Anticapitalisme & Révolution – Jusqu’à tard, la direction de la SNCF a cru pouvoir éviter ce mouvement. Pourquoi n’y est-elle pas parvenue ?
Bruno – Le gouvernement ne voulait pas de grève pour sanctuariser un peu cette période, mais il n’y a pas eu de trêve des confiseurs, puisque les contrôleurs ont bien fait grève au début des fêtes de fin d’année. Lorsqu’il y a grève, le gouvernement et la direction de la SNCF trouvent toujours que celle-ci est mal placée : le week-end car on tape sur les équilibres de vie des gens ; pendant les vacances car ça bousille les congés des usagers... Mais en fait, là n’est pas la question. La grève a toute sa pertinence pour la riposte du monde du travail face à l’offensive de notre direction.
Les raisons viennent de loin. Elles viennent déjà de la privatisation de la SNCF et des impacts en termes d’organisation dans les services, de perte d’énormément d’effectifs, d’explosion de la polyvalence. Notre métier de contrôleur nous contraint, dans de mauvaises conditions, à bosser trois week-end sur quatre, à avoir des horaires décalés. Lors des recrutements, les salaires d’embauche sont de 1 600 euros, avec un gel des salaires depuis plus de huit ans. Et en 2022, il y a eu 1,4 % d’augmentation seulement.
Lorsqu’on bosse, qu’on roule, on se rend compte qu’il y a de plus en plus de monde dans les trains, avec des billets vendus plus cher. La SNCF explose ses bénéfices : 2,2 milliards annoncés en fin d’année. Les raisons viennent de ce contexte de précarisation de notre métier et aussi, à travers les conditions de voyage des usagers qui nous font mal au coeur.
Les revendications sur les salaires se sont traduites par des épisodes de grève dans tous les services en 2022 et pour le service des contrôleurs, il s’agissait de demandes de primes pour les retraites, d’embauches. Là, le détonateur a été l’augmentation de 700 euros de nos salaires mensuels. C’était vraiment le catalyseur. La mobilisation nous a surpris en termes de pourcentages : plus de 80 % de en TGV et Intercités et 60 % sur les TER. La grève a donc été mûrement réfléchi depuis le mois de septembre et elle s’est traduite par deux grands épisodes en décembre, sur deux week-end.
L’impact a été très fort du fait aussi qu’il s’ancre dans une culture de « volonté d’en découdre ».
A&R – Qu’est-ce que ce collectif de contrôleurs, qui représente-il ? Quel a été son rapport aux organisations syndicales ?
B. – Les contrôleurs représentent près de 9000 travailleuses et travailleurs. Le collectif national des contrôleurs est né de toutes ces colères pas forcément entendues par les directions syndicales et qui auraient dû sortir et se structurer. Une partie qu’on pourrait qualifier d’aristocratie ouvrière s’est autoproclamée en responsabilité pour essayer de construire un cadre d’auto-organisation v i r t u e l en écoutant les doléances, en essayant de structurer quelque chose autour d’un cahier revendicatif. Après l’avoir créé à son sommet, cette structure a été proposée aux contrôleurs via des réseaux et des outils comme Signal, Whatsapp et Telegram. Tout ça est né au mois de septembre. Avec l’approche des élections professionnelles, les organisations syndicales ont eu l’obligation de se positionner par rapport à cette dynamique et ces 3 000 contrôleurs qui communiquaient entre eux via les outils virtuels. L’UNSA, la CFDT et SUD Rail se sont positionné en soutiens logistiques pour mettre à disposition des préavis nationaux, le tirage de tracts. La CGT a parlé de combats catégoriels, affirmant que sa tâche à elle est de rassembler les services.
La direction du collectif ne voulait surtout pas d’assemblées générales, son argument étant que les syndicalistes prendraient les mains dessus. En aucun cas ce collectif n’a donc été un cadre d’auto-organisation et de contrôle du mouvement assuré par les grévistes eux-mêmes. Lorsqu’il a fallu trancher dans le vif, c’est parce que les pressions de la direction ont commencé. Les contrôleurs ont alors été surpris d’entendre que, suite aux négociations, l’UNSA et SUD Rail parlaient de compte-rendu « positif », alors que les grévistes n’avaient pas été consultés !
A&R - Quels sont les bilans tirés par le milieu cheminot et par les grévistes en particulier ?
B. – Nous avons le sentiment d’avoir eu la volonté d’en découdre et de nous mobiliser. Mais un sentiment d’inachevé aussi, avec cet accord signé par les fédérations. Il y a une prime annuelle qui passe à 700 euros, des primes de déplacement majorées de 4 %, une partie de la prime de travail intégrée dans le calcul de la retraite, un déroulement de carrière qui va être plus national avec des embauches... Mais c’est très loin du compte et de ce qu’on espérait. Objectivement, il n’y a pas de raison que l’ambiance au conflit de cette année à la SNCF s’arrête, bien au contraire.
A&R - Plus largement, quel est l’état des lieux de la situation des personnels et du service à la SNCF ?
B. – Cinquante ans de politiques libérales c’est un bilan catastrophique. On transporte quatre fois plus d’usagers avec quatre fois moins de personnels, donc en termes de gains de productivité, les capitalistes ont fait des profits énormes là-dessus. Les deux dernières réformes ferroviaires font que nous ne sommes plus un service public. On fait du services, mais pas du service public. C’est le cadre administratif et juridique qui a été institué, mais dans la tête des cheminotes et des cheminots, sur le terrain, on considère toujours que les clients sont des usagers et que nous-mêmes faisons du service public. Donc toutes les déclinaisons de la boîte en termes de productivité, de maltraitance des usagers, ça ne passe pas.
On discute beaucoup dans nos trains et nos gares avec les usagers qui eux-mêmes sont touchés par ces réorganisations dans leur propre boulot, des jeunes, des chômeurs, des touristes même. Et on voit qu’on est confrontés au même problème de cette société capitaliste qui opprime et s’en met plein les poches.
A&R - Après la grève surprise en Île-de-France au mois de juin, on semble voir des poches de colère qui se mettent en mouvement.
B. – Plus que des poches de colère ce sont de véritables poches de grévistes qui existent dans l’entreprise. La majorité des services a été touchée par la grève depuis début 2022, avec toujours le soucis d’élargir aux autre services qui rencontrent les mêmes problèmes.
On a donc le souci d’élargir les conflits. Concrètement, par exemple, le premier réflexe des syndiqués était d’avoir un lieu pour ouvrir les AG à l’interpro, en se mettant dans la perspective de la bataille sur les retraites.
Cette bataille permet de regrouper tous les corps de métiers et de faire vivre la démocratie ouvrière. Avec un tiers de cheminots syndiqués, l’enjeu est l’unité entre syndiqués, avec les non syndiqués et en interpro.
Propos recueillis par Armelle Pertus