Nouveau cap répressif à La Poste : la résistance n’en est pas pour autant brisée



La Poste a évité les mobilisations nationales depuis le changement de statut de l’entreprise en Société anonyme en 2009. Dans les années 2010, les grèves, en grande majorité chez les factrices et facteurs, ont cependant été très nombreuses, parfois longues, mais presque totalement dispersées… Jusqu’au coup de tonnerre de la pandémie. 

2020-2021 : l’embryon d’une mobilisation nationale à La Poste 
En mars 2020, 20 000 postières et postiers ont exercé spontanément leur droit de retrait, car elles et ils ne voulaient pas risquer leur peau au boulot, sans masque ni gel. C’était le premier épisode de la reconstitution d’une capacité de mobilisation nationale dans la plus grande entreprise du pays. Sous l’impact de ce quasi débrayage national, le réseau « Postières postiers en lutte » s’est constitué par des réunions et meetings en ligne, et a mis en relation des équipes mili-tantes et des individus syndiqués et non syndiqués de plusieurs dizaines de départements. L’idée d’un tous ensemble postal se discutait et faisait son chemin dans les têtes. 

La Poste a quant à elle repris l’offensive sur le terrain des sup-pressions d’emplois, d’abord à partir d’avril 2020, puis en sup-primant prime sur prime fin 2020. Les équipes syndicales qui étaient au coeur de « Postières postiers en lutte » sont à l’initiative de la constitution d’intersyndicales départementales qui ont appelé à deux grèves départe-mentales réussies dans le 92, le 19 mars puis le 27 mars en Gironde. Deux grèves placées sous le signe de revendications nationales sur les salaires, les suppressions d’emplois et la précarité et du slogan : « Nous, ce qu’on veut c’est une grève nationale ! » 

Dans la foulée de cette double réussite, des intersyndicales se sont constituées dans le Calva-dos (14), l’Ille-et-Vilaine (35), les Bouches-du-Rhône (13)… dont les animateurs et animatrices issus de « Postières postiers en lutte » se sont mis d’accord pour pousser en faveur d’une date de grève commune en mai 2021. La sauce a pris et à la faveur d’un coup de colère des postières et postiers, les intersyndicales se sont généralisées sur la majorité du territoire en reprenant la date du 18 mai. 

Cette date a été la plus grosse grève depuis au moins 2009, notamment en termes de nombre de manifestations, de rassemblements et de prises de parole dans les services, communes aux différentes organisations syndicales pour appeler à la grève. Des prises de parole que La Poste n’ose pas criminaliser. Mais la date est restée sans lendemain, les fédérations syndicales, en particulier la CGT, se révélant incapables ou ne voulant pas d’appel commun nationale à la grève. Le moment favorable passé, ont repris le dessus l’aspect local des conflits et le déséquilibre du rap-port de forces entre des équipes locales combatives et une direction nationale de l’entreprise qui mobilise toutes ses ressources pour écraser les militants qui ont été la cheville ouvrière du mouvement. 

Attaques répressives très ciblées en réaction 
La Poste frappe avec une force particulière dans le Calvados, les Yvelines (78) et les Hauts-de- Seine (92). Pourquoi ? 

La CGT FAPT 14 est l’équipe CGT emblématique d’une capacité à faire des prises de parole dans les services à la fois mobilisatrices et visibles à l’échelle nationale grâce à l’utilisation des réseaux sociaux, sur une ligne d’opposition totale aux suppressions d’emplois et à la politique d’en-semble de La Poste. SUD Poste 78 et SUD Poste 92 travaillent étroi-tement ensemble avec exac-tement la même orientation. L’écho national des prises de parole des militantes et militants du 14, du 78 et du 92 à travers les réseaux n’est pas anecdotique : La Poste peut contenir des mouvements locaux et cherche à tuer dans l’oeuf la conscience naissante qu’il est possible de se battre ensemble à l’échelle nationale, en écrasant les centres organisateurs potentiels. 

Dans le 14, la Poste a monté de toutes pièces trois procédures de révocation contre Christophe et de licenciement contre Antoine et Raphaël. Yann Le Merrer de SUD avait été le premier exemple de révocation d’un fonctionnaire depuis 1951, Christophe est le premier fonc-tionnaire CGT révoqué, toutes entreprises confondues, depuis la même date. En trois mois, entre octobre et décembre 2022, les trois principaux militants de la CGT FAPT 14 ont été privés de leur emploi. 

