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Publié dans la presse du NPA
/ Guadeloupe : un département pas comme les autres
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Publié dans la presse du NPA
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La Guadeloupe est officiellement un département français depuis 1946. Il n’empêche que la situation y est encore fortement marquée par son passé de colonie. L’économie est toujours dirigée par quelques grandes familles békés, la lutte de classe y est exacerbée, les conflits nombreux et déterminés.
Au niveau économique, si la situation n’est pas brillante en métropole, elle est bien pire aux Antilles. En Guadeloupe, le chômage se situe aux alentours de 25 %, avec un triste record de 60 % pour les jeunes. Le niveau de vie s’établit à 67 % de celui de la métropole, et les prix y sont scandaleusement plus élevés, avec des écarts de 20 à 100 %. Quelques grandes familles descendantes de « békés », les premiers colons qui se sont enrichis avec l’esclavage, ayant la mainmise sur le transport, la distribution, le tourisme, notamment, fixent les prix qu’elles veulent. Et en outre, elles sont aidées par les pouvoirs publics à hauteur de 3,9 milliards d’euros !
Derniers cadeaux en date : les entreprises qui embaucheront des jeunes de moins de 30 ans d’ici la fin 2017 seront intégralement dispensées de charges patronales et salariales jusqu’à 2,5 Smic par l’État, le département et la région. La défiscalisation est prolongée jusqu’en 2020 au lieu de 2017. Le crédit impôt recherche, de 30 % en France, passe à 50 % dans les DOM. Le CICE, de 6 % en métropole, est passé en 2015 à 7,5 % des rémunérations et, à partir de cette année 2016, atteindra 9 % et même 12 % pour les secteurs dits « exposés » comme le tourisme, l’hôtellerie, les transports agroalimentaires et les nouvelles technologies.
Un soutien sans faille de la part de l’État aux entreprises tenues majoritairement par les békés, des salaires qui sont à la traîne et des prix qui explosent, c’est cet état de fait qui avait été la cause, en 2009, d’une grève générale inédite, particulièrement longue puisqu’elle aura duré 44 jours en Guadeloupe et s’est propagée en Martinique. Les revendications principales ? La baisse des prix des produits de base comme les carburants et l’alimentation, ainsi qu’une revalorisation des bas salaires.
Et depuis ?
Les grèves s’étaient terminées par des accords arrachés aux patrons, qui ont résisté jusqu’au bout mais ont dû lâcher face à l’énorme détermination de la population. Les accords prévoyaient des augmentations de 200 euros sur les bas salaires, payés pour partie par les patrons, la Région et l’État. Les années qui ont suivi ont vu de nombreuses luttes pour le respect de ces accords, dits Bino, du nom de ce syndicaliste tué lors de la grève.
Le plus spectaculaire en terme de changement est l’apparition de marchés locaux qui tournent de commune en commune et qui ont beaucoup de succès. Cela avait été inauguré en 2009 par les petits agriculteurs mobilisés.
Quelques gestes ont été faits vis à vis de la population : il est question de supprimer en 2016 le roaming, à savoir la surfacturation des communications lorsqu’on téléphone en métropole et vice-versa. Il y a des aides sur les billets d’avion pour les étudiants ou les gens à faibles ressources qui veulent se rendre en France.
La mise en place d’un syndicat unique de l’eau, une revendication de 2009, a fait son chemin et est en passe de voir le jour. Un organisme unique devrait remplacer la multitude des organismes communaux et autres régies gérant la distribution de l’eau, qui est une véritable catastrophe dans l’île, avec des coupures fréquentes et une vétusté du réseau qui occasionne une perte de 50% de l’eau à cause des fuites.
Enfin, quelques gestes ont été destinés à flatter la fibre nationaliste de la population, comme la nomination en 2013 d’un premier préfet noir, une femme, Marcelle Pierrot. Il faut savoir que le dernier représentant noir de l’État français avait été le gouverneur de la colonie, Félix Eboué, en 1936.
Au bout du compte, il ne reste pas grand chose de concret de ce vaste mouvement, à part un état d’esprit, le fait que ce combat avait été en capacité de faire reculer gouvernement et patrons. Une fierté qui est bien ancrée dans les consciences et qui explique une combativité qui ne se dément pas du côté des salariés, et du côté des patrons et de l’Etat, une volonté de répression tout aussi importante. Quelques exemples permettront de se faire une idée de la situation.
Attaques contre la CGTG
Le syndicat CGTG, dirigé par un militant trotskyste, ouvrier dans la banane, s’est trouvé condamné à des dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts pour avoir critiqué dans un tract une famille de békés parmi celles qui ont la mainmise sur l’économie de l’île (grande distribution, industrie sucrière, agriculture).
L’affaire est édifiante : en 2012, l’un des magasins où deux frères Huygues-Despointes sont actionnaires principaux, Carrefour Milénis, très rentable, a annoncé le licenciement de 28 salariés, pour difficultés économiques. Après avoir saisi la justice et obtenu les comptes de l’entreprise, le syndicat a découvert que non seulement il n’y avait pas de difficultés financières, mais encore que compte tenu de ses bénéfices, l’enseigne devait verser une participation à ses salariés pour 2011 et 2012 ! Ce que Carrefour sera finalement obligé de faire. A l’époque, les militants CGTG ont distribué un tract où était écrit que « la famille Despointes a bâti toute sa fortune sur la traite négrière, l’économie de plantation et l’esclavage salarié ». Ce qui est une vérité́ historique. La famille, n’ayant pas digéré que le syndicat la fasse condamner, a cherché à se venger en l’accusant de propos diffamatoires. Et il s’est trouvé des juges pour condamner la CGTG à plus de 53 000 euros d’amende, avec saisie des comptes bancaires !
