Hong Kong : le mouvement de masse se confronte à la loi de sécurité nationale chinoise

>Une contestation massive s’exprime dans la rue à Hong Kong, comme lors des manifestations de 2019-2020 marquées par des affrontements intenses entre le gouvernement et le mouvement de masse. Alors que le virus circule moins à Hong Kong et que la situation politique s’exacerbe, la mobilisation de rue reprend. Lam Chi Leung a répondu à plusieurs questions au sujet des dernières manifestations. Lam est un communiste révolutionnaire vivant à Hong Kong et rédacteur de la version chinoise du site internet Marxists Internet Archive.

Quelles sont les conséquences de la loi de sécurité nationale sur les travailleuses et travailleurs de Hong Kong, et pourquoi voit-on des mobilisations de rue ? 

Lam Chi Leung - Le Congrès National du Peuple à Pékin a adopté le 28 mai une « résolution établissant une loi de sécurité nationale dans la Région Administrative Spéciale (RAS) de Hong Kong ». Deux ou trois mois vont s’écouler entre l’adoption de la résolution et sa mise en œuvre législative concrète, mais l’intention fondamentale de la résolution est bien assez claire. Selon les termes de la résolution : 
  • Il sera interdit aux résidents de Hong Kong de faire preuve de séparatisme ou de subversion de l’État (y compris du gouvernement de la RAS de Hong Kong), ou de collaborer avec les forces étrangères pour interférer dans les affaires d’Hong Kong ou organiser des activités terroristes. Tout cela s’inspire de ce qui se pratique judiciairement depuis longtemps en Chine continentale, et de la première version de la législation « anti-subversion » contenue dans l’article 23 de la loi fondamentale de Hong Kong qui devait être adoptée en 2003 (et a été mise de côté grâce à une mobilisation de rue massive). Ainsi, le spectre de la « subversion » sera très large. Acheter des publications anti-gouvernementales, par exemple, ou appeler ouvertement à la fin du règne du parti unique du PCC, seront considérés comme des actes de violation de la loi. 
  • Le Ministère chinois de la Sécurité de l’État pourra établir directement ses organes officiels à Hong Kong. Auparavant, quand ils voulaient capturer quelqu’un à Hong Kong, ils devaient le faire subrepticement. Ils pourront désormais très simplement détenir et interroger quelqu’un. 
  • Le Bureau de la Sécurité local de Hong Kong et les organes à Hong Kong du Ministère de la Sécurité de l’Etat pourront arrêter n’importe qui n’importe quand sur la base de leur opposition au régime du continent. Hong Kong devra mettre en œuvre des lois sur la sécurité nationale similaires à celles de la Chine continentale. Tous les éléments de ces lois ne seront pas appliqués concrètement d’un seul coup, mais l’objectif sera de forcer leur mise en oeuvre graduellement. 
  • Hong Kong devra mettre en œuvre une éducation idéologique et politique similaire à celle de la Chine continentale. 
En 2003, environ 700 000 résidents de Hong Kong (sur une population de 7,5 millions) ont manifesté et ont gagné le retrait de l’article 23 de la loi fondamentale. Depuis le mois de juin 2019, les hongkongais ont manifesté à de nombreuses reprises contre la révision de la loi d’extradition par le gouvernement de Hong Kong (qui aurait permis l’extradition de résidents de Hong Kong vers le continent), avec des rassemblements qui ont compté jusqu’à 2 millions de personnes. Même si Carrie Lam a retiré le projet de loi d’extradition, la population n’a pas cessé de se mobiliser. Elle revendiquait l’établissement d’une commission d’enquête indépendante sur les violences policières, et le droit d’élire directement le Conseil Législatif et le Chef de l’Exécutif. L’opposition est sorti grande gagnante des élections des Conseils de District tenues en novembre dernier. 

Il y a des raisons de penser que le régime de Pékin craint un nouveau succès de l’opposition lors des élections au Conseil Législatif prévues pour septembre, ou que la lutte de Hong Kong donne un exemple à suivre pour la population ailleurs dans le sud de la Chine, et que le régime a donc décidé de passer par-dessus le gouvernement de la RAS de Hong Kong et de légiférer directement depuis le centre du pouvoir. L’objectif est d’étouffer la résistance des masses de Hong Kong, en particulier de sa jeunesse. 

Qui dirige ces manifestations et sont-elles liées aux mobilisations qu’on a vues l’an dernier ?

LCL - La résistance manque encore beaucoup d’organisation et s’appuie sur des appels spontanés publiés sur internet. Les résidents d’Hong Kong manifestent sans interruption depuis le vendredi 22 mai, date de l’annonce de la résolution par Pékin. À cause de la pandémie en cours, le gouvernement a interdit les rassemblements publics, ce sont donc des actes de résistance atomisés qui ont lieu dans de nombreux endroits. La police a la main plus lourde que l’an dernier dans sa gestion des manifestants, elle a même arrêté des lycéens. Les scènes d’affrontements dans la rue ressemblent beaucoup à celles des mobilisations de masse de l’an dernier. 

