Le mouvement qu’a connu la Bretagne en réponse aux près de 10 000 suppressions d’emplois dans le secteur de l’agro-alimentaire a constitué un test grandeur nature pour la politique des uns et des autres.
Naissance et impact d’un mouvement
Le souvenir de l’expérience de la mobilisation de 2008-2009 en défense de l’hôpital de Carhaix a été l’un des éléments déclencheurs. C’est en référence à cette lutte victorieuse, menée par un comité qui avait largement associé les travailleurs, leurs organisations et la population, que s’est constitué le collectif qui a appelé à la manifestation du 2 novembre à Quimper, puis à celle – encore plus nombreuse – du 30 novembre à Carhaix.
Il n’était pas seulement question de défense de l’emploi. Du point de vue des participants, ce mouvement a soulevé des questions fondamentales concernant la destruction de l’environnement et le mode de vie en général (« vivre, travailler, décider en Bretagne »). On a pu y constater que la radicalisation des travailleurs emprunte des chemins qui traversent les murs de l’entreprise. Il n’y a pas de muraille de Chine entre les mobilisations sur les questions "politiques" d’un côté, les luttes sur les lieux de travail de l’autre, mais une classe sociale dont la mobilisation a le potentiel de bouleverser la société et de proposer des solutions collectives aux différentes couches opprimées, comme le mouvement dans les Antilles en 2009 l’avait fait entrevoir à une autre échelle.
La politique des directions bureaucratiques
L’une des différences majeures avec la mobilisation en Guadeloupe, c’est évidemment le rôle des organisations syndicales majoritaires. En Guadeloupe, dirigées par des militants révolutionnaires, elles ont préparé et donné des perspectives à la mobilisation, en cherchant la confrontation. En Bretagne, au plus fort du mouvement, les directions bureaucratiques s’y sont opposées frontalement et publiquement.
Dans un premier temps, elles s’étaient contentées de ne rien faire, laissant le champ libre à des secteurs du patronat agricole pour tenter de donner ses propres objectifs à la mobilisation, ce qui a conduit à l’affaire de l’écotaxe. Au moment de la manifestation du 2 novembre, probablement la plus grosse qu’ait jamais connu Quimper, la sympathie était forte dans le pays autour de cette mobilisation. Beaucoup se sont dit que ce serait une bonne idée de faire comme les Bretons. Et c’est précisément à ce moment que Mélenchon s’est lancé dans une dénonciation publique de cette mobilisation populaire.
A l’exception de FO, qui a toutefois abandonné le mouvement en cours de route, les directions réformistes locales– fortement appuyées par le Front de gauche – ont ensuite entrepris une manœuvre de division. Le 23 novembre, elles ont organisé des manifestations départementales parallèles, avec pour objectif affiché de « reprendre la main face aux Bonnets rouges ». Elles entendaient chevaucher le mouvement pour le fragmenter, au moment où il aurait fallu au contraire s’adresser aux travailleurs en dehors des frontières de la Bretagne. A l’approche des fêtes de fin d’années, il ne leur restait plus qu’à signer le "Pacte pour la Bretagne" proposé par le gouvernement... Tout un symbole. Chacun à sa manière, les directions syndicales et le Front de gauche ont joué face aux mobilisations un rôle de rempart du gouvernement.
Le problème avec le Front de Gauche, comme l’avait déjà signalé la plateforme Y lors du dernier congrès du NPA, n’est pas qu’il ne s’oppose pas de la bonne manière au gouvernement. Dans les faits, il s’oppose aux travailleurs dès que ceux-ci menacent le statu-quo. Par ailleurs, il existe aujourd’hui parmi eux des sentiments mêlés vis-à-vis du Front de gauche. On ne peut résumer l’attitude des "travailleurs avancés" à une adhésion à sa politique. Il y a du rejet chez pas mal de Bretons, et probablement un phénomène de méfiance accrue vis-à-vis de Mélenchon dans une série de secteurs.
Il reste encore beaucoup à faire pour que ce début de prise de distance bénéficie au NPA. En tout état de cause, cet épisode rend l’hypothèse d’un "gouvernement anti-austérité" sous la houlette du Front de gauche d’autant moins crédible, et le suivisme à son égard encore moins pertinent : la manifestation du Front de Gauche organisée à Paris contre l’augmentation de la TVA, le lendemain de celle des Bonnets rouges à Carhaix, n’avait rien à voir avec une tentative de s’opposer au gouvernement en s’appuyant sur les luttes. Se contenter d’y participer en s’intégrant au cortège (certains camarades avaient même proposé d’intégrer le carré de tête...) revenait à accompagner de façon critique la politique du Front de Gauche au moment où celui-ci s’opposait à un mouvement menaçant pour le gouvernement.
Le NPA et le « pôle ouvrier »
Malgré cela, le NPA est de loin l’organisation politique qui a eu le comportement le plus correct. Il y avait de quoi être fier du positionnement de notre porte-parole au moment de la manifestation du 2 novembre. Les camarades sur place ont été au cœur de la bataille. La constitution à leur initiative, avec les salariés des entreprises en lutte et autour du mot d’ordre d’interdiction des licenciements, d’un "pôle ouvrier" de plusieurs centaines de travailleurs dans la manifestation du 30 novembre, était plus qu’une tactique juste. C’est la preuve qu’une intervention propre des travailleurs, sur leurs propres mots d’ordre, est possible dans ce type de lutte, et que notre parti peut y jouer un rôle d’impulsion.
Si l’on transpose la démarche au niveau national, la constitution d’un "pôle ouvrier" autour d’un programme de mesures anticapitalistes clés, qui prendrait la tête d’un vaste mouvement contre le gouvernement et le patronat, correspond exactement à la politique que nous désignons sous le terme d’« opposition ouvrière et populaire au gouvernement ». Il faut insister : c’est bien à partir du regroupement de travailleurs en lutte qu’une solution politique tangible, opposée à la fois à la politique du gouvernement et aux solutions nationalistes, peut s’esquisser. Ce n’est pas à partir de l’idée d’une "opposition de gauche" qu’une partie des travailleurs les plus combatifs du mouvement ont commencé à s’organiser indépendamment, encore moins à partir de l’idée d’une alliance avec la direction du Front de gauche... Si opposition il doit y avoir, c’est une opposition au gouvernement qui viendra des travailleurs eux-mêmes, aidés par les révolutionnaires.
Se tenir prêts
Le NPA, toutes tendances confondues, a connu des hésitations quant à l’attitude à adopter. C’est normal, la situation était complexe. Le problème n’est pas de tâtonner ou de faire des erreurs. Ce dont il s’agit, c’est de centrer nos préoccupations et de mobiliser tous les moyens du parti autour de ce qui se joue dans des mobilisations comme celle de Bretagne : discuter au fur et à mesure dans la direction mais aussi dans tous les comités de ce qui s’y passe, réfléchir à ce que peut faire le parti pour aider le mouvement à se développer, mobiliser des militants pour aider à tisser des liens... Mais c’est là que le bât blesse.
C’est autour de ce type de préoccupations que devrait se construire un parti comme le nôtre. Évidemment, les discussions programmatiques, les formations, les campagnes électorales, les interpellations d’autres forces politiques jouent leur rôle. Mais tout cela doit servir à aider les travailleurs à contrôler leurs propres luttes pour se mettre en situation de prendre en main le pouvoir tout court.
Comme autour de la grève de PSA, la question posée est de savoir comment donner vie au mot d’ordre que nous avons souvent repris : « manifestation nationale contre les licenciements et contre l’austérité ». C’est une question qui ne se résout pas facilement, et pas en dehors d’occasions précises. Si on veut dépasser le niveau des déclarations justes mais de peu d’effet sur la situation, cela ne peut se faire que collectivement et à la faveur de luttes réelles, comme celle qui s’est développée en Bretagne, à partir des préoccupations des travailleurs qu’il n’est possible de commencer à percevoir efficacement qu’en mutualisant les observations et comptes-rendus d’activité, dans les secteurs déjà mobilisés comme dans les autres.
L’essentiel est de se tenir prêts. On ne sait jamais d’où l’étincelle peut partir. Mais chercher à être présents là où les choses se jouent est déterminant : avoir des militants là où les choses se passent, à PSA Aulnay ou dans l’agro-alimentaire par exemple, permettrait de peser autrement. Et d’être prêts à agir en mettant tous nos moyens au service d’un objectif : étendre la mobilisation, développer l’auto-organisation, transformer la lutte en menace pour le pouvoir de la classe dirigeante.
Le NPA est capable de jouer un rôle positif, comme il l’a démontré dans une situation qui était loin d’être évidente. Au plan national, nous ne sommes cependant pas allés au-delà du simple appui à la mobilisation. C’est un minimum, mais il reste à en faire du NPA une force capable d’intervenir en tant qu’organisation nationale dans les mobilisations qui peuvent faire basculer la situation.
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