adaptée à la situation : un mouvement minoritaire sur un plan militant, mais majoritaire au niveau de l’opinion dans les facs, même si aucun blocage ne peut remplacer le travail de conviction.
Construire la grève, l’auto-organisation du mouvement… et sa direction
La grève du 7 février a été bien suivie, sans être un raz-de-marée : 400 000 personnes. Le lendemain, l’intersyndicale a appelé à une nouvelle journée de grève... le 7 mars !
Nous avions donc un mois pour mettre les facs en grève. Cela exigeait bien sûr de structurer la mobilisation en développant tous les cadres d’auto-organisation pouvant impliquer les étudiants, augmenter leur compréhension des enjeux, construire une grève active contrôlée par ses protagonistes : AG, comité de grève, commissions, etc. Il fallait aussi créer une direction issue du mouvement, pour formuler une stratégie en vue de gagner. Le 8 février, seules quelques universités étaient en grève reconductible, notamment Rennes II et Toulouse. Au début du mouvement, la direction de l’UNEF donnait le ton à Rennes II, où le mouvement était très fort, mais les courants radicaux prédominaient à Toulouse. C’est sous notre impulsion que les étudiants de Toulouse ont appelé à la création d’une coordination nationale. En effet, lors du précédent mouvement étudiant en 2003, les deux coordinations nationales avaient été tardives et espacées de deux semaines : elles n’avaient servi qu’à accompagner le mouvement, rôle dont la direction de l’UNEF s’était très bien accommodée.
La convocation d’une coordination à Toulouse pour le 18 février a ainsi obligé la direction de l’UNEF à proposer la convocation à Rennes II de sa propre coordination, à la même date. Tout le monde s’est rallié à l’appel de Rennes, qu’au fond les réformistes n’avaient pas souhaité, mais qui regroupait les premières universités mobilisées. Dans cette coordination (une trentaine de facs), nous avons gagné deux batailles : sur les revendications, et sur les modalités de convocation de la coordination suivante. Les réformistes proposaient une prochaine coordination deux semaines plus tard, avec deux délégués par fac. Mais les facs les plus en pointe auraient été noyées au milieu des facs « retardataires » – la mobilisation était encore très inégale – et la seule chose qu’aurait pu faire une coordination organisée fin février aurait été de relayer l’appel au 7 mars des confédérations. Nous en avons proposé une dès la semaine suivante à Toulouse, avec cinq délégués par fac bloquée et en grève, et deux délégués par fac mobilisée.
Élargir le mouvement et accentuer l’affrontement
Avec le succès de la coordination de Toulouse, qu’ils ont boycottée, les réformistes ont été obligés de participer aux coordinations suivantes, d’où sont sortis des appels à des dates de plus en plus rapprochées.
Nous avons constamment cherché à élargir la mobilisation, tout en élevant le niveau de confrontation. Dans chaque université et nationalement, le mouvement s’est organisé pour entraîner les lycées. Jusqu’à 1000 lycées ont été bloqués. En mars, c’était virtuellement toute la jeunesse scolarisée qui était touchée.
Une certaine radicalité s’exprimait. Après l’adoption de la loi, la mobilisation ne s’est pas essoufflée. Les JCR ont alors expliqué que le gouvernement liait son sort à celui du CPE et de la LEC. Dans certains cortèges, on criait « Villepin, casse-toi avec ta loi ! », tandis que la coordination appelait à la démission du gouvernement.
Le lien avec la classe ouvrière
Les jeunes ont compris peu à peu qu’il n’allait pas être possible de gagner sans le monde du travail. Quand la grève de la jeunesse est devenue massive, elle a évidemment pesé sur l’opinion. Nous avons cherché à mener une politique délibérée pour chercher à s’adresser aux travailleurs et à les entraîner dans la bataille.
Les appels de la coordination étaient des outils pour cela, et nous avons mené des interventions directes grâce aux relais militants des courants révolutionnaires dans les entreprises (en particulier Fraction de LO, LO et JCR-LCR). Dans plusieurs villes, des brigades d’étudiants ont participé à des AG, à des rencontres et/ou distributions de tracts à la porte des entreprises.
Entre février et avril, l’intersyndicale a appelé à cinq journées de mobilisation et de grève. Le poids pris par la grève de la jeunesse et la politique offensive de la coordination ont même obligé les confédérations à appeler à deux grèves espacées d’une semaine, les 28 mars et 4 avril, qui ont regroupé trois millions de manifestants, un record.
