Contribution sur la situation internationale :
Comité International SUQI (IVème Internationale) des 19 et 23 février 2022
La situation du monde est toujours caractérisée par une crise économique profonde. Si dans certains pays, des chiffres de croissance peuvent momentanément évoluer à la hausse, globalement le taux de profit mondial connaît une tendance à la baisse qui comporte deux dimensions : une baisse séculaire, telle qu'analysée par Marx, qui n’est pas une loi abstraite mais une réalité palpable. Cette tendance historique se conjugue avec une crise prolongée. Crise qui a succédé à la période dite "néolibérale" des années 80-2000 et qui s'est révélée aux yeux de tous avec la dépression de 2008.
Le capitalisme avec sa logique structurelle vise à consommer toujours plus de matières premières et d’énergie. L’objectif du capitalisme est de produire toujours plus et de faire toujours plus de profits. Le capitalisme ne peut pas être « vert ». Le capitalisme détruit notre environnement et ses espèces. Il détruit notre planète. Mais là encore, il ne peut y avoir d’écologie conséquente sans une lutte conséquente contre le capitalisme et sans la compréhension que le seul sujet qui peut en finir avec le capitalisme et le désastre écologique qu’il engendre, c’est la classe ouvrière. Si nous partageons cette analyse, nous devons en tirer les conséquences, d’implantation, d’intervention et d’orientation. En effet, c’est la classe ouvrière alliée avec d’autres secteurs qui est capable d’imposer, face à la catastrophe écologique, un programme de transition écologique anticapitaliste, axé sur la remise en cause des énergies fossiles et nucléaires et sur la nécessité de la planification de l’économie à l’échelle internationale.
Mais il est impossible de comprendre la force de l'offensive réactionnaire, sexiste, homophobe et raciste ainsi que la résurgence de courants d'extrême-droite au niveau institutionnel comme dans la rue en dehors de cette urgence à infliger une défaite décisive à la classe ouvrière et aux luttes des opprimé.e.s. Une offensive qui n’est pas sans rencontrer une résistance parfois farouche, comme la nouvelle vague de luttes féministes le prouve depuis plusieurs années.
La classe ouvrière mondiale n’est pas défaite
Mais un autre trait saillant de la situation, c'est justement l'absence de défaite historique de la classe ouvrière au niveau global.
Sa capacité de mobilisation est manifestement bien là. Nous assistons à une phase de remobilisation globalement croissante depuis 2011, et accélérée depuis 2018. La liste des régions et pays touchés par des soulèvements de masse est trop longue.
À la racine de cette résistance dont la force ne cesse de surprendre : une reconfiguration de la classe ouvrière de grande ampleur. Ce processus est permanent mais il a, lui aussi, franchi de nouveaux seuils. Nous sommes aujourd'hui au beau milieu d'un "nouveau terrain" pour la lutte des classes, avec des nouveaux points faibles pour l'adversaire et des nouveaux points forts pour nous. La classe ouvrière au sens large devient majoritaire absolue dans la population mondiale. La partie de notre classe employée dans l’industrie n'évolue pas à la baisse au contraire. De nouvelles concentrations industrielles ont été créées dans des pays auparavant considérés comme arriérés : la Chine bien sûr mais aussi la Turquie, Maroc, Indonésie, Vietnam, Cambodge… Mais dans les pays anciennement industrialisés, où les usines n’ont d’ailleurs pas totalement disparu, loin de là, de nouvelles concentrations ouvrières, différentes de celles du passé sont en train de se constituer : Walmart et Amazon comptent parmi les plus grosses entreprises du monde, et la nouvelle place du secteur logistique a créé de nouveaux « clusters », des goulots d’étranglement dans l’appareil de production et de distribution capitaliste.
Une nostalgie en décalage avec la réalité
L'idée que « c'était mieux avant », que la période dite des « 30 glorieuses » avec ses grosses usines dans les pays riches, avec l’absence de chômage de masse, l’emploi stable comme norme et un mouvement ouvrier certes bureaucratisé mais fort constitue une double erreur de perspective. On idéalise un passé où les révolutionnaires n’avaient que trop souvent peu de prises sur les évènements, et on gomme les potentialités offertes par la période actuelle.
L’image d’un passé glorieux et révolu du mouvement ouvrier hante les débats parmi les révolutionnaires. Mais après tout, était-ce beaucoup plus facile qu’aujourd’hui de militer en Allemagne à la fin du XIXème siècle sous les lois d’exception ou même en France en 1870, où les CDI et les grosses usines n’existaient pas ? On oublie ainsi que dans ces périodes de « gloire » le rôle du facteur subjectif a été décisif : le rôle de la part de militants ouvriers révolutionnaires uni.e.s par un projet politique et stratégique collectif, qui ont su tirer partie de conditions objectives pour consciemment construire avec des moyens souvent très faibles, à bien des égards plus faibles de ceux dont nous disposons aujourd’hui et malgré des obstacles importants un mouvement ouvrier à la fois indépendant de la bourgeoisie et massif, à vocation majoritaire. Aujourd’hui aussi, il y a des obstacles très importants, mais il y a aussi des potentialités, importantes elle aussi. La situation est très différente de celle du passé, c’est évident, et il ne suffira pas de reproduire les méthodes du passé, même les meilleures. Mais toute la question est celle de comprendre la nécessité de se placer en position de construire sur la durée pour saisir les occasions très réelles offertes par la situation, très peu mises en avant dans nos discussions.
