« Touche pas ma ZEP ! » : quelques enseignements d’une mobilisation dans l’Éducation

Occupation de la salle des profs au lycée Romain-Rolland du Goussainville (Val-d'Oise)
Najat Vallaud-Belkacem pourrait prétendre au prix de l’humour politique, elle qui s’est dite le 17 novembre « heureuse que les personnels des lycées d’éducation prioritaire manifestent pour dire haut et fort l’importance de l’éducation prioritaire et la nécessité de la rénover »

C’est bien la première fois qu’une ministre se réjouit d’une mobilisation contre sa propre politique. Et nous n’avons aucune raison d’arrêter de lui faire ce plaisir, tant cette mobilisation est exemplaire dans ses moyens d’action et son élargissement. 

De la « réforme » à la disparition des lycées ZEP 

En 2013 et 2014, le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon a organisé les « assises » de l’éducation prioritaire et a annoncé une grande réforme. Mais alors que le statut de ZEP concerne tous les établissements scolaires, les concertations n’ont associé que les établissements du premier degré (écoles maternelles et primaires) et les collèges... pas les lycées ! L’objectif de la réforme était clair : faire des économies ! Le gouvernement, sous prétexte de « concentrer » les moyens dans les établissements qui en auraient le plus besoin, en leur offrant un nouveau statut « REP+ », a exclu « en contrepartie » de l’éducation prioritaire de nombreux établissements de quartiers populaires. 

Avec l’annonce de cette nouvelle carte de l’éducation prioritaire préparée par trois ministres successifs (Peillon, Hamon et Vallaud-Belkacem), des mobilisations ont vu le jour dans les écoles et les collèges. 

Totalement exclus de la nouvelle carte, donc du statut, les lycées s’y sont joints... jusqu’à ce que le ministère leur annonce qu’un autre classement les concernant allait être annoncé ultérieurement. Un bluff évident, mais suffisant pour diviser et affaiblir le mouvement. Quant aux collèges et aux écoles mobilisés, certains ont gagné quelques garanties ou le maintien de moyens... mais au détriment d’autres établissements ! La réforme et le détricotage semblaient donc bien avancés. En avril 2016, pourtant, le député des Hauts-de-Seine Sébastien Pietrasanta (PS, proche de Valls) s’est inquiété, dans une lettre à la ministre, du maintien en éducation prioritaire du lycée professionnel Prony dans sa circonscription d’Asnières-sur-Seine. La réponse de Vallaud-Belkacem a été claire : la réforme ne concernait que la scolarité obligatoire, soit le premier degré et les collèges. Les lycées ZEP allaient donc bien devoir disparaître ! 

Une telle annonce en catimini, sans décret ni conférence de presse, aurait pu passer inaperçue et ne soulever aucune résistance solide. Mais deux facteurs ont permis qu’il en soit autrement : d’une part, les liens tissés entre les équipes militantes enseignantes dans les précédentes mobilisations, et d’autre part, l’émulation créée par le mouvement contre la loi Travail. Des bahuts mobilisés ont ainsi appelé à un rassemblement devant le ministère de l’Éducation le 18 mai. 

Avec l’aide de différents collectifs, comme les « Bonnets d’âne » du 93 (regroupant profs et parents) ou « Éducation debout » (née dans « Nuit debout »), ce rassemblement a été un succès. Surtout, il a permis de réunir les différents réseaux militants et de diffuser largement l’information de la disparition des lycées ZEP. 

L’appel 

De mai à juillet, une série de réunions à la Bourse du travail de Paris ont permis d’élargir encore le réseau et de rédiger l’appel « Touche pas ma ZEP ! »

Cet appel contient des revendications unificatrices : une carte ZEP élargie à tous les bahuts de quartiers populaires, quel que soit le label qu’ils ont actuellement (ZEP, zone sensible, zone violence, etc.), avec un statut unique, garantissant des moyens pérennes tant pour les conditions d’études et de travail (effectifs par classe limités, cours en demi-groupes, etc.) que pour la rémunération des personnels (primes, indemnités, etc.) et leur statut (points supplémentaires pour les profs, comptant par exemple pour leurs demandes de mutation). Cette fois-ci, il s’agit de ne pas se laisser diviser, de ne pas laisser le gouvernement déshabiller Paul pour habiller Jacques, comme il l’a fait depuis 2013. 

