Licenciés dans le cadre de la grève à laquelle ils ont activement participé en 2020, 3 salariés d’un magasin Biocoop contestent leur licenciement devant les Prud’hommes. Konstantin, ancien salarié et gréviste nous explique le contexte et le déroulement de cette grève exemplaire dans un secteur où les traditions de lutte syndicale sont faibles et qui s’est trouvée confrontée à une forte répression de la part de sa direction.
Anticapitalisme & Révolution : Biocoop, qu’est-ce que c’est?
Konstantin : Biocoop c’est le leader du bio en France, ça représente 700 magasins. Il s’agit d’une boîte qui mise tout son fond de commerce sur une communication visant à la faire passer pour une “coopérative multiacteurs”. Dans les faits, il n’y a que 30 % des magasins sur les 700 qui sont réellement encore coopératifs. Et coopératif ne signifie pas que c’est le socialisme, c’est-à-dire que chaque magasin coopératif a ses propres règles. Au final l’écrasante majorité des magasins Biocoop sont des SARL franchisées qui fonctionnent comme n’importe quel magasin de la grande distribution avec un patron qui décide seul de l’organisation du travail. Au sein de Biocoop, depuis plus d’une dizaine d’années, il y a un remaniement interne qui se traduit par l’ouverture de plus de 50 magasins par an. Ils misent sur la rentabilité, sur la recherche de profits au détriment des « valeurs » qui étaient prônées historiquement par Biocoop.
Et ce remaniement se traduit par le fait que, par exemple, la grille évolutive des salaires a tout simplement été supprimée il y a deux ans ! C’est une grille qui permettait, dans tous les magasins, en fonction de ton niveau d’expertise et d’ancienneté, d’accéder à 5 à 10 % d’augmentation de salaire. C’était déjà pas grand-chose, 50 à 70 euros : petite chose que Biocoop a supprimé parce qu’elle jugeait que les salariés étaient déjà « trop avantagés ».
Et, autre élément qui montre bien que ce truc de coopérative est une fumisterie : aux instances de sociétaires Biocoop, la part de représentativité des salarié.e.s de magasins ne représente que 5 % dans le processus décisionnaire… C’est juste symbolique, ils se sont dits qu’ils allaient mettre un ou deux salariés dans la salle mais en fait ceux-ci sont complètement exclus du projet d’entreprise. On comprend bien que ça n’a rien d’une coopérative.
Dans les dirigeants actuels de Biocoop tu as une poignée de gens issus de la grande distribution : Sylvain Ferry, le directeur général, qui est un ancien de chez Carrefour, la directrice marketing Claire Bourdon qui vient de Carrefour et Lagardère ou le directeur de com’, Patrick Marguerie de Super U… Tu as toute cette équipe de direction qui s’aligne sur la grande distribution depuis plusieurs années, ce qui explique tout ce que j’ai raconté sur une grille de salaires qui se barre, des salariés qui n’ont pas voix au chapitre, de plus en plus d’ouverture de magasins…
Avec le système de franchises, tu n’es pas salarié de la marque, tu es salarié de strictement le magasin où tu es embauché. Avec 700 magasins, c’est comme si tu as 700 entreprises individuelles mais sous enseigne Biocoop. Il est donc impossible de se construire syndicalement. Quand un magasin obtient des acquis, c’est strictement dans ce magasin et pas ailleurs, il n’y aucun syndicat représentatif au niveau national. C’est quelque chose qui est de plus en plus utilisé dans le commerce et sûrement dans d’autres secteurs avec la volonté de diviser le collectif de travail et d’empêcher la construction syndicale à grande échelle.
A&R : Malgré les difficultés que tu viens d’évoquer, vous avez quand même réussi à vous mettre en grève. Peux-tu revenir sur le contexte de cette bagarre ?
