Avec l'épidémie du COVID 19, le gouvernement a appelé à la constitution d'une réserve sociale pour le secteur du social et du médico-social, à l'image de la réserve sanitaire dans le paramédical, créée en 2016.
Elle vise, sur la base du volontariat, à « assurer la continuité de la prise en charge de leurs publics » pour « soutenir l'activité des établissements sociaux et médico-sociaux » dans les structures suivantes : EHPAD et établissements d'accueil de personnes en situation de handicap, centre d'hébergement d'urgence, centres d'hébergement et de réinsertion sociale, accueils de jour, maisons d'enfants à caractère social (MECS), instituts médico-éducatifs (IME), crèches et micro-crèches.
Face à la crise du COVID-19, la tension s'accroît dans le secteur social et le médico-social
Si les structures du secteur subissent de plein fouet les effets de la crise sanitaire et du confinement, il n'a pas fallu attendre l'épidémie pour que celles-ci soient dans des conditions extrêmement dégradées. Elles subissent en effet le coût des politiques de coupes budgétaires depuis de nombreuses années.
Les EHPAD en sont un triste exemple : ces établissements où l'accompagnement des personnes âgées est désastreux sont bien connus pour leurs conditions de travail dégradées pour les soignantes qui y exercent, et leurs tarifs exorbitants pour les personnes ou les familles qui doivent y financer une place. Cette situation n'est pas nouvelle. La canicule de 2003 avait causé, en toute indifférence de la part du gouvernement de l'époque, 19 000 morts en France, en partie dans des EHPAD.
On peut citer aussi les manques de places et d’effectifs constants dans les centres d’accueil d’enfants placés. Pour exemple, un centre départemental d’accueil d’urgence parisien était encore en grève une semaine avant le confinement pour réclamer entre autres, des meilleures conditions de travail et d’accueil. Et ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres.
Les étudiants en travail social comme main d’œuvre gratuite ?
Avec la création de cette réserve sociale, le gouvernement joue la carte de l’ « engagement » des futurs travailleuses et travailleurs sociaux dont la « vocation » serait de secourir les plus vulnérables. C’est en surfant ainsi sur la culpabilisation des étudiantes et étudiants qui ne viendraient pas prêter main forte sur le terrain, qu’il tenterait de résoudre les difficultés majeures du secteur, qui ne sont que les effets produits par ses politiques publiques depuis de nombreuses années. En expliquant qu’il serait du « devoir et de la responsabilité des travailleurs sociaux de maintenir l'accompagnement des plus fragiles en cette période de crise », le gouvernement nous renvoie au temps de la charité. De plus, il ne débloque aucun moyen supplémentaire puisque de simples conventions de stages (ou des CDD en fonction des structures), pourraient en constituer le cadre juridique. Envoyer des étudiants en stage pour remplacer des personnels, c'est s'offrir une main d’œuvre gratuite dans des conditions de sécurité sanitaire qui ne seront pas remplies : pénuries de matériel de prévention et notamment de masques, conditions d’accueil ne permettant pas l’application des recommandations de distance entre les personnes (sur occupation, exiguïté des locaux par exemple) etc. La majorité des directions d'école sont complices, certaines pouvant dire qu'elles privilégieront les CDD, mais encourageant avec zèle les étudiants à participer à la « réserve sociale », donc au bénévolat.
Il est de plus totalement irresponsable, en pleine crise, d’envoyer sur le terrain ces étudiants, dont la formation théorique et pratique n’est pas achevée. Comment sérieusement attendre d’elles et d’eux, de pouvoir faire face aux situations catastrophiques qui traversent les institutions en cette période critique et anxiogène, où les sous-effectifs et les conditions de travail délétères sont par ailleurs devenus la norme ? Nous avons tout à craindre des répercussions que cela pourra avoir, et à plusieurs niveaux : qu’engagent-ils en termes de responsabilité en cas de difficulté dans l’exercice de leur fonction ? Quelles incidences sur le parcours de formation de celles et ceux qui n’auraient pas pu ou choisi de se porter volontaire ? Et surtout, que restera-t-il de cette expérimentation à la fin de cette crise sanitaire ? L’ordonnance du 25 mars 2020 relative aux établissements sociaux et médico-sociaux, prise dans le cadre de la loi sur l’état d’urgence sanitaire, permet de déroger aux taux d’encadrement réglementaires, aux niveaux de qualification exigés, et permet les sur-effectifs des personnes accueillies. Ici, nos décideurs trouvent l’occasion rêvée de précipiter l’application des mesures visant à une meilleure rentabilité du secteur, sans possibilité de résistance immédiate des étudiants comme des travailleuses et travailleurs. Nous savons que les mesures prises en état d’urgence ne permettent que rarement un retour à l’état initial, et que nous risquons de perdre beaucoup, tant du point de vue de nos conditions immédiates de travail et d’accompagnement, que du côté de la déqualification et de la précarisation rampante des professionnels du secteur.
