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/ « Par notre détermination et notre solidarité, nous pouvons les faire plier »
Victor et Micka sont étudiants à l’Université Paris Ouest-Nanterre. Tous deux sont syndiqués à l’UNEF, et militants du NPA et de son courant Anticapitalisme & Révolution.
À la veille de Noël, le 24 décembre 2018, Victor et Micka ont reçu un arrêté leur interdisant de pénétrer sur la faculté entre le 7 janvier et le 5 février 2019. La cause invoquée : les risques de blocage de l’université que ferait peser la présence des deux étudiants. Micka explique l’absurdité de cet arrêté : « Comment deux étudiants seraient-ils capables de bloquer une université de 33 hectares ? ». Mais cet arrêté n’était qu’un début, car le président de l’université, Jean-François Balaudé, a ensuite décidé de saisir la section disciplinaire, dans le but de les exclure de l’université. Dans cette procédure, ce qui est visé, c’est l’ensemble des actions syndicales et politiques des deux étudiants : de la lutte des « sans-fac » à la mobilisation du mois de décembre contre la hausse des frais d’inscriptions pour les étudiants étrangers.
La lutte exemplaire des « sans-fac » de Nanterre
Chaque année, des étudiantes et étudiants se voient refuser leur inscription dans l’université et la filière de leur choix. C’est la conséquence directe des politiques d’austérité et de la réduction des moyens financiers alloués aux universités, alors que le nombre de bacheliers augmente. Lors de la dernière rentrée universitaire, la situation s’est encore aggravée, avec la sélection à l’entrée de l’université et la mise en place de Parcoursup. Plus de 120 000 jeunes n’ont pas été inscrits dans la filière demandée, et beaucoup n’ont tout simplement obtenu aucune inscription.
À Nanterre, l’UNEF-TACLE a organisé la mobilisation pour l’inscription de ces « sans-fac », avec des assemblées générales, des rassemblements, des actions d’envahissement et d’occupation : c’est ainsi que plus de 90 étudiants ont pu obtenir leur inscription. Micka explique : « Je me suis engagé au mois de juin dernier, lorsque j’étais moi-même “sans-fac”. J’ai participé à la campagne dès le début, et j’ai continué après ma propre inscription en septembre. Cette mobilisation est importante. Ce n’est pas juste une action syndicale, visant à régler des situations individuelles. C’est aussi une lutte politique, qui pose des questions très concrètes : l’accès à l’université, la sélection, les baisses budgétaires, la défense des droits des migrants face à la politique raciste de l’État… Et cela pose la question de la nécessité de construire un rapport de force ».
Mobilisation contre la hausse des frais d’inscription
Le 19 novembre, le Premier ministre a annoncé l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extracommunautaires. Pour Victor, cette annonce a déclenché « un mouvement spontané contre une mesure discriminatoire. D’autant plus que les étudiants se sont facilement rendu compte que cela allait ouvrir la porte à une hausse généralisée des frais d’inscription. Et ceci alors que le gouvernement Macron fait des cadeaux énormes à la classe dominante et aux plus riches, comme la suppression de l’impôt sur la fortune. Ce n’était pas possible, dans ce contexte-là, d’accepter que les jeunes doivent s’acquitter de frais d’inscription aussi élevés pour étudier ».
La contestation s’est organisée, et à Nanterre, c’est à l’issue de la deuxième assemblée générale, le 6 décembre, que les étudiants ont voté la grève par blocage. Le jour-même, ils ont manifesté aux côtés des autres étudiants et des lycéens de la région parisienne. « Ce qui devait être un rassemblement devant Campus France s’est rapidement transformé en une manifestation réunissant plusieurs milliers de personnes. Cela faisait plusieurs années qu’on n’avait pas vu ça », raconte Micka. Mais la mobilisation a dû faire face à deux grandes difficultés : « La stratégie de la présidence de l’université visant à isoler le noyau de militants et militantes du reste des étudiants par le biais du lock-out et d’une consultation électronique, et la politique répressive dès décembre, avec des menaces de poursuites disciplinaires, administratives ou judiciaires ».
La répression contre les étudiants mobilisés
En réalité, ce qui est reproché à Victor et Micka, c’est d’avoir appliqué des décisions votées en assemblée générale. « En s’en prenant à nous, la présidence de l’université cherche à envoyer un message à tous ceux qui voudraient se mobiliser : quiconque voudra défendre une fac ouverte et gratuite pourra être sanctionné. À travers notre exclusion, Balaudé veut surtout exclure de la fac toute mobilisation contre les politiques antisociales du gouvernement », analyse Micka.