Le mouvement paysan indien est par exemple parvenu à faire reculer le gouvernement ultra-réactionnaire de Modi au terme d’un mouvement long et massif, historique par son ampleur. Ce mouvement a utilisé des formes de lutte novatrices mais souvent proches de celle du mouvement ouvrier (manifestations blocages, assemblées générales), dans l’un des pays où la classe ouvrière est la plus nombreuse du monde. Il est clair que cette victoire n’augure pas à elle seule un retournement du rapport de forces global entre les classes. Mais elle doit nous aider à prendre la mesure des possibilités à leur échelle pour les révolutionnaires de lier nos idées à de nouvelles forces sociales, plus ou moins importantes en fonction des situations, mais réelles, qui sont potentiellement porteuses non seulement de possibilités de lutte et de victoires ponctuelles, mais aussi de démonstrations qu’il est possible pour notre classe de gagner et de construire une autre société.
Les conséquences contradictoires de l’affaiblissement du mouvement ouvrier traditionnel
L’affaiblissement et même la décomposition du mouvement ouvrier traditionnel a un double aspect : il participe de la dégradation du rapport de forces, mais il ouvre aussi de nouvelles possibilités… s’il y a quelqu’un pour les saisir ! Le mouvement des Gilets Jaunes en France en est une illustration typique. L’une des causes fondamentales de son surgissement, c’est l’incapacité et l’absence de volonté du mouvement ouvrier officiel de se confronter un tant soit peu au pouvoir de Macron. Cependant, ce mouvement a eu au moins pendant une certaine période un effet déstabilisateur sur le gouvernement, qui a tremblé pendant quelques jours. Le problème n’était pas le caractère confus d’un point de vue de classe de ce type de mouvement, inévitable en particulier au vu des conditions convulsives actuelles du système capitaliste, mais l’incapacité du mouvement ouvrier y compris de son aile révolutionnaire à intervenir dans la situation ouverte par ce mouvement avec une perspective propre, identifiable, capable de proposer des objectifs et des méthodes propres à notre classe. S’adapter à ce type de mouvements, ou au contraire les critiquer depuis le banc de touche ont été le lot commun de presque tous les courants.
Se lamenter de l’affaiblissement des organisations traditionnelles n’a aucun intérêt. Mais saisir les possibilités d’intervenir, dans les entreprises, dans la jeunesse et dans les mouvements sociaux qui inévitablement vont à nouveau éclater : voilà qui est vital pour nous. Les révolutionnaires ont été pendant longtemps confinés aux marges de la classe ouvrière, du mouvement ouvrier et plus largement de la scène politique. La décomposition de la social-démocratie et du stalinisme n’impliquent pas que des reculs mais aussi des barrières qui disparaissent pour notre intervention. Il ne suffit pas de vouloir faire une percée pour y parvenir : les obstacles sont nombreux et même de plus en plus redoutables. Mais il faut discerner la possibilité pour la saisir. Et il faut en avoir la volonté.
Instabilité chronique et tensions interimpérialistes
La situation est ainsi caractérisée par une instabilité chronique, nourrie non seulement par une crise endémique et par des luttes populaires massives, mais aussi par un aiguisement des tensions inter impérialistes.
Le retrait de l’armée française du Mali, qui s’inscrit en réalité dans un redéploiement impérialiste à l’échelle régional, ne peut se comprendre en dehors des points marqués par la Russie et d’autres puissances en Afrique.
Le regain de tension actuel en Ukraine ne conduira pas nécessairement à un conflit armé d’ampleur, mais il indique que les rivalités entre grandes puissances prennent une nouvelle acuité et peuvent accentuer les dynamiques de crise politique. Notre opposition implacable à toute intervention impérialiste de l’OTAN doit évidemment tracer une ligne de distinction nette avec toutes celles et ceux qui parent Poutine de vertus anti-impérialistes. Notre opposition à la guerre et à tout type d’ingérences de la part en particulier de nos gouvernements impérialistes est fondamentale. Nous ne nous laissons pas berner par les discours hypocrites sur le droit des peuples : le régime ukrainien ne respecte pas les droits des russophones, ce qui a pour effet par ailleurs de les pousser dans les bras de la Russie. En Ukraine et dans toute la région, seule une intervention propre des travailleurs pourra faire reculer de manière décisive les menées des différentes fractions de la bourgeoisie, qu’elles soient impérialistes occidentales, russe ou indigène.