Faisons payer les vrais responsables de cette catastrophe sanitaire et sociale !
D’ailleurs, parler des personnes « les plus vulnérables » revient aussi à poser la question des causes de leur vulnérabilité. Pour beaucoup d’entre elles et eux, c’est bien leur situation sociale dégradée qui les place dans ces difficultés nécessitant des aides, des accompagnements. Les sans domiciles fixes, les personnes migrantes de milieu populaire, les personnes sans emploi, les femmes précarisées et subissant des violences, les enfants placés, sont le plus souvent issus des milieux populaires également. Qui est responsable des conséquences de ces inégalités ? Sûrement pas les personnes qui les subissent, et sûrement pas les étudiants, qui régulièrement, se mobilisent d’ailleurs aussi pour dénoncer la précarité de leur situations personnelles.
La création de la réserve sociale s’inscrit malheureusement dans la même logique que l’ensemble des nouvelles mesures nationales du gouvernement, qui, au lieu de débloquer immédiatement un budget conséquent pour les services publics, s’attache à détricoter le droit du travail, à financer largement les grosses entreprises, et par là, s’assure du maintien de l’économie de marché.
Cette crise, ce n'est pas la nôtre ! Les responsables des morts et de la détresse sociale qui va nécessairement s'accentuer avec l'épidémie et le confinement, ce sont les capitalistes et ceux qui mettent en place leur politique. La meilleure façon d'être utile pour améliorer la vie de celles et ceux que les travailleuses et travailleurs sociaux accompagnent, c'est de renverser ce système économique injuste dans lequel les profits passent avant la vie de la majorité de la population.
On rappelle d’ailleurs que la situation de crise sanitaire telle que nous la traversons aurait sûrement pu être évitée, si les budgets de la recherche médicale à propos des coronavirus n’avaient pas été coupée, si les hôpitaux publics n’avaient pas subi des baisses budgétaires amenant à la suppression de services d’hospitalisation et de plusieurs dizaines de milliers de lits ces vingt dernières années.
Pour faire entendre nos revendications, organisons-nous !
Les dirigeants prennent soin de faire passer les personnels des hôpitaux pour des héros et héroïnes (rappelons qu’il s’agit essentiellement de personnels féminins) alors que, quelques semaines plus tôt encore, ils et elles récoltaient le mépris et une fin de non-recevoir sur leurs revendications, et ce alors qu’une mobilisation sans précédent, de plus d’un an était en cours. Les personnels médicaux, sociaux, de missions de service public de tous genres, les enseignants, les personnels des entreprises alimentaires, des transports, les étudiants, et en fait toute notre classe sociale, ne demandent pas une reconnaissance symbolique et médiatique, mais bien des moyens d’être en bonne santé, de vivre dans des conditions dignes, et de travailler pour la mise en œuvre de ces principes, dans le respect de leurs droits, et non pour garantir l’enrichissement des plus riches.
C’est pourquoi des initiatives d’organisation et de mobilisation se multiplient malgré le confinement, à l’image des étudiantes et étudiants en travail social, qui dénoncent les appels au bénévolat, aux contrats précaires, alors même qu’en temps normal, ils et elles dénoncent à la fois la précarité de leur situation, et les dysfonctionnements des structures dans lesquelles ils et elles sont amenés à être en stage, et dans lesquelles ils et elles servent trop souvent de variable d’ajustement.
Il est donc nécessaire que les travailleurs et les travailleuses, avec ou sans emploi et les étudiants, s’organisent et refusent la politique de casse du droit du travail, des services publics et de leur accès. On l’a clairement vu, il en va maintenant de notre survie.
Si le droit de retrait semble pour le moment le moyen le plus utilisé pour obliger les services et entreprises à garantir la sécurité de tous et toutes, la question de la grève qui commence à être abordée sera centrale pour contrer les attaques sans précédent contre notre camp.
Flora Morand et Hugo Perlutti