La mobilisation prolongée des jeunes, la participation des salariés lors des journées d’action, avec des manifestations massives, et la peur d’une grève générale ont contraint le gouvernement à reculer. Mais les travailleurs se sont mobilisés pour l’essentiel lors de journées ponctuelles, en solidarité avec la jeunesse, même si quelques grèves reconductibles ont eu lieu localement. Un certain nombre de militants ont cherché à mobiliser les travailleurs sur leurs propres revendications, en expliquant que « c’était le moment ».
Sur les rythmes, à l’apogée du mouvement, les gauchistes combattaient les appels à des « temps forts », en se limitant aux appels à la grève générale. Nous comprenions que tant que ces appels n’étaient pas réellement suivis (même s’ils avaient un écho), il fallait faire des propositions de « temps forts » pour faire progresser la mobilisation. Fallait-il chercher à organiser un mouvement majoritaire dans la jeunesse, capable d’entraîner la classe ouvrière, ou se mobiliser de la manière en apparence la plus « radicale » possible sans souci de l’efficacité ?
A la coordination d’Aix (25 et 26 mars), alors que la coordination précédente avait déjà appelé à la grève et à des manifestations le 28 mars, les gauchistes ont expliqué qu’appeler de nouveau à une journée allait fournir une porte de sortie aux bureaucraties pour ne pas appeler elles-mêmes à la grève générale...
La question des porte-paroles et du comité national de grève
Sur l’essentiel, notre orientation était majoritaire parmi les étudiants les plus mobilisés, qui représentaient une minorité significative de la jeunesse ; cette minorité a elle-même entraîné une très large frange de la jeunesse dans la rue. Mais nous avons perdu une bataille décisive face aux courants gauchistes sur la question du comité de grève national. Les causes de cet échec sont sans doute la méfiance des jeunes pour toute forme de délégation, et notre retard à comprendre le rôle-clé de cette question. De plus, il n’y avait presque pas de comités de grève élus démocratiquement sur un plan local.
L’élection de porte-paroles dans les coordinations nationales a été un progrès important dans cette voie. Mais entravés par des mandats impératifs, les porte-paroles, se cantonnant à lire les appels des coordinations aux journalistes, n’ont pas pu empêcher Bruno Julliard de passer aux yeux de la majorité de la population pour le porte-parole du mouvement de la jeunesse.
Dans ces cas-là, il n’y a pas de solution intermédiaire : soit le mouvement se dote de ses propres structures de représentation et d’action à tous les niveaux (local et national), soit les bureaucrates gardent le contrôle.
Javier Guessou
Lire l'article Mouvementcontre la précarité de 2006 : premier bilan publié à l'époque
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Chronologie du mouvement
16 janvier : pour répondre à la révolte des banlieues de l’automne 2005, le Premier ministre Dominique de Villepin présente son projet de « loi pour l’égalité des chances », dont l’article 8 crée le Contrat première embauche (CPE).
19 janvier : 12 organisations de jeunesse se réunissent et lancent un appel à la mobilisation.
31 janvier : premières manifestations syndicales et étudiantes pour le retrait du CPE.
7 février : 400 000 jeunes manifestent dans toute la France.
9 février : Villepin utilise l’article 49-3 de la Constitution pour imposer son projet de loi.
16 février : nouvelles journées de manifestation,alors que les deux tiers des académies sont en vacances.
18 février : la première coordination nationale étudiante est organisée à Rennes.
23 février : journée d’action des lycéens et des étudiants ; la majeure partie des académies sont toujours en vacances.
5 mars : la coordination nationale réunie à Jussieu appelle à la grève reconductible étudiante à partir du 7 mars.
7 mars : près d’un million de personnes – jeunes et travailleurs – manifestent lors de cette journée d’action intersyndicale. Le gouvernement propose d’« enrichir le CPE ».
9 mars : la loi est adoptée par le Parlement.
10 mars : 45 universités en grève sur 84 ; la mobilisation s’étend dans les lycées mais le ministère « recense » 8 universités bloquées.
11 mars : en pleine nuit, l’évacuation de la Sorbonne par les CRS est le symbole du tournant répressif de la gestion de la crise par le gouvernement. La coordination de Poitiers appelle à poursuivre la mobilisation.
16 mars : 500 000 jeunes défilent et le mouvement touche 58 universités.
18 mars : 1,5 million de manifestants participent à la troisième journée de mobilisation à l’appel de l’intersyndicale, soit un tiers de plus que le 7 mars.