Les protestations ont été nombreuses et se poursuivent depuis : rassemblements, manifestations, meetings. La dernière action en date, qui fut un succès, eut lieu le samedi 27 décembre , appelée par la CGTG, Combat Ouvrier (trotskyste), trois organisations indépendantistes et le journal de jeunes « Rebelle ». Des dizaines de militants ont distribué des milliers de tracts pour dénoncer ce scandale, devant le magasin Carrefour, avec un bon accueil de la population. La grande surface a été désertée en ce samedi de fêtes de fin d’année. La couverture médiatique fut très large.
Grâce à la solidarité de nombreux travailleurs, en Guadeloupe mais aussi en France, 45 000 euros ont déjà été collectés, mais la revendication du remboursement des 55 000 euros demeure.
A noter que le journal L’Humanité, ayant marqué sa solidarité avec la CGTG est également poursuivi par la famille Despointes. Un premier procès, qui devait avoir lieu le 22 janvier, a été reporté en...février 2017.
Répression contre les jeunes
Un journal animé par des militants trotskystes est bien implanté dans la jeunesse. Trop aux yeux des dirigeants, d’où un procès qui leur a été intenté. Le procès en appel, le 3 mars dernier, a été l’occasion d’une bonne mobilisation. Une cinquantaine de jeunes des lycées et de l’université est venue les soutenir, ainsi qu’amis, familles. En tout, une bonne centaine de personnes. La presse a bien relayé l’action. Un des deux accusés a finalement été relaxé et l’autre a vu sa peine réduite à deux mois avec sursis et une amende. Ils se sont pourvus en cassation. Il faut dire qu’en Guadeloupe, certains principaux de collèges et de lycées sont des « brutes machistes », comme les surnomment les jeunes, qui ne se laissent pas faire.
Lutte contre l’épandage aérien
L’épandage aérien des cultures est interdit sur le territoire français depuis 2009. Il était interdit aux États-Unis depuis... 1976 ! Mais des dérogations ont été accordées par les préfets successifs en Guadeloupe, pour satisfaire les intérêts des planteurs de banane, déjà responsables d’une pollution au chlordécone qui va durer des siècles et a empoisonné les sols dans une bonne partie du territoire martiniquais et guadeloupéen, entraînant des morts et des interdictions de pêche. En Guadeloupe, quatre associations, regroupées au sein d’un collectif Vigilance citoyenne, sont allées en référé et ont obtenu l’annulation de la dérogation par le tribunal administratif.
Des grèves nombreuses
Il y a eu de nombreuses grèves dans l’île tout au long de l’année, même si aucune n’a été déterminante. La dernière grève importante est celle des ouvriers d’une plantation de bananes. Dans ce secteur, des centaines d’ouvriers ont été contaminés par des produits toxiques, herbicides, insecticides. L’épandage de ces produits a provoqué des dizaines de morts sur les plantations et indirectement des centaines par la suite. Le CHSCT de l’habitation Bois Debout ayant fait appel à un expert, il est ressorti que les 140 ouvriers sont soumis à des conditions de travail indignes. L’expert ajoutait que sans amélioration des conditions de travail, d’autres ouvriers mourront au travail. Il y a actuellement 47 accidents de travail par an. Les ouvriers ont fait 40 jours de grève pour réclamer une amélioration de leurs conditions. Ils n’ont pas obtenu ce qu’ils réclamaient, mais se sont fait entendre, ont fait connaître leurs conditions de travail, enchaînant meetings et distribution massive de tracts. o
Régine Vinon
dans la revue L'Anticapitaliste n° 73 (février 2016)
En Martinique, on votait pour la CTM, assemblée unique remplaçant conseils général et régional. En Guadeloupe, on votait pour l’assemblée régionale comme en métropole. Une constante toutefois : l’abstention atteint 53 % en Guadeloupe et 59 % en Martinique.
En Martinique, c’est une liste conduite par un « indépendantiste modéré », Marie-Jeanne, qui l’a emporté au second tour contre le candidat socialiste, Serge Letchimy. Pour ce faire, sa liste a fusionné au deuxième tour avec celle de Monplaisir, un sarkozyste, qui avait réalisé 14 % ! A noter que le PC martiniquais était présent sur cette liste indépendantiste...
En Guadeloupe, le président sortant du conseil régional, Victorin Lurel, ex-ministre de l’outremer, a été battu par Ary Chalus, maire d’une des plus grandes villes de l’île, vice président du conseil régional, qui avait soutenu activement Lurel en 2010. Chalus se prétend de gauche modéré, mais son axe était surtout « tout sauf Lurel », surfant sur le mécontentement de la population. Sa liste a rassemblé une ex-ministre de Sarkozy, Marie-Luce Penchard et des socialistes dissidents. Le PC guadeloupéen s’est présenté pour la première fois depuis longtemps à des élections locales en tant que tel. Ses résultats sont encore plus faibles que ceux de Combat Ouvrier, parti d’extrême gauche, avec 0,92%.
Les Républicains, le parti de Sarkozy, atteint 4,47 %. Le Front national fait un petit score de 1,40 %, ce qui a fait écrire au Canard Enchaîné : « On ne remercie jamais assez les régions d’outre-mer : le FN fait 1,40% à la Guadeloupe, 2,39% à la Réunion. Quant à la Guyane et à la Martinique, c’est simple : le Front national n’a même pas pu y aligner un candidat. »
Les électeurs des deux îles ont à leur façon sanctionné les sortants socialistes, très liés au gouvernement, au profit d’hommes au profil de gauche, faisant ainsi sentir leur mécontentement de la politique menée par Hollande et Valls.
R.V.