Industrie pharmaceutique : profits privés, ressources publiques

Nous avons documenté comment les grandes entreprises pharmaceutiques ont interrompu en 2003 la recherche sur la famille du coronavirus parce que l'épidémie du SRAS s'était terminée trop vite pour leur assurer un marché approprié. Sept cents morts à l'échelle mondiale ne valaient pas un investissement. Aujourd'hui, nous payons tous le prix terrible de ce choix.

La pandémie actuelle, avec la rapidité de sa propagation et les centaines de milliers de morts qu'elle préfigure, semble configurer un marché bien plus appétissant pour les compagnies pharmaceutiques et le réseau d'intérêts qui les entoure. La recherche ne vise pas tant sur les médicaments pour l'intervention immédiate, qui n'offrent pas nécessairement un marché durable, mais sur la trouvaille d’un vaccin, investissement planétaire possible pour les prochaines décennies. Cinquante vaccins contre le coronavirus sont étudiés dans le monde, dont quarante-huit en phase préclinique, révèle l'Organisation mondiale de la santé. Les grandes entreprises pharmaceutiques du Big Pharma se mobilisent (Novartis, Roche, Glaxo, Janssen...), les entreprises concurrentes Biotech se mobilisent également. Les États-Unis, en collaboration avec Israël, espèrent découvrir le vaccin avant la Chine pour rééquilibrer la compétition en cours et remonter la pente.

On dira: "Après tout, c’est une compétition vertueuse, l’important c'est qu’ils trouvent rapidement le vaccin". S’il est incontestable que nous sommes en face d’une compétition, il est beaucoup moins sur qu’elle soit vertueuse.

La recherche scientifique et les calculs des actionnaires 

La documentation fournie à cet égard par la presse de  la confédération nationale industrielle italienne Confindustria (organisation patronale), Il Sole 24 ORE, le quotidien économique italien le plus important du pays, est intéressante. Il y est expliqué que la concurrence entre les entreprises pharmaceutiques d'une part, et les entreprises biotech de l'autre part est sans pitié. Toutefois, la concurrence entre les cartels respectifs n'est pas seulement axé sur la découverte en premier du vaccin, mais aussi sur qui peut attirer le plus d'investissements financiers sur le marché boursier. Et celui qui peut attirer le plus d'investissements est l'entreprise ou le cartel d'entreprise qui prouve qu'il peut produire le vaccin, pas seulement le découvrir ; et qu'il sait le produire à l'échelle industrielle, parce que seule une production industrielle à grande échelle peut assurer le profit souhaité de ceux qui achète les actions boursières des entreprises concernées. C'est ici que naissent les problèmes.

Entendons nous bien, dans la grande récession de l'économie mondiale actuelle, l’industrie pharmaceutique et biotech, (avec l'industrie alimentaire), sont parmi les rares à avoir le vent en poupe. Les cours de Wall Street, en particulier pour le biotech, ont joué la part du lion lors des dernières séances. Mais le Crédit Suisse insinue le doute qu'il s'agit d'une euphorie à court terme. Pourquoi ? Parce que pour produire le vaccin à l'échelle industrielle, il faut faire un investissement dans le noir. Sans savoir quand le vaccin sera découvert, quelle sera l'entreprise ou le cartel qui le découvrira, quel État lui couvrira ses arrières, quelle sera l'entreprise ou les entreprises capables de le produire à l'échelle industrielle. Et si les milliards investis sont jetés dans le vent ? Dans l'incertitude, dit Crédit Suisse, mieux vaut investir dans l'industrie militaire, ou dans la production de blé, qui ont un marché sûr et des prix en montée.

Maintenant, le point de notre part n'est pas d'évaluer si les préoccupations du Crédit Suisse sont fondées, parce que nous n'avons pas d'ambitions boursières. Le point est de montrer que dans chaque cas, la recherche scientifique est aujourd'hui confiée aux entreprises pharmaceutiques et / ou biotech intéressées uniquement par leur profit. L’orientation de la recherche n'est que la variable dépendante de leurs calculs. Ce fut le cas pour le SRAS en 2003, c'est aujourd'hui le cas pour le coronavirus.