Cet appel a circulé pendant le bac et au début du mois de juillet. Il est ouvert à la signature d’établissements et non d’individus. Cela signifie donc qu’il est soumis au vote lors d’assemblées générales ou pendant les heures d’information syndicale. 

Une rentrée en lutte 

Et de fait, en septembre, alors que seuls trois lycées étaient signataires de l’appel (Maupassant de Colombes, Joliot-Curie de Nanterre et Prony d’Asnières), Joliot est parti en grève reconductible et l’équipe militante s’est lancée dans une tournée des établissements de Nanterre, entraînant le lycée Paul Langevin dans la grève, puis du nord des Hauts-de-Seine, allongeant la liste des signataires.

Mais en dépit de l’évidente coordination entre les équipes militantes et de la dimension nationale du problème, le ministère a fait savoir qu’il ne voulait pas recevoir de délégation, car il s’agissait d’un problème « local », relevant de l’inspection académique (IA) du 92. 

Le réseau de résistance, lui, a continué de se structurer, avec des assemblées générales de coordination réunissant de plus en plus de monde. Pour intégrer de nouveaux bahuts, une page Facebook a été créée, permettant de faire signer l’appel par d’autres équipes que celles qui étaient déjà mobilisées. 

Le 15 septembre, la manifestation contre la loi Travail a été une nouvelle occasion de convergence. C’est un fait notable, car beaucoup d’équipes militantes enseignantes refusent habituellement de rejoindre des cortèges interprofessionnels dans des manifs qui risqueraient de « diluer » leurs revendications. Et une nouvelle AG des bahuts présents (92, 93, 95) a permis d’appeler à une journée de grève le 29 septembre. 

Celle-ci, soutenue par l’intersyndicale de l’académie de Versailles mais pas par celle de Créteil, a vu des taux de grèves atteindre 80 % à Mantes-la-Jolie (78) ou à Gennevilliers (92), dans des établissements qui rejoignaient alors seulement le mouvement ! 

Le lendemain, enfin, le gouvernement a fini par donner une réponse nationale. Mais celle-ci a été loin d’être satisfaisante. Par un décret de Najat Vallaud-Belkacem, la « clause de sauvegarde sur les indemnités » a été prorogée... Autrement dit, les primes que touchaient les profs de ZEP vont être maintenues pour ceux qui les touchent déjà. Mais comme le classement ZEP n’existera plus, les futurs arrivants n’y auront plus droit ! 

On voit là que le gouvernement a été forcé d’improviser une réponse, car il ne s’attendait pas à ce que les lycées, d’habitude plutôt isolés les uns des autres, soient capables de se regrouper et d’agir ainsi. Cela a démontré qu’il était nécessaire de continuer et d’étendre le mouvement. Le 11 octobre, le succès a été confirmé, avec une grève touchant, outre les établissements précédents, Drancy, La Courneuve, Aubervilliers, Aulnay-sous-Bois dans le 93 et Champigny-sur-Marne dans le 94... avec de forts taux, et toujours sans le soutien de l’intersyndicale. Plus inattendu encore : trois lycées de Dreux (28, académie d’Orléans-Tours) ont rejoint Paris pour la manifestation. Et la grève a aussi touché Marseille, avec la tenue d’un rassemblement. Dans ces deux dernières villes, la décision n’avait été prise que deux jours avant ; à l’AG suivante, cela a fait comprendre qu’il était possible, vu la capacité unificatrice de l’appel (alors désormais signé dans plus d’une dizaine d’académies) et la rapidité de la mobilisation, d’appeler à une grève nationale pour le 17 novembre. 

Vers la grève nationale reconductible ! 

