Anticapitalisme et Révolution - Quelle est situation aux États-Unis et quelle est la politique de l'administration Trump face à la pandémie ?
Joe Hutchinson - La réponse du gouvernement a été minimale pour les travailleurs mais immense pour les entreprises qui vont recevoir des fonds de sauvetage de plusieurs milliards de dollars. 6.6 millions de travailleurs sont au chômage aux États-Unis et le paiement des chèques de chômage du gouvernement n’arrive pas à temps. Là où je réside [dans le Connecticut] il y a un délai de cinq semaines dans les paiements et tu ne reçois que 65% du montant. Plus de 3 millions de travailleurs ont perdu leur assurance santé le 1er avril. Dans mon quartier il y a des file d'attente qui s'étende dans la rue devant les églises et les centres communautaires avec des travailleurs, surtout des immigrants, qui attende désespérément pour de la nourriture. Des centaines de milliers sont malades, et les hôpitaux dans beaucoup d’endroit ont atteint leur capacité d'accueil. Il n’y a pas assez de respirateurs, des masques et des gants, ni même de lits d'hôpitaux. Un tiers des locataires n’ont pas pu payer leur loyer en avril. À New York, les malades décédés sont actuellement enterrés dans des fosses communes creusées dans des parcs.
A&R - Quelle est la réaction de la classe ouvrière face à la crise ?
J. H. - La situation actuelle montre un renouveau de la lutte des classes. Au États-Unis, la crise du Covid-19 conduit les travailleurs à reprendre les armes et moyens de luttes qu'ils ont peu utilisé depuis des années. Les grèves, par exemple, sont en train d'apparaître dans de nombreuses villes à travers le pays parce que les travailleurs sont confrontés à une alternative : est-ce que j'arrête de travailler ou est-ce que je risque de contaminer ma famille et de mettre ma vie en danger ? Ces grèves sauvages montrent un que les travailleurs agissent de plus en plus, car ils sont souvent convaincus qu'ils n'ont plus rien à perdre. Aujourd’hui les principales entreprises de l'industrie, de la grande distribution, et de la santé ont toutes été touchées par des grèves sauvages et des mobilisations sur les lieux de travail. Amazon, Target, Walmart ont tous été forcés à faire au moins des modestes concessions. À Harlem, après avoir travaillé pendant de nombreuses journées de 12 heures et avoir été exposés au Covid-19 à maintes reprises des infirmières et infirmiers, qui manquent des tests de dépistage et d'équipements de protection, se mobilisent devant leurs hôpitaux. Mais la lutte la plus exemplaire est dans doute celle des travailleurs de General Electric (GE) qui fabriquent des moteurs pour des avions de chasses. Dans les États du Massachusetts, de New York, du Texas et de Virginie, les travailleurs de GE se mobilisent pour exiger que les usines arrêtent de fabriquer des moteurs pour des avions et commencent à produire des respirateurs pour sauver les vies des travailleurs.
A&R - Tu fais partie d’une initiative qui s’appelle Connecticut Workers Response Crisis (CWRC) qui regroupe des travailleurs syndiqués et non-syndiqués. Peux-tu nous en dire plus sur cette initiative ?
J. H. - Avec l’inaction du gouvernement fédéral et les autres autorités, nous pensons que la pandémie du Covid-19 a passé un point de bascule aux États-Unis. Et les militants syndicaux qui ont pris l’initiative de mettre en place le CWCR refusaient de rester inactifs. Beaucoup d’entre nous ont été très impactés, notamment les travailleurs qui ont été en premières lignes face au virus. Nous voulions que la voix des travailleurs qui subissent les attaques antisociales soient entendues. Notre groupe, CWRC, veut exprimer les revendications immédiates des travailleurs, mais aussi les revendications à plus long-terme. En tant que membres du mouvement ouvrier de Connecticut, nous voulions travailler en collaboration avec tous les syndicats, les mouvements sociaux, les chômeurs, les précaires et les travailleurs de communautés opprimés, et nous battre ensemble pour un avenir dans lequel les travailleurs ne soient pas les victimes, sur le plan sanitaire et sur le plan economique, de la crise. Il faut savoir que les Afro-américains sont affectés de manière disproportionnée par la pandémie. À Chicago par exemple, les Afro-américains représentent 68 % des décès et plus de 50 % des cas de contamination mais seulement 30 % de la population de la ville. CWCR a redigé une plateforme revendicative pour repondre aux différentes préoccupations des travailleurs et nous militons pour que les directions du mouvement ouvrier défendent cette plateforme. Une partie importante de notre combat vise à aider les chômeurs à s'organiser et à se battre pour l'augmentation des allocations.
