Le gouvernement socialiste en est désormais à sa deuxième intervention militaire en Afrique. Après le Mali, c’est au tour de la République centrafricaine de voir débarquer sur son sol un contingent de 1600 soldats français pour renforcer les 400 déjà présents sur place. Comme toujours, le prétexte humanitaire est avancé. Il s’agirait cette fois « d’empêcher des massacres » voire « un génocide » et « de désarmer » les milices.
Il est vrai que Djotodia, le dictateur en place, n’a quasiment plus aucune prise sur les milices de la Séléka qui l’ont porté au pouvoir en mars dernier, après que la France avait lâché son prédécesseur, Bozizé, qui ne faisait plus l’affaire... Dans le sens premier du terme, car il avait eu la mauvaise idée d’octroyer à la Chine la prospection pétrolière du site de Boromata dans le nord du pays ! Ces milices, armées par le Tchad du dictateur Déby, lui-même grand allié de la France, commettent les pires exactions. La majorité de leurs membres sont musulmans et ciblent les populations chrétiennes, qui à leur tour exercent des représailles contre les musulmans avec les milices « anti-balaka » composées de nombreux anciens soldats de l’armée régulière. Des dizaines de milliers d’habitants sont réfugiés dans les forêts, où ils ont fuit les massacres pour tomber dans la faim et la maladie.
La RCA n’a jamais eu vraiment d’État depuis son accession à l’indépendance, en 1958. La France y a joué en permanence les pompiers pyromanes, orchestrant les coups d’État comme les couronnements d’empereurs. La Centrafrique est un pays sans routes, sans hôpitaux, sans écoles, sans eau potable, sans électricité. 70 % de la population se trouvent en-dessous du seuil de pauvreté. L’espérance de vie est de 44 ans.
La RCA vaut bien une opération militaire
Mais c’est un pays au cœur d’un ensemble géographique de première importance stratégique, frontalier de six pays engagés dans des conflits qui menacent la stabilité de toute la région, dont le Soudan, le Cameroun et la République démocratique du Congo. L’éditorial d’Aujourd’hui en France du 8 décembre résume ce qui est jugé vital pour l’impérialisme français et nécessaire aux autres puissances européennes et états-unienne : « Cette opération est aussi conforme à nos intérêts stratégiques. Avec sa proximité, ses ressources naturelles, sa démographie, ses capacités industrielles et commerciales inexploitées, l’Afrique est un enjeu majeur pour l’Europe qui n’a pas l’intention de la laisser sombrer dans les guerres civiles et interconfessionnelles (...) Nos partenaires européens rechignent à s’engager militairement. Les États-Unis gardent un mauvais souvenir de la Somalie (…) La France qu’elle le veuille ou non reste donc le gendarme de l’Afrique. »
Des marchés à reconquérir
En dix ans, la part de marché de la France au sud du Sahara est passée de 10,1 à 4,7 %. Les capitalistes chinois, indiens, brésiliens ou turcs ont taillé des croupières aux capitalistes français. Un rapport de l’ancien ministre Védrine dit clairement que « la France ne semble pas avoir pris la mesure de la bataille économique qu’elle doit livrer » compte tenu de la progression du PIB africain prévue à 6,1 % en 2014, de la croissance démographique élevée, de la montée en puissance d’une classe moyenne urbanisée et consommatrice. Bref, « en doublant ses exportations vers l’Afrique, la France peut ainsi gagner au moins 200 000 emplois dans les cinq prochaines années ».
Sur le site du ministère des Affaires étrangères, on peut lire qu’« en dépit de l’instabilité politique et des risques sécuritaires, Air France, Bolloré, Castel, Total, CFAO ont maintenu leurs implantations en RCA. Les pillages consécutifs à la prise de Bangui par les rebelles le 24 mars ont fortement perturbé l’activité des entreprises françaises. Alors qu’Areva avait signé un accord avec le gouvernement centrafricain le 1er août 2008 pour l’exploitation du gisement d’uranium de Bakouma (Est), les nombreuses difficultés (…) ont conduit Areva à suspendre ce projet. »
Sur le site de « l’Agence française de développement », on peut lire que « la privatisation de la Société centrafricaine de transport fluvial (SOCATRAF) qui assure le transport sur l’Oubangui entre Kinshasa, Brazzaville et Bangui, et la signature d’un contrat d’affermage entre le groupe Bolloré et l’Etat ont permis à l’AFD d’octroyer à l’Etat centrafricain une subvention pour la réhabilitation du parc de pousseurs et de barges de la société ». Le Groupe Bolloré appartient à un bon ami de Sarkozy et contrôle une bonne partie des chemins de fer et des ports d’Afrique de l’ouest, qui servent entre autre à l’évacuation du produit de l’exploitation forestière du Cameroun, du Gabon, de Centrafrique et d’ailleurs. Cela n’a bien évidemment aucun rapport avec la Francafrique...
Marie-Hélène Duverger
dans la revue L'Anticapitaliste n° 50 (janvier 2014)