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/ Grève des cheminots : le parcours d'obstacles
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La réforme ferroviaire de 2014 a abrogé la réglementation du travail des cheminots (décret dit « RH 077 »), pour la remplacer par 3 étages : un nouveau décret-socle (publié par le gouvernement), une convention collective de la branche ferroviaire (négociée entre le patronat ferroviaire et les syndicats), et des accords d’entreprise (notamment SNCF).
Le décret-socle publié par le gouvernement mi-février, c’est la perte de 15 à 25 jours de repos par an, l’augmentation de l’amplitude horaire maximum par journée travaillée, la diminution du temps de repos journalier minimum, et la flexibilité extrême (modification des horaires de travail jusqu’à une heure avant la prise de service).
Les enjeux de la grève à la SNCF
Il y a donc une bataille décisive sur les revendications : au niveau ferroviaire, mais aussi sur le lien à faire avec la loi Travail. Le projet de décret-socle exclut de la réglementation ferroviaire plus de la moitié des cheminots (commerciaux, administratifs, agents d’entretien des rames et des voies, contrôleurs banlieue...) et les renvoie au Code du travail ! De plus, si le patronat arrive à briser cette protection et à abaisser cette norme, c’est l’ensemble de la classe ouvrière qui reculera, y compris les cheminots.
Cheminots / directions syndicales : la contradiction centrale
La grève du 9 mars a été la plus suivie à la SNCF depuis 10 ans, avec 50 à 60 % de grévistes. La colère était telle contre le décret-socle et la loi Travail, que de nombreuses AG ont voté des motions demandant que la prochaine journée de grève soit le début de la reconductible. Pourtant, la grève suivante n’a été que la journée interprofessionnelle du 31 mars. Ce jour-là, la grève a été à nouveau majoritaire ! Fortes de ces deux succès, les fédérations syndicales cheminotes ont donc appelé à… une autre grève de 24 heures le 26 avril, soit deux jours avant la journée « interpro » du 28 avril ! Les fédérations CGT et SUD-Rail appelant aussi les cheminots à faire grève le 28 avril.
C’est une véritable entreprise de division : après avoir annoncé depuis des mois une grande manifestation nationale des cheminots à Paris le 3 mai, la CGT a finalement décidé de la reporter au 10 mai... pour éviter à tout prix les liens avec le mouvement contre la loi Travail (présentée à l’Assemblée nationale ce jour-là). Face à la pression de sa base, la direction CGT a fini par annoncer une grève reconductible pour la mi-mai. Mais au moment de l’annoncer publiquement, elle appelle désormais les cheminots à manifester le 10 mai, puis à faire grève le 12 mai pour une journée « interpro », puis à faire 48 heures de grève les 18 et 19 mai, puis encore 48 heures de grève les 24 et 25 mai, avant de peut-être appeler à la grève reconductible en juin... Soit six jours de grève supplémentaires, en plus des quatre ou cinq jours de grève que les cheminots ont déjà dans les pattes, avant d’envisager la reconductible !
Il s’agit d’une volonté consciente d’éviter la grève reconductible, en repoussant constamment le calendrier, et en épuisant les troupes. C’est la volonté de nombreux cheminots d’aller plus loin depuis le 9 mars qui a forcé l’appareil de la CGT à de telles manœuvres. Mais les travailleurs n’avaient pas pour autant suffisamment confiance en eux-mêmes pour se passer de l’appel des organisations syndicales... A l’heure où nous écrivons ces lignes, la bataille s’engage pour déborder la fédération CGT et lancer la grève reconductible le 18 mai.
Quelle stratégie pour gagner ?
Les bilans des précédents conflits nous permettent de définir quelques pistes. Une leçon importante des dernières grèves à la SNCF, c’est que l’isolement des cheminots dans un affrontement « sectoriel » avec le gouvernement est un obstacle difficilement franchissable. A l’inverse, les grèves de cheminots dans un contexte de mobilisation interpro ont réussi à pousser l’affrontement beaucoup plus loin, comme en 1995. Il y a donc un énorme enjeu à combiner d’emblée des mots d’ordre « sectoriels » (contre le décret-socle) et « unifiants » (contre la loi Travail). Il s’agit aussi de multiplier les liens réels entre secteurs mobilisés, comme cela a commencé à être fait dès le mois de mars.
Autre élément important : pour gagner, il ne suffira pas que les taux de grévistes soient élevés, il faudra une grève active ! Avec la mise en place du service minimum, des gilets rouges, etc., la direction s’est donné les moyens de remplacer de nombreux grévistes et de faire rouler des trains. On ne peut donc pas compter seulement sur l’arrêt de travail : la force de la grève réside tout autant dans le nombre de cheminots présents en AG, en manifs, en action, sur les piquets de grève, etc. En réalité, le degré d’activité des grévistes est une conséquence de leur conviction dans la capacité de gagner. D’où la nécessité d’une stratégie de lutte crédible !
Enfin, depuis le 9 mars, le culte de l’unité syndicale a eu comme conséquence principale de faire suivre aveuglément à la fédération SUD-Rail le calendrier de diversion lancé par la CGT cheminots, sans oser s’en distinguer une seule fois... En 2014, l’unité syndicale CGT-SUD-Rail-FO avait été utile pour lancer la mobilisation, mais au bout de quelques jours à peine, les intérêts particuliers de l’appareil CGT sont entrés en contradiction avec ceux du mouvement : volonté d’arrêter la grève après 3 jours, soutien aux amendements Chassaigne, etc. Si la grève a finalement continué, ce n’est que grâce aux assemblées générales de grévistes. Les AG sont l’élément décisif pour que les grévistes s’approprient la grève et ne se laissent pas déposséder par des stratégies syndicales.
Il s’agit de pousser l’auto-organisation le plus loin possible, en généralisant les meilleures expériences de 2014. Par exemple, les cortèges unitaires de gare : ils ont permis de souder les grévistes. Dans le même sens, la rédaction d’un journal quotidien de la grève a permis d’impliquer des grévistes dans la construction du mouvement, de dépasser les clivages syndicaux et de faire circuler des informations importantes (reconduction de la grève, motions votées, argumentaires sur les points-clés, chiffres des autres AG, échéances à venir, etc.). Enfin, se pose aussi la question des coordinations : pour permettre aux grévistes d’être réellement maîtres du déroulement de la grève, le seul moyen crédible est de mettre en place une structure de coordination des AG. Pour être légitime et écoutée, cette coordination devra regrouper des représentants dûment mandatés par les AG locales.
Gabriel Lafleur