A&R - En France, on estime qu'au moins 60% des travailleurs continuent à travailler sur leur lieux de travail habituel. Est-ce que vous avez le même problème aux États-Unis ?
J. H. - Il y a beaucoup de travailleurs qui continue à travailler. Et c’est un problème sérieux. Même là où des syndicats existent les mesures de bases ne sont pas prises. Dans les transports à New York par exemple 50 travailleurs sont morts du Covid-19, 1500 autres ont été testés positifs, et plus de 5600 se sont confinés eux-mêmes car ils présentaient des symptômes. À travers le pays des chiffres similaires augmentent dans les hôpitaux, les supermarchés, et les entrepôts logistiques comme ceux d'Amazon. Nous encourageons tous les travailleurs à se mobiliser pour protéger leur santé et leur sécurité, à se rassembler et à former des comités sur les lieux de travail pour discuter et agir collectivement. Nous ne sommes qu’au début de la crise. Une profonde récession économique est devant nous et sans vaccins il y a toujours le risque d'une deuxième phase épidémique. Les travailleurs n'auront pas d'autre choix que de lutter s'ils veulent défendre leur peau face à ce cauchemar créé par le capitalisme. Le rôle des militants ouvriers combatifs et des révolutionnaires est de les y aider.
A&R - Comment les militantes et militants de Socialist Resurgence interviennent-ils en cette periode de pandemie et de confinement ?
J. H. - Une partie de nos camarades a été licenciée et une partie continue de travailler dans différents secteurs professionnels. Des militants de Socialist Resurgence, qui sont aussi membres de United Food and Commercial Workers Union (UFCW), ont participé l'année dernière avec 30 000 travailleuses et travailleurs à la grève “Stop and Shop” pour les salaires et l' assurance santé. Cette grève avait coûté 300 millions de dollars au patronat, alors la compagnie a agit rapidement pour fournir du matériel de protection et a auglenté de 10 % les salaires pour ne pas avoir à faire face à un nouveau mouvement. Mais dans beaucoup d'entreprises les salariés doivent arracher des mesures de protection. Nous avons des camarades qui sont des professeurs, des étudiants, des travailleurs dans des hôtels, des bureaux, des cafétérias, des machinistes, des agents d’entretien, des mécaniciens, des électriciens, etc. Toutes et tous vivent la crise différemment en fonctions des situations particulières de chaque secteur. Si nos camarades ne sont pas sur leur lieux de travail ou ne participent pas au CWCR, nous poursuivons nos activités dans les mouvements de justice climatique, anti-guerre, pour les droits des immigrants et la libération des femmes. Il y a un nombre illimité de réunion sur internet ces jours-ci pour preparer la suite ! Nous participons aussi à un regroupement politique qui s’appelle Revolutionary Socialist Network. Cela permet de rassembler des militants de divers groupes socialistes revolutionnaires qui veulent partager leurs expériences, discuter des perspectives politiques, et intervenir dans des mouvements de masses. Nous avons aussi coordonné plusieurs meetings en ligne réussis. Bref, la lutte continue !
Propos recueillis par Marine Azua
* Syndicat de l'hôtellerie et de la restauration
* Organisation trotskyste, membre de la tendance pour une Internationale révolutionnaire à laquelle participe le courant A&R