Victor ajoute : « Ce gouvernement est la représentation politique d’une bourgeoisie décomplexée qui veut en finir avec le mouvement ouvrier et étudiant. Il s’en prend non seulement aux conditions de travail et d’étude, mais aussi au droit démocratique de pouvoir défendre ses intérêts de travailleur ou de jeune ; il le fait en utilisant sa police, comme on le voit avec la multiplication des violences contre les manifestants, mais en utilisant également sa justice de classe. Afin de maintenir une certaine “stabilité”, la présidence de l’université doit relayer cette politique à son échelle et jouer la carte de la répression ».
Les deux étudiants s’entendent régulièrement dire que dans une telle situation, il serait préférable de ne pas trop remuer et de rester « sages », pour ne pas augmenter le niveau de répression auquel ils doivent faire face. Ce à quoi Victor répond que « si celles et ceux qui subissent la répression rentraient chez eux en baissant la tête, l’État nous attaquerait encore plus fortement. En réalité, c’est maintenant qu’il faut sortir la tête de l’eau, dénoncer à une large échelle ce que fait l’université, mais aussi militer pour organiser des grèves et des mobilisations massives ».
La mobilisation est le seul moyen de gagner sur nos revendications
Malgré la répression, Micka et Victor continuent de se mobiliser. Comme le dit Victor, « relever la tête, s’organiser, militer et lutter, c’est indispensable pour infliger une défaite à la classe dirigeante et au gouvernement qui mène sa politique ».
Micka, lui, se réfère aux expériences passées : « C’est important de se mobiliser, car nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour défendre nos droits et nos conditions d’études, et pour imposer nos revendications, comme l’a partiellement montré la mobilisation des “sans-fac” cette année. En 2006, c’est par la mobilisation continue de la jeunesse, en lien avec les salariés, que nos aînés ont contraint le gouvernement à retirer le contrat de première embauche (CPE). De plus en plus fréquemment et fortement, nous subissons des attaques antisociales : ce n’est que par la mobilisation qu’on pourra les repousser et passer à l’offensive ».
La lutte n’est pas simplement le moyen d’obtenir satisfaction. « C’est un moment d’apprentissage : on apprend à s’engager, à prendre la parole, à convaincre. La grève permet de nous libérer du temps pour nous mobiliser. C’est aussi par la grève qu’on peut se réapproprier nos lieux d’études », explique Micka.
La fin d’année 2018 et le début d’année 2019 ont déjà vu s’accumuler des expériences militantes importantes : mouvement des « gilets jaunes », mobilisations lycéenne et étudiante, grèves comme à la Poste dans les Hauts-de-Seine ou dans les hôtels de luxe à Paris, etc. Pour Victor, cette période témoigne de la profondeur de l’exaspération qui existe dans notre camp social. Mais « il faut que les colères coagulent. Le mouvement des “gilets jaunes” exprime une rage énorme, mais s’il reste cantonné aux week-ends et ne se lie pas aux grèves dans le mouvement ouvrier, s’il ne se mélange pas avec les débuts de mobilisation dans la jeunesse, il ne pourra pas modifier le rapport de force à lui seul ».
En 2016, ce sont les jeunes qui ont ouvert le bal contre la loi Travail ; ce sont leurs premières actions – immédiatement rejointes par des travailleurs –, et le soutien très large dont elles ont bénéficié dans la population, qui ont lancé le mouvement. Aujourd’hui, selon Victor, « le mouvement étudiant a un rôle à jouer, car il a une tradition importante de lutte. Une mobilisation de masse dans la jeunesse permettrait de poser la question de la grève à une toute autre échelle, celle des salariés. Aussi nous devons être volontaristes et œuvrer à cette mobilisation ».
C’est la grève qu’il faut mettre à l’ordre du jour. Cela doit être l’objectif de celles et ceux qui veulent gagner face au gouvernement et au patronat. Un mouvement de grève interprofessionnel, un mouvement d’ensemble, donnerait de l’espoir à notre classe, et comme le dit Victor, « il ne s’agit pas seulement de défendre la gratuité des études, ni même de simplement stopper le camp de nos ennemis. Un mouvement de grève générale poserait la question du pouvoir, c’est-à-dire de qui doit décider et diriger la société : les capitalistes qui encaissent, ou ceux qui font tourner la boutique ».
En guise de conclusion, Micka explique que ce qui leur arrive « avec la section disciplinaire à Nanterre est, à une petite échelle, ce qui arrive partout dans les entreprises et lors des mobilisations de rue. Car le patronat, le gouvernement et les autorités administratives veulent dégager tous les militants combatifs ou les mettre hors d’état de leur nuire. Mais nous continuons de nous mobiliser pour montrer qu’il ne faut pas céder face aux présidences d’université et au gouvernement. Par notre détermination et par notre solidarité, nous pouvons les faire plier ». Le message est clair.
Marine Azua