On peut remarquer que cette fois-ci les manifestants reprennent le slogan « l’indépendance de Hong Kong est la seule solution », et ne sont particulièrement accueillants envers les personnes venues du continent en visite ou récemment immigrés (leur criant par exemple de retourner sur le continent). C’est une tendance xénophobe inquiétante, qui semble gagner du terrain progressivement dans le mouvement d’opposition, en particulier dans la jeunesse mobilisée. Naturellement, ce ne sont pas non plus tous les manifestants qui s’embarquent dans cette tendance. 

Quelle perspectives vois-tu pour la classe ouvrière à Hong Kong ? Quelles sont tes réflexions tactiques et stratégiques ? 

LCL - Depuis qu’Hong Kong est revenue à la Chine, la lutte de la classe ouvrière a fait des pas en avant, notamment par la grève du secteur public contre la privatisation en 2000, la grève du bâtiment en 2007 et la grève des dockers en 2013. Mais de manière générale, on ne peut pas dire que le niveau d’activité et de conscience de classe des travailleuses et des travailleurs soit élevé. 

La campagne de l’an dernier contre le projet de loi d’extradition a pour la première fois mis la grève politique à l’ordre du jour du mouvement de masse (la dernière grève politique date de 1967). Ladite grève politique a effectivement été menée le 5 août 2019, avec la participation de 300 000 personnels des aéroports et compagnies aériennes, du travail social et de l’éducation. Même si c’était une grève de 24h, symbolique, c’était tout de même un pas en avant très significatif. 

Sur la base de la dynamique du mouvement anti-extradition, une série de nouveaux syndicats ont vu le jour à la fin de l’année dernière. L’Alliance des Employés de l’Autorité Hospitalière a été créée par des soignantes et soigants, des « premières lignes ». Elle compte 20 000 membres et a fait cinq journées d’action du 3 au 7 février, exigeant de l’Autorité Hospitalière l’équipement de protection adéquat pour les médecins, les infirmières et infirmiers et tout le personnel. 

À mon avis, que l’objectif soit de résister à la loi de sécurité nationale, de défendre les libertés politiques, ou de revendiquer la démocratie, il faut mobiliser la masse des résidents ordinaires d’Hong Kong pour qu’ils et elles prennent part à la lutte. L’auto-organisation ouvrière et la grève la plus large doivent jouer un rôle central, car c’est ce qui a le plus grand potentiel de forcer les autorités à reculer. 

Quel a été l’impact du Covid-19 sur le mouvement de masse ? 

LCL -  La période de février à avril a été le moment le plus grave de l’épidémie de Covid-19 à Hong Kong et depuis mai la situation s’améliore progressivement. Cependant, malgré le fait que la pandémie s’affaiblit, le gouvernement d’Hong Kong n’a pas levé ses restrictions des rassemblements et a interdit la manifestation du 1er mai. 

Je pense que le gouvernement continuera à utiliser ces consignes pour empêcher les rassemblements de masse lors des dates « sensibles » qui vont arriver : le 4 juin (la commémoration des manifestations de la place Tiananmen), le 9 juin (l’anniversaire du mouvement contre le projet de loi d’extradition) et le 1er juillet (le 2ème anniversaire de rétrocession d’Hong Kong à la Chine). 

Cependant, d’ici à ce que la pandémie reflue, autour des mois d’août ou septembre, on sera à la veille de l’adoption formelle de la « loi de sécurité nationale d’Hong Kong » et on verra sans aucun doute des rassemblements massifs à Hong Kong. Le nombre de gens dans les manifestations sera peut-être même supérieur à l’année dernière. 

Est-ce que tu souhaites rajouter quelque chose ? 

LCL - La sécurité du peuple n’a rien à voir avec la sécurité de l’État. À moins que l’Etat ne soit une « communauté d’individus librement associés », il n’y a aucune obligation à soutenir la sécurité de l’État.

Les masses laborieuses de Hong Kong doivent s’organiser elles-mêmes, et s’unir à toutes les formes de lutte ouvrière et de campagnes de défense des droits du peuple en Chine continentale. C’est la seule façon de conquérir les libertés politiques dans toute la Chine et de garantir l’autonomie de la démocratie d’Hong Kong. Pour mobiliser de larges couches de travailleuses et travailleurs pour défendre ces libertés, il faut combiner les revendications des droits politiques avec les revendications d’égalité économique et sociale de la classe ouvrière : il faut un programme anticapitaliste. Nous devons apprendre de la lutte de l’an dernier contre le projet de loi d’extradition : à ce moment-là, le mouvement n’avait pas revendiqué de réforme économique et sociale et a eu des difficultés à attirer davantage la classe ouvrière. 

Contrairement à la Chine continentale, les résidents d’Hong Kong bénéficient depuis longtemps de certaines libertés fondamentales. Il y a tout un tas d’organisations, de médias, de partis politiques, et la plupart des gens ne soutiennent pas les autorités chinoises. Cette situation ne changera pas fondamentalement dans un court laps de temps uniquement à cause de la « loi de sécurité nationale de Hong Kong ». De même, la teneur de l’opinion publique de ses résidents ne s’inversera pas simplement sur la base des défaites d’un ou deux mouvements. Ces facteurs seront des points d’appui pour la campagne actuelle contre la loi de sécurité nationale. Beaucoup dépend maintenant de la détermination et de l’ingéniosité de la lutte de masse.

Propos recueillis par Ernie Gotta (Socialist Resurgence)
Traduction de Carlita Garl

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