K : La grève que nous avons mené il y a un an a eu lieu au sein d’une franchise qui s’appelle « Le retour à la Terre » et qui englobe deux magasins. Mais, même au sein de la franchise, les deux magasins ne sont pas considérés comme la même entreprise. Il se trouve que la patronne qui dirige ces magasins, Catherine Chalom, a tout un passé dans le secteur de l’automobile (elle a été manageuse pendant 12 ans à Renault Billancourt). A la fin des années 2000, elle a décidé de se lancer dans la création d’entreprise pour se repeindre en vert et d’ouvrir deux magasins sous l’enseigne Biocoop. Elle a aussi importé toute la boucherie managériale du secteur de l’automobile dans ces magasins puisqu’en 13 ans d’entreprise, sur une boîte de 60 postes en 2021, il y a eu un turn-over de plus de 280 salariés ! Ça montre bien le niveau des conditions de travail. Je suis arrivé dans la boîte le 8 mars 2020, juste une semaine avant la pandémie mondiale, je ne connais pas précisément tout l’historique mais cette patronne avait déjà des procédures aux Prud’hommes…
Compte tenu du turn-over énorme, pas étonnant que le premier confinement ait été une étincelle vers la grève dans le sens où partout dans le monde du travail ce moment a été ce qui a matérialisé dans la société qui est-ce qui produit les richesses, qui ne les produit pas, qui continue à nettoyer le sol, à déloter des palettes, à mettre des produits en rayon… Certainement pas Catherine Chalom qui était dans sa résidence secondaire en Normandie. Ce qui a fait péter le truc c’est qu’à la sortie de ce premier confinement, cette patronne nous a annoncé par mail que les deux magasins étaient mis en vente et que le travail du dimanche allait être instauré à partir du mois de septembre 2020 dans l’optique de maximiser les bénéfices de sa vente (car la vente se joue aussi sur le chiffre d’affaires et il est plus avantageux pour un repreneur de prendre un magasin qui ouvre déjà 7/7j). Ça a été vécu comme un véritable crachat à la gueule de tous les salariés qui bossaient depuis plusieurs années ou ont été dévoués pendant toute cette période du confinement.
De manière assez instinctive, une première AG a été organisée fin juin, entre les deux magasins, même si on ne se connaissait pas. A cette AG, on a voté très majoritairement qu’on partait en grève à partir du 9 juillet, qui était également une date de grève nationale et sectorielle dans le commerce déposée par la CGT. La grève commençait donc déjà sur un fond politique puisqu’au-delà d’impulser une lutte locale, on a fait le choix de partir ce jour-là spécifiquement parce que c’était une journée qui regroupait d’autres boîtes dans la bagarre.
A&R : Quelles étaient vos revendications?
K : La grève est partie sur plusieurs mots d’ordre : une réponse défensive et concrète par le refus de l’ouverture le dimanche, qui est par ailleurs une revendication historique du mouvement ouvrier dans le secteur du commerce et un véritable conquis des luttes sociales, puis des revendications plus offensives sur l’augmentation des salaires. Comment se fait-il que l’on fait systématiquement des tâches des grades au-dessus et que les salaires ne suivent pas ? Nous revendiquions aussi les deux jours de repos consécutifs hebdomadaires qui sont, en plus, préconisés par la charte sociale de Biocoop mais qui ne sont manifestement pas respectés.
Quelque part cette grève s’inscrit dans une lignée de grèves qui ont eu lieu à Biocoop. Cela fait 10 ans qu’il y a des grèves à Biocoop, de Chambéry à Carpentras, Laval avec tout le temps les mêmes revendications qui reviennent : les salaires ne correspondent pas à ce que l’on fait réellement sur le lieu de travail mais aussi des luttes liés à des licenciements abusifs comme ça été le cas à Carpentras. Sur les 6 plateformes logistiques Biocoop, 3 ont connu des mouvements de grève entre 2014 et 2019, et toujours pour les mêmes raisons (salaires bas, heures supp’…). A chaque fois, le réseau Biocoop a choisi d’ignorer ces revendications ou de prétendre que la grève ne concerne qu’une minorité de salariés isolée d’un site.
A&R : Avez-vous reçu du soutien d’autres forces syndicales ou politiques ?
K : Nous avons toujours eu la volonté de ne pas couper cette grève du reste du monde du travail pour avoir une dynamique collective. Dès le début de la grève, on a cherché les soutiens les plus larges, des syndicats, organisations politiques, et collectifs écologistes (ces derniers ne sont d’ailleurs pas venus), sur les piquets, dans nos publications, etc. On voulait des piquets qui soient conséquents alors que le commerce est un secteur plutôt déserté du fait qu’il n’y a pas de grande tradition d’organisation ni de lutte.
Au niveau de l’organisation de la grève en elle-même, on se réunissait en AG régulièrement où on invitait tous les salariés des deux magasins pour discuter des moyens d’action, des revendications qu’on maintenait, des nouvelles à poser, de comment on souhaitait négocier avec la direction.
A&R : Quelles ont été les étapes de cette grève?
K : Après deux journées de grève durant l’été, c’est réellement à partir de septembre, quand on a compris que la direction n’allait pas négocier facilement, qu’on a décidé d’un rythme plus intense : on a commencé à faire grève une à deux fois par semaine. Puis, on discutait beaucoup entre collègues grévistes et non-grévistes pour les convaincre. S’adresser à l’ensemble des travailleurs nous a permis d’être en grève majoritaire alors qu’il s’agissait de la première grève dans cette franchise.