Bill Gates court derrière les budgets publics

Il y a plus que ça. Comme l'investissement requis par la recherche est non seulement incertain mais très coûteux, les entreprises pharmaceutiques et biotech quémandent de l'argent public. Vous voulez des recherches sur les vaccins ? Payez-nous. Bill Gates l'a expliqué avec sa candeur proverbiale sur les colonnes du New England Journal of Medicine, publié par La Stampa (29 mars) : " Des milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires pour terminer l'expérimentation de la phase III et pour garantir l'approbation réglementaire pour les vaccins contre le coronavirus, et des financements supplémentaires seront nécessaires pour améliorer la surveillance et la réponse aux maladies. Pourquoi cela nécessite-t-il un financement public ? Le secteur privé ne peut pas le faire seul ? Les produits contre les pandémies sont des investissements extraordinairement à haut risque et les entreprises pharmaceutiques auront besoin d'un financement public pour se mettre au travail immédiatement. En outre, les gouvernements et d'autres donateurs devront financer, en tant que bien public mondial, des structures productives qui garantissent la fourniture de vaccins en quelques semaines. Ces entreprises peuvent produire des vaccins pour les programmes de vaccination de routine en temps normal et être rapidement reconvertis au cours d'une pandémie. Enfin, les gouvernements devront financer l'approvisionnement et la distribution des vaccins aux populations qui en ont besoin."

Le cœur du discours, est très clair : dépenses publiques, profit privé. Le vaccin est un besoin de l'humanité, nous explique le champion du capitalisme "éclairé". Nous l'avons compris nous-mêmes. Mais comme les géants privés ne veulent pas se charger sur les épaules des investissements coûteux "à haut risque", ce sont les budgets publics qui prennent en charge tout : recherche, production, distribution du vaccin. Que reste-t-il aux particuliers ? Le profit bien sûr. À taux très élevé, parce qu'il a été réduit du gros des coûts. Les actionnaires sourient, heureux, toujours au nom de l'humanité.

Mais si l'industrie pharmaceutique et les biotech ont besoin de subventions publiques considérables "pour se mettre au travail tout de suite", comme le dit Bill Gates, pourquoi ne pas les mettre sous contrôle public, avec une véritable nationalisation ? Pourquoi ne pas ramener la recherche scientifique sous le contrôle de l'État si c'est l'État qui assume les coûts ? Pourquoi ne pas nous débarrasser des mille contraintes du profit sur l’orientation même de la recherche, son temps, ses résultats ? En un mot : pourquoi ne pas effacer le parasitisme du profit sur la santé humaine ?

Nationaliser l'industrie pharmaceutique !

Nationaliser l'industrie pharmaceutique, sans indemnisation pour les grands actionnaires, sous le contrôle des travailleurs : c'est une revendication avancée par l'avant-garde de classe dans différents pays. Et elle est particulièrement d’actualité en Italie.

L'Italie est à la tête, avec l'Allemagne, de la production pharmaceutique en Europe. Treize grandes entreprises pharmaceutiques se partagent le marché en encadrant les prix, encaissant une montagne de financement public : Menarini, Dompè, Molteni, Zambon, Abiogen Pharma, Angelini, Recordati, Chiesi, Italfarmaco, Mediolanum, Ibn Savio, Kedrion, Alpha Sigma. Il s'agit principalement de grandes familles du capitalisme italien. Leur production entre 2009 et 2018 a augmenté de 38 % avec une augmentation exponentielle des exportations (+ 17 % au cours des dix dernières années). Elles se battent pour prolonger le temps des brevets pour protéger leurs profits, contre la nécessité de la science et de la santé. Elles gèrent souvent des branches entières de la santé privée (Angelini), elles aussi arrosées par des financements publics.

Pourquoi les travailleurs, les travailleuses, et les chercheurs scientifiques ne devraient-ils placer sous leur contrôle ce qu’ils ont, durant des décennies, d’une manière ou d’une autre , déjà payé ?

Un service de santé unique, national, public, gratuit, a besoin d'une production et de recherche pharmaceutique finalement libérée du capitalisme. Dans le monde, en Europe, en Italie.

Partito Comunista dei Lavoratori (Italie)

Traduction S. Z.


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