« Selon que vous serez puissant ou misérable » : retour sur l’affaire Carlos Ghosn

Le 19 novembre 2018 au Japon, Carlos Ghosn – PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, premier constructeur automobile mondial – a été arrêté à la descente de son jet privé, puis placé en garde à vue avant d’être inculpé. Il est accusé, entre autres, de dissimulation d’une partie de sa rémunération dans ses rapports à la bourse de Tokyo et d’abus de biens sociaux. 

Celui qui était même devenu un personnage de manga au japon, présenté par le Financial Times comme « the boss among bosses » – le patrons des patrons –, celui qui avait eu le privilège de porter la flamme olympique sur la plage de Copacabana à l’occasion des JO de Rio, est tombé ce jour-là comme un vulgaire malfrat. 

L’avidité insatiable des super-riches 

Ghosn a beau être l’un des patrons les mieux payés du monde, ses 15 millions d’euros de rémunération annuelle ne lui ont visiblement pas suffi. Celui qui s’était toujours estimé au-dessus de tout et de tout le monde n’a pas hésité à plonger la main dans le pot de confiture, jusqu’au coude. 

Aujourd’hui, le roi de la « modération salariale » – mais seulement quand elle concerne les travailleurs – est soupçonné d’avoir dissimulé, au titre de ses revenus de président du conseil d’administration de Nissan, la « bagatelle » de 39 millions d’euros entre 2011 et 2015, auxquels s’ajouteraient 62 millions d’euros entre 2016 et 2018. « Le talent, l’expérience acquise, l’unicité, [cela] se paie », avait-il osé répondre à une étudiante qui l’avait interpellé au sujet de son salaire exorbitant ! Par ailleurs, il est accusé de s’être abstenu de déclarer un bonus de plus de 30 millions d’euros lié à des plus-values dégagées sur des actions, et d’avoir utilisé des fonds de l’entreprise pour couvrir ses pertes spéculatives personnelles. Et comme Ghosn a le sens de la famille, il est suspecté d’avoir payé sa sœur plus de 88 000 euros par an, depuis 2002, pour un emploi fictif. 

Une présomption d’innocence à géométrie variable

Bien sûr, Ghosn n’a pas encore été jugé pour les malversations financières dont il est accusé. C’est une raison suffisante pour que Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, et Muriel Pénicaud, ministre du Travail, se croient obligés de voler au secours de l’oligarque en rappelant que « la présomption d’innocence doit être respectée ». Mais ce rappel ne manque pas de saveur quand on se souvient du traitement infligé par Ghosn, en 2011, à trois de ses cadres responsables du programme de la voiture électrique : en direct sur le plateau du journal télévisé de TF1, il n’avait alors pas hésité à les accuser d’espionnage au profit de la Chine, sans la moindre preuve, en les mettant immédiatement à pied et en les licenciant sans le moindre état d’âme ; il avait dû ensuite se résoudre à les blanchir, à les indemniser pour l’invraisemblable préjudice qu’il leur avait fait subir, et même à réintégrer l’un d’entre eux. 

Mais Ghosn a eu plus de chance : alors qu’il était déjà emprisonné depuis plus de deux mois, il a pu rester à son poste de PDG de Renault jusqu’à ce qu’il se décide à démissionner, puisque personne ne prenait l’initiative de le virer. 

Quand les riches estiment pouvoir tout se permettre 

Au prétexte d’avoir sauvé Nissan – en fermant cinq usines et en détruisant 21 000 emplois –, d’être parvenu à bâtir le premier groupe automobile mondial, mais surtout de s’être rendu incontournable en faisant le vide autour de lui, Ghosn a fini par croire qu’il n’avait plus de comptes à rendre à personne. C’est ainsi qu’il a pu imposer de telles rémunérations qui dépassent l’entendement. 

Mais s’il s’est cru intouchable, c’est aussi parce qu’il a été encouragé par l’invraisemblable mansuétude, voire la complicité, dont a toujours fait preuve le gouvernement à son égard. 

La démonstration en a encore été donnée au lendemain de son arrestation. Commentant les charges retenues contre lui par la justice japonaise, Bruno Le Maire a osé prétendre qu’« il n’y a rien de particulier à signaler sur la situation fiscale de Carlos Ghosn en France ». Pourtant, le 9 janvier, le quotidien Libération a révélé que depuis 2012, Ghosn n’était plus résident fiscal français, et qu’il avait élu domicile fiscal aux Pays-Bas. Son but : échapper à l’impôt sur la fortune (ISF) et à la fiscalité sur les revenus de son capital. Cet exil fiscal n’avait pourtant pas empêché les représentants de l’État de reconduire Ghosn à la tête de Renault lors de son conseil d’administration de février 2018. En mentant éhontément, le ministre Le Maire a tenté de sauver la mise au PDG de l’Alliance. 

Le gouvernement en est encore à envisager de légiférer pour obliger les dirigeants des grandes entreprises françaises à avoir enfin une domiciliation fiscale en France. Une telle timidité montre à quel point il serait illusoire d’attendre, de la part de gouvernements entièrement dévoués au grand patronat, cette justice fiscale réclamée par le mouvement des « gilets jaunes ». 

Régis Louail

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