On a posé le rapport de force en plein été, un truc médiatique s’est un peu développé, ça commençait à faire du bruit mine de rien et la direction de Biocoop a répondu par un communiqué envoyé à l’ensemble des magasins en disant que notre grève était minoritaire, qu’elle ne concernait que des salariés parisiens sur deux magasins, que la problématique était locale tout en vantant leurs mérites d’être la « première coopérative multi-acteurs en Europe », etc. Ce qui nous a quelque part aidé puisque tous les salariés ont été informés qu’une grève se passait à Paris et de nombreux salariés de différentes villes nous ont contactés en exprimant des volontés de gréver, de se syndiquer ! Ça a un peu permis de dépasser les limites du système de franchise. On a pu récolter des témoignages pour renverser le discours de Biocoop et visibiliser la question des conditions de travail.
La direction avait un discours mensonger. Elle assurait que la boîte était en train de couler, qu’il n’y avait pas d’autre choix que celui d’ouvrir le dimanche. Pourtant, ces deux magasins font partie des magasins Biocoop pionniers en Île-de-France et sont ceux qui historiquement ont fait le plus de chiffre d’affaires. Tout ça en disant que ‘le travail du dimanche c’est pas si mal, ça peut aider les jeunes et les intermittents du spectacle’. La majorité des jeunes étaient grévistes et des intermittents du spectacle, il n’y en avait juste pas ! La direction préférait envoyer des communiqués plutôt que de nous rencontrer, de négocier.
Le 6 septembre 2020 était censée avoir lieu la première ouverture le dimanche, ça a été notre plus gros piquet sur l’ensemble de la grève. Le magasin n’a fait que 88€ de chiffre d’affaires ce jour-là et n’a jamais rouvert le dimanche après cela.
A&R : C’est une victoire importante !
K : C’est un de nos acquis obtenus pendant la grève : que le magasin n’ouvre pas le dimanche. Mais comme on n'avait pas encore signé de protocole de fin de conflit, on ne pouvait pas faire confiance aux paroles de la direction. On a donc continué la grève pour exiger une ratification concrète et poursuivre les négociations.
Le 17 septembre, en pleine rentrée sociale, on a décidé de construire un cortège national dans la manif interpro appelée par l’intersyndicale avec tous les collègues qui nous avaient contactés suite au communiqué de la direction et qui sont montés pour l’occasion. On a fait monter des délégations de Strasbourg, de Poitiers, du Raincy dans le 93 et du 12ème arrondissement avec des revendications plus nationales qui mettaient en avant la réinstauration de la grille de salaires qui a disparu il y a deux ans et le passage du taux de représentativité des salariés dans les instances de 5 % à 50 % minimum. On a franchi un cap pour politiser le conflit et dépasser les « clivages » de nos magasins. Tout en ayant toujours le souci de se lier largement… début octobre on a d’ailleurs lancé une soirée de soutien avec différentes organisations (NPA, Youth for climate, LFI), y compris pour mettre en évidence les liens entre l’écologie et le social.
A&R : Cette grève a permis de mettre en lumière l’hypocrisie du groupe Biocoop en matière d’écologie...
K : Biocoop, malgré sa façade verte, est une entreprise comme une autre. De quelle écologie on a besoin ? Est-ce que c’est celle de Biocoop ou est-ce que c’est une transition écologique sous contrôle des travailleurs ? Toutes ces boîtes du bio, que l’on travaille à Biocoop, à Naturalia, à Bio’c’bon, c’est le même travail et ce sont aussi les mêmes dirigeants (des anciens des grands groupes du commerce) ! Naturalia, c’est le groupe Monoprix, Bio’c’bon se fait racheter par Carrefour. Ces enjeux ont traversé la grève et ont permis de nous adresser largement. Ce sont des liens qu’on a tissés tout au long de la grève qui nous ont permis de ne pas être isolés et de politiser le conflit. Il était important pour nous d’entacher l’image de ce qu’on appelle “l’économie sociale et solidaire” qui est une pure aberration.
A&R : Comment a réagi la direction?
K : C’est à cette période que la direction a décidé d’entamer des procédures disciplinaires (le lendemain d’une réunion de négociation). Ils font tomber trois mises à pied conservatoires pour trois collègues pour des motifs ahurissants : le premier pour une absence injustifiée, le deuxième pour des retards bien antérieurs à la grève et Laetitia pour prise de parole non autorisée sur piquet de grève retransmis dans la presse en ligne. Ces procédures impliquaient un entretien préalable à licenciement qui s’est soldé, début octobre, par un licenciement pour les trois collègues, le même jour, ce qui montre bien l’offensive claire pour briser le collectif. Dans le même temps, la direction s’est mise à faire du chantage au planning envers les travailleurs les plus précaires de la boîte, cherchant à instaurer un climat de peur pour détruire la grève. C’est ce qui a mené à une occupation de quatre jours, fin octobre, exigeant la signature d’un protocole de fin de conflit.
A la suite de l’occupation, les occupants ont été assignés au tribunal judiciaire. A l’audience la patronne s’est désistée car aucun dommage n’avait été commis.Mais trois grévistes, dont Tