À propos du « référendum d'initiative citoyenne »

La revendication du « referendum d'initiative citoyenne » (RIC) ou « referendum d'initiative populaire » (RIP) a émergé récemment au sein du mouvement des gilets jaunes pour en occuper dernièrement la place centrale au détriment des autres revendications salariales ou fiscales. 

La logique de l'argumentation étant que la mise en place d'une seule revendication, le RIC, permettrait ensuite la mise en place de toutes les autres, par referendum. Le RIC est une proposition initiale d’Étienne Chouard, professeur de droit et d'économie, épinglé pour ces positions conciliatrices avec différentes nébuleuses conspirationnistes ou d'extrême droite. Lors des dernières élections présidentielle, la France Insoumise, le Rassemblement national, l'UPR ou Debout la France en défendait la mise en place. 

Ces référendums existent dans différents pays comme la Suisse, l’Italie et le Venezuela, ainsi que dans l’état de Californie aux USA, bien que leurs conditions d’application diffèrent. L'exemple suisse, qui semble être l'un des plus aboutis, a vu de nombreux référendums populaires se tenir depuis le XIXème siècle. Difficile pourtant d'en voir une société favorable aux classes populaires. Les dernières mesures soumises à referendum en Suisse qui ont été majoritaires ont d'ailleurs été des mesures réactionnaires : « Contre la construction de minarets » (2008 ; il en existe... 4 en Suisse) ; « Pour le renvoi des étrangers criminels » (2008) ; « Contre l'immigration de masse » (2012). Cela explique l'intérêt de l'extrême droite pour ce genre de mesure. 

Le gouvernement français est d'ailleurs en train de changer de position sur les RIC et propose d'en discuter dans le cadre d'un « grand débat national ». Il se pourrait que cela lui permette une sortie de crise facile. D'autant plus que les modalités de ce RIC pourraient être modulées de manière à ce que la classe dominante s’assure de son caractère inoffensif. De plus, l'exemple du « non » majoritaire au referendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 qui a été ensuite ratifié par le parlement français montre que la bourgeoisie trouve toujours une parade parlementaire pour mettre en place sa politique. 

De la mobilisation collective des ronds-points à l’individualisme de l’isoloir ? 

Si l'aspiration des gilets jaunes à reprendre cette revendication témoigne d'une volonté de contrôle des élus et de la politique, d'une forme de réappropriation démocratique, elle masque cependant plusieurs problèmes. Tout d'abord, c'est un débouché institutionnel (par référendum) à la colère que soulève le mouvement des gilets jaunes contre la précarité et les salaires. Cela signifie que la pression exercée sur le gouvernement pour obtenir des augmentations de salaires et une autre répartition des richesses par la mobilisation des « ronds points » va laisser la place à l'individualisme du bureau de vote. Sans discussion collective donc et sans cadre d'auto-organisation qui permette le débat et la solution de nos problèmes du quotidien par la mobilisation collective. C'est une solution qui esquive la question de la grève et la convergence des secteurs en lutte, qui esquive la centralité de la classe ouvrière, comme classe au potentiel révolutionnaire permettant de bloquer l'économie et de faire tourner la production à son propre compte et non au profit des capitalistes. C'est une solution réformiste à l'image du referendum proposé par Jean-Luc Mélenchon lors du mouvement contre la réforme des retraites de 2010 où celui-ci proposait la mise en place d'un referendum sur la réforme des retraites alors qu'au même moment les travailleurs en lutte discutaient de la généralisation de la grève. 

Pas étonnant donc que cette solution soit aussi portée par la France insoumise qui y voit également un pas vers une nouvelle Constitution et une VIème République… dont les capitalistes pourraient tout à fait s'accommoder tant qu’elle leurs permet de continuer leurs petites affaires. La loi des profits est une loi non écrite qui pèse davantage sur toute l’organisation de la société que celles qui le sont et bien plus que n’importe quelle Constitution. 

Battre la dictature des profits par référendums ? 

Une société dirigée et contrôlée par celles et ceux qui la font tourner, une démocratie directe, ne pourra se construire que dans le cadre d'une mobilisation d'ampleur ou les travailleurs par l'arme de la grève se réapproprie le temps et le débat. Dans une société ou la durée du temps de travail ne cesse d'augmenter, ou les médias sont contrôlés par la grande bourgeoisie, les débats « citoyens » seront eux aussi influencés par l'idéologie dominante. La question démocratique ne peut se poser dans le cadre du système capitaliste sans la remise en cause de la propriété privé des moyens de production, sans remettre en cause le droit du patronat à décider de supprimer des emplois, de bloquer les salaires, d’augmenter les cadences ou de la charge de travail pour accumuler plus de profits. 

Ce n'est pas totalement un hasard que cette revendication émerge dans un mouvement qui s'est construit de manière interclassiste, dans un mouvement qui a certes une pression forte sur l'économie par l'intermédiaire des blocages et qui a montré que c’est par la mobilisation qu’on peut changer le rapport de force, mais qui n'a pas posé la question de la grève dans les entreprises. Ainsi, si cette revendication aboutie, elle ne risque d'être qu'un nouveau saupoudrage pseudo-démocratique dont la bourgeoisie s'accommodera pour continuer à pressuriser les salariés et poursuivre son offensive antisociale. 

Seule une lutte d’ampleur dans les entreprises et dans la rue, une grève générale contre le patronat et ses relais politiques pourra imposer que nos vies passent avant les profits des capitalistes. 

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