La Poste marque des points… 
D’autre équipes militantes parmi les plus combatives à La Poste, elles aussi en pointe en 2021 sont également dans le viseur : les militants SUD et CGT de La Poste Marseille Euroméditerranée ont subi en six semaines trois licenciements et huit jours de mise à pied ! 

L’annonce du risque de révocation de Christophe avait suscité un élan de solidarité nationale à l’échelle de la CGT FAPT : tous les syndicats FAPT départementaux ou presque et la fédération FAPT avaient pris position contre sa révocation à l’hiver 2021-2022. En réalité, au vu du fait que la révocation de Christophe était une première pour la CGT à l’échelle de l’ensemble du monde du travail, et que le licenciement de toute une équipe militante syndicale constituait également un cap, la mobilisation aurait dû constituer un enjeu national pour le mouvement ouvrier, pour la CGT mais aussi pour les autres organisations comme SUD-PTT et Solidaires, qui de leur côté n’ont pris aucune initiative. Pire : le soutien organisé au niveau de la FAPT CGT à Christophe et ses camarades est allé en diminuant. Les directions syndicales CGT au niveau de la FAPT et au niveau du 14 ont pesé de tout leur poids pour mettre toutes les embûches possibles au maintien de l’activité militante de Christophe, Antoine et Raphaël, avec le refus pur et simple de la prise en charge par les structures syndicales de la cagnotte de solidarité pour les trois camarades ! 

Le maintien de l’activité militante, malgré le licenciement, est possible d’un point de vue militant et juridique comme le prouvent Gaël Quirante et ses camarades depuis 2018. Et les organisations syndicales ont largement les moyens financiers de soutenir les militants licenciés, ne serait-ce que le temps des recours juridiques en vue d’une réintégration. Mais étendre cet exemple au-delà du 92 serait une remise en cause du pouvoir patronal dont les bureaucraties ont peur : si licencier les militantes et militants combatifs ne les empêche pas de militer auprès des collègues sur les lieux de travail, c’est la capacité du patron à décider de qui il embauche qui est entamée… et pas seulement à La Poste. 

Car le jugement de janvier 2019 obtenu grâce à la grève de plus d’un an de 150 postiers et postières du 92, qui reconnaît la légitimité du maintien des mandats syndicaux de Gaël Quirante malgré son licenciement, constitue un point d’appui dans tous les secteurs, dont les secteurs lutte de classe du mouvement ouvriers pourraient se saisir. 

… mais le rapport de forces est loin d’être totalement inversé 
Quant à Vincent Fournier, lui aussi lâché par la CGT FAPT et depuis devenu secrétaire de SUD Poste 78, il est l’objet d’un acharnement dément : il est le seul salarié du pays à être visé par deux procédures simultanées de licenciement auprès du ministère du Travail, et ce évidemment pour des motifs strictement militants. Une troisième procédure de licenciement vient d’ailleurs d’être lancée contre lui en janvier 2023. Mais en s’appuyant sur une collaboration étroite avec SUD Poste 92, non seulement Vincent maintient son activité dans les bureaux, mais il est même parvenu à hisser son organisation syndicale de 6 à 39 % auprès des factrices et facteurs des grades de base (les moins bien payés) aux élections de décembre 2022 dans son département, une progression exceptionnelle ! 

De son côté, Gaël Quirante, secrétaire de SUD Poste 92, était en position particulièrement difficile fin 2022 : il était visé par deux procès au pénal, accusé de violences dans les deux cas, et dans les deux cas sur la base de dossiers fondés sur des faux témoignages (d’une part de vigiles du ministère du Travail, et de l’autre de cadres de La Poste). Gaël risquait de trois à six mois de prison avec sursis dans le cadre du deuxième procès, sur une simple accusations de cadres. Cela aurait constitué un très grave précédent. Mais il a été relaxé dans les deux affaires, avec un jugement particulièrement cinglant quant aux témoignages des cadres, ce qui fragilise la crédibilité de La Poste, y compris dans les futures procédures pénales qui se profilent déjà contre Gaël et d’autres camarades : lui et quatre autres militants, dont Yann Le Merrer, sont visés par une mise en examen confiée à la même juge d’instruction que celle qui a officié dans l’affaire Adama Traore. Accusés là encore de « violences » et de « dégradations » dans le cadre d’une occupation du siège de La Poste en 2014 (!), la date de l’audience n’est pas encore fixée, mais Gaël, Yann et leurs camarades vont pouvoir aborder cette affaire de manière offensive, en faisant le procès de La Poste et de ses méthodes de voyous, en s’appuyant sur la double relaxe de Gaël. 

Xavier Chiarelli 

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