La défaite de l’impérialisme le plus puissant du monde en Afghanistan a et aura des répercussions sur la durée. Impossible de prédire à qui il va profiter au final en termes de puissances mais aussi en termes de classe. Ce qui est certain, c’est que la leçon doit profiter à notre camp social : la puissance la plus formidable de tous les temps n’est pas invincible, et c’est donc à nous de construire notre propre issue, notre propre programme d’émancipation, un programme communiste, face à la barbarie capitaliste qui est en marche sous nos yeux.
Pas de substitut électoral et réformiste
L’impasse représentée par les courants réformistes ou nationalistes bourgeois n’est pas nouvelle mais elle mérite d’être actualisée, soulignée et expliquée auprès de nos milieux.
Les victoires électorales de la gauche effectives (Chili) ou potentielles (Brésil) nourrissent en effet les illusions sur la possibilité de créer de nouvelles forces néo-réformistes capables de changer le rapport de forces, notamment par le biais électoral. Y compris dans nos rangs, l’idée qu’il est fondamental pour faire évoluer le rapport de forces, de faire élire des gouvernements de gauche dirigées par des forces dénuées de tout programme socialiste et aux attaches parfois ténues avec la classe ouvrière doit être combattue non seulement avec l’aide de nos arguments théoriques issus de la tradition marxiste, mais également à la lumière de l’expérience plus récente. L’arrivée au pouvoir de Tsipras perçue majoritairement dans le mouvement de masse comme un substitut à la force propre de nos luttes n’a pas été un point d’appui vers une quelconque rupture avec le capitalisme ni même en direction de la constitution d’un « gouvernement ouvrier » telle que les premiers congrès de l’Internationale Communiste l’envisageaient, mais un chemin vers une dégradation du rapport de forces à cause d’illusions qui n’ont pas été combattues en théorie et en pratique.
Nous devons évidemment sans cesse nous efforcer de constituer l’aile marchante, unifiante du mouvement de masse et donc nous adresser aux forces liées à la classe ouvrières et mener une politique de front unique en leur direction, en leur adressant des propositions d’action commune sur les questions brûlantes pour notre classe. Cependant, notre rôle est de créer une ligne de démarcation politique nette, compréhensible par des travailleuses et des travailleurs conscients entre ces forces politiques et notre projet, entre ces organisations et les nôtres.
Les différentes organisations liées à la Quatrième Internationale au Brésil semblent majoritairement avoir ont décidé de soutenir une coalition avec Lula, une « fédération des partis » avec Rede Sustentabilidade, un parti qui a voté pour la destitution de Dilma Roussef et pour la réforme des retraites. Un choix qui préfigure l’abandon d’une candidature propre du PSOL aux élections présidentielles. Par-delà les questions de tactiques électorales, il s’agit de la question de l’indépendance de classe qui est posée. Sommes-nous capables de défendre une politique de classe propre, anticapitaliste et révolutionnaire, distincte des différentes options de replâtrage du système capitalistes, qui conduisent invariablement à la désillusion ?
Divergences tactiques et objectif stratégique d’un parti révolutionnaire
Nous pouvons avoir des divergences tactiques, et même des désaccords très sérieux sur le chemin qui doit nous mener à la révolution, à la prise du pouvoir et la construction du communisme.
Mais nous ne devons pas perdre de vue, nous ne devons pas couper le fil qui relie les débats sur les choix entre telle ou telle option tactique et l’objectif du renversement du pouvoir bourgeois.
Nous ne devons en particulier pas évacuer vers un horizon lointain et au final sans influence sur nos choix du présent l’objectif de construction d’un parti révolutionnaire, d’une internationale révolutionnaire. Ce fil à plomb doit redevenir notre objectif stratégique, et c’est à son aune que nous devons mesurer telle ou telle orientation pour la situation actuelle.
Le texte international : « Saisir les occasions, construire une internationale pour la révolution et le communisme » de notre plateforme internationale pour le dernier congrès mondial garde son actualité pleine et entière.
Cette plateforme de congrès est devenue une tendance permanente : la Tendance pour une Internationale Révolutionnaire (TIR) afin de poursuivre ces débats à l’intérieur et l’extérieur de notre internationale. De notre point de vue, par exemple, choisir de soutenir Lula, en particulier après les expériences de ces 20 dernières années, constitue une grave erreur. Pas seulement sur le principe, non conforme par exemple avec la pratique de la social-démocratie allemande pendant ses heures de gloire, ou avec celle du parti bolchevik avant sa stalinisation, ou celle du PC allemand du début des années 20 etc… mais une grave erreur par rapport aux possibilités réelles pour les révolutionnaires de proposer, parfois avec d’autres anticapitalistes, une politique ouvrière combative lutte de classe propre, qui articule nos idées révolutionnaires dans un langage contemporain et populaire, et qui se retranscrit dans une pratique identifiable, qui s’incarne dans des militantes et des militants capables ici et maintenant de montrer ce que signifie affronter les capitalistes, contester leur pouvoir et faire entrevoir la possibilité d’une société communiste.
Juliette Stein (CI, CPN NPA, TIR), Xavier Guessou (SFQI, CPN NPA, TIR), Gaël Quirante (CI, CE NPA, TIR)