Évidemment, il était très difficile de trouver des rythmes communs entre des établissements ayant de fortes expériences de lutte et d’autres qui la rejoignaient à peine. C’est pourquoi il a été décidé de convoquer une AG des grévistes à la fin de la journée du 17 novembre, afin de décider des suites ; cette façon de faire a rompu avec les vieilles habitudes consistant à organiser des AG par établissement, sans coordination, pour décider de la reconduction éventuelle. 

À Marseille, la manif a réuni 400 personnes venues de quinze établissements, dont ceux de Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhônes), Avignon et Orange (Vaucluse). Hasard du calendrier, c’était ce jour qu’avait choisi le nouveau candidat Macron pour visiter la ville. Les profs en lutte lui ont réservé un comité d’accueil, ce qui a permis de renforcer la visibilité médiatique du mouvement. 

Pendant ce temps, à Dreux, cent des cent-vingt enseignants de lycée de la ville étaient en grève. Cette grève touchait aussi Creil et Montataire (Oise, académie d’Amiens), et toute la région parisienne, y compris Paris, avec le lycée Guimard du XIXe arrondissement. 

L’AG du soir a réuni plus d’une centaine de profs, représentant plusieurs dizaines de bahuts d’Île-de-France et de l’Oise. 

Il n’a pas semblé crédible de reconduire pour le lendemain : une date à la rentrée de janvier a été jugée plus appropriée. C’est pourquoi les grévistes ont lancé un ultimatum au gouvernement : s’il ne donne pas une carte scolaire et un label unique pour 2017, alors la rentée n’aura pas lieu dans les lycées de ZEP. Cela supposait d’avoir des perspectives d’ici là, surtout avec les deux semaines de vacances et de fêtes entre les deux. Une journée de grève a donc été fixée au 29 novembre. 

La perspective du 3 janvier a été reprise partout, de Lille à Marseille. Dans le secteur de l’Éducation, c’est la première fois que l’on voit la possibilité d’une grève reconductible coordonnée à échelle nationale, ce qui n’a jamais été fait à l’échelle régionale ! 

La visibilité du mouvement ne cesse depuis de se renforcer, avec des passages à la télévision et à la radio aux heures de grande écoute. Au-delà des cercles militants, les profs de quartiers populaires sont désormais nécessairement au courant de la lutte en cours. 

L’extension continue 

L’extension doit enfin toucher les autres secteurs et métiers concernés. Sur les salaires, la réponse du gouvernement ne fait pas qu’exclure les futurs profs. Dans les Hauts-de-France, les agents non enseignants ont reçu un courrier du Conseil régional (chargé de la gestion des lycées) leur indiquant la disparition à la rentrée 2017 de leurs primes de ZEP, soit une perte de 1000 euros par an ! 

Le 29 novembre, la grève a touché des lycées du Nord et du Pas-de-Calais, avec un taux de 100 % au lycée Alfred Kastler de Denain (Nord). Elle a aussi débuté dans des établissements des académies de Rouen et de Lyon. 

La mobilisation commence aussi à toucher les collèges et écoles de REP-REP+, ainsi que ceux issus du « réseau réussite scolaire » (RRS). Le 17 novembre, déjà, plusieurs collèges de Colombes et du 93 ont rejoint la manif et le 29 novembre, des écoles de Nanterre et Gennevilliers. 

Les ingrédients de cette lutte sont ceux que l’on pouvait trouver ces dernières années dans d’autres luttes de salariés : des habitudes d’auto-organisation, d’assemblées générales et de coordination entre établissements et équipes au-delà des organisations syndicales, une politique d’extension systématique, des mots d’ordres unificateurs, des bahuts partant en grève reconductible, y compris seuls ou de façon minoritaire, mais avec la préoccupation systématique de s’adresser aux autres... Le gouvernement ne s’y attendait pas. Désormais, il doit faire avec. Les profs n’attendront certainement pas les élections et le prochain gouvernement. C’est dès maintenant qu’il est possible de gagner : non seulement de repousser l’attaque de la disparition des ZEP, mais aussi d’améliorer la situation et les conditions de travail avec un label unique et une carte élargie. 

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