19 mars : Villepin exclut tout retrait du CPE.
20 mars : la coordination nationale de Dijon appelle à la grève générale.
23 mars : autour de 400 000 jeunes manifestent, de violents affrontements se produisent à Paris et la police procède à 630 interpellations.
28 mars : près de 3 millions de manifestants lors de cette nouvelle journée d’action intersyndicale ; Villepin se dit « ouvert » à des modifications à la marge ; Sarkozy prend ses distances et propose la « suspension » pendant les négociations.
31 mars : Chirac annonce la promulgation de la loi, mais avec une réduction de la période d’essai à un an et le droit de connaître le motif du licenciement ; en réponse, des manifestations s’organisent dans la soirée.
2 avril : la loi est publiée au Journal Officiel.
4 avril : proposée par la coordination, puis appelée par l’intersyndicale, la journée de grève et de manifestation est une réussite, avec 3 millions de manifestants et des taux de grévistes qui augmentent dans divers secteurs.
10 avril : retrait du CPE, l’article 8 de la loi est remplacé.
18 avril : le mouvement se termine dans les dernières universités mobilisées.
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Le mouvement et la question de son autodéfense
La mobilisation a soutenu un certain niveau d’autodéfense par rapport à la police et à l’extrême droite et au courant qui s'opposait parfois violemment aux grévistes et au blocage.
Les cortèges ont aussi été attaqués par des groupes de jeunes présentés comme des "casseurs de banlieue". La réponse brutale et le délit de faciès des services d’ordre des syndicats ont eu tendance à aggraver le phénomène, à créer une solidarité entre des éléments perturbateurs et certaines franges issues des quartiers les plus populaires. Il n’y a pas eu de réponse unifiée du mouvement sur cette question ; on peut évoquer une prise de position des grévistes les plus actifs pour l’amnistie des réprimés de la fin de 2005, ainsi qu’une tentative de mise en place de services d’ordre qui agissaient de manière politique : expliquer aux jeunes les plus turbulents qu’ils étaient les bienvenus dans les cortèges si c’était pour se battre contre la précarité et contre le pouvoir, mais que les grévistes se défendaient contre tous ceux qui les attaquaient. C’est cette politique qui permettait d’unifier les différentes composantes de la jeunesse et d’isoler les éléments « lumpen ».
JG
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Après le mouvement :
l’exclusion de 39 camarades révolutionnaires de l’UNEF
Durant tout le mouvement, les manifestations parisiennes ont commencé systématiquement par un affrontement pour savoir quel cortège allait prendre la tête : celui des facs auto-organisées ou celui de l’UNEF.
Dans un milieu et dans un mouvement où les non syndiqués étaient la très grande majorité, laisser l’UNEF prendre la tête des manifs, c’était la laisser porter la voix de la mobilisation. L’auto-organisation était pourtant forte, avec des assemblées générales dans toutes les facs, des coordinations au niveau national et parfois régional, notamment à Paris.
Peu après la victoire du 10 avril, la dernière réunion de la coord’ des facs d’Île-de-France a décidé par un vote de prendre la tête de la manif du 1er mai, attribuée par l’intersyndicale aux organisations étudiantes.
L’affrontement violent qui a eu lieu à Paris le 1er mai a été pour la direction de l’UNEF, proche de la gauche du PS, le prétexte pour exclure du syndicat les militants/es des JCR ou réputés proches d’eux. Alors que la tendance qu’ils animaient était très minoritaire, ceux-ci ont pris une place bien plus importante dans le mouvement, battant très fréquemment les propositions de la tendance majoritaire lors des votes d’AG. L’exclusion de 37 militants/es a alors été le moyen trouvé par la bureaucratie pour régler cette contradiction.
Dans toutes les facs où militaient ces exclus, se sont montés des « Collectifs pour une UNEF unie et démocratique », lesquels ont concurrencé l’UNEF dans toutes ses activités : des campagnes pour l’inscription des étudiants sans-facs aux élections étudiantes. Au bout d’un an, ces collectifs ont été réintégrés dans l’UNEF.
La morale de cette histoire ? S’il faut chercher à construire au quotidien le syndicat le plus large possible pour mettre en mouvement les étudiants/es, il ne faut jamais hésiter à nous opposer aux directions bureautiques, même publiquement et physiquement, quand celles-ci vont à l’encontre de l’auto-organisation et des intérêts du mouvement.
Jean-Baptiste Pelé