Répression : « Il est grand temps que la peur change de camp ! »

> Entretien avec Yann Tavernet, technicien chez PSA à Trémery (Moselle) et militant de la CGT. Blessé par la police puis interpellé lors d'un rassemblement à Metz le 17 mars, il a été jugé le 26 avril, quelques jours après qu’un de ses collègues de l’usine de Rennes a été condamné à une peine de prison ferme. Il nous livre son témoignage sur la répression contre la mobilisation actuelle.

Anticapitalisme & Révolution – Peux-tu nous expliquer ce qu’il s’est passé le 17 mars ?
 
Yann Tavernet – J’avais décidé d’utiliser le préavis de grève contre le projet de loi El Khomri déposé par la fédération CGT de la métallurgie. J’ai assisté à l’AG étudiante, puis j’ai participé à un sit-in sur le pont de l’île du Saulcy, où se trouve le campus. Au bout d’une heure, il a été décidé collectivement de libérer la voie publique. C’est alors que j’ai vu un mégaphone entre les mains d’un représentant des « forces de l’ordre », sans pour autant entendre la moindre sommation. Puis il y a eu deux détonations, et les flics sont intervenus violemment en chargeant et en gazant, alors même que le rassemblement prenait fin et que les voitures circulaient déjà. J’ai tenté de retenir la charge en lui tournant le dos, et quand j’ai vu un militant de la CNT être attrapé par les CRS, je me suis interposé et c’est là que j’ai été frappé au visage par un coup de matraque, qui m’a ouvert l’arcade sourcilière.

A&R – Tu as été interpellé immédiatement après ?

YT – Non, après avoir reçu le coup de matraque, j’ai beaucoup saigné, et je me suis mis à l’écart avec Denis, un ami et camarade de la CGT Ville de Metz. J’ai tenté de rester concentré pour ne pas m’évanouir. Un pompier est ensuite venu pour m’emmener. Au moment de passer devant le cordon de CRS, j’ai gestuellement exprimé ma colère. Deux policiers m’ont saisi violemment en m’invectivant et en proférant très rapidement des menaces sur un ton agressif : « Tu vas morfler maintenant p’tit pédé », « Tu feras moins le malin en garde à vue », etc. J’ai été conduit dans le panier à salade alors que je saignais encore. Denis a été interpellé juste après.

A&R – Tu n’as pas été soigné ?

YT – Un médecin m’a ausculté vers minuit pendant cinq minutes et sans me dire un mot, mais il a indiqué sur un certificat que ma blessure ne pouvait être soignée sur place. J’ai été auditionné vers 1h, et c’est seulement ensuite que j’ai été transféré aux urgences. J’ai été menotté et conduit à très vive allure dans les rues de Metz, sans gyrophares et en brûlant systématiquement les feux tricolores. Apparemment, les flics craignaient de ne pas être rentrés avant leur relève. C’est le médecin qui a demandé à ce que les menottes me soient retirées. J’ai reçu cinq points de suture à l’arcade après que le docteur a dû rouvrir la plaie, occasionnant des douleurs importantes car plus de neuf heures s’étaient écoulées depuis le coup de matraque.

A&R – Denis et toi-même avez été jugés le 26 avril. De quoi avez-vous été accusés ?

YT – Les brutalités policières ont entraînées quatre et sept jours d’ITT pour chacun, mais nous avons passé 22 heures en garde à vue et nous avons été convoqués au tribunal. Nous avons comparu pour « participation sans arme à un attroupement interdit après sommation », ainsi que pour « outrage » et « violence sur personne dépositaires de l’autorité publique » dans le cas de Denis. Pourtant, les policiers soi-disant agressés n’ont obtenu aucun jour d’ITT. Le procureur a requis 500 euros d’amende contre chacun de nous deux. Nous espérons évidemment être relaxés, mais nous savons que nous risquions des peines beaucoup plus lourdes et que pour d’autres manifestants, certains jugements ont été plus sévères : les arguments de notre avocate, les témoignages collectés et l’utilisation d’une vidéo de la charge policière ont joué en notre faveur, mais aussi les deux rassemblements unitaires de soutien et la campagne politique de solidarité. Le délibéré sera rendu le 24 mai.

A&R – Les images des violences policières tournent quotidiennement sur les réseaux sociaux, les gardes à vue et les procès se succèdent. A ton avis, que cherche le gouvernement ?
 
YT– A chaque fois que nous prenons nos affaires en main, le gouvernement à la botte du patronat envoie ses sbires avec matraques, gaz lacrymogènes et flash-balls, afin de tenter de briser la contestation. Mais leurs tentatives d’intimidation ne doivent pas nous empêcher de renforcer le mouvement de grève et de manifestation. Au contraire, ce sera la meilleure façon de nous protéger. Il est grand temps que la peur change de camp ! Pour cela, il est important de nous mobiliser pour exiger l’arrêt immédiat des violences policières, et l’abandon des poursuites contre celles et ceux qui ont été arrêtés ces dernières semaines et pendant d'autres mouvements sociaux comme les Goodyear, les militants d’Air France, de Ford, etc.

A&R – Où en est la mobilisation chez PSA ?

YT – Elle a été importante sur plusieurs sites du groupe comme à Poissy ou Mulhouse lors des journées d’action ; à Trémery, elle a été plus limitée, mais pas négligeable. La direction de PSA prépare maintenant ses nouvelles attaques antisociales. Elle a prévu, le 11 mai, la première réunion de négociation du NCS2 [Ndlr : deuxième volet du nouveau contrat social]. L’accord signé à Rennes par tous les syndicats sauf la CGT, à grand coup de chantage à l’emploi, donne le ton de ces futures négociations. La direction souhaite obtenir la signature des syndicats dès juillet. Mais la contestation contre la loi Travail peut être un point d’appui pour construire le rapport de force qui empêchera PSA de nous soumettre davantage. Les salariés doivent reprendre confiance pour ne plus concéder de nouveaux reculs. PSA, c’est nous !

Propos recueillis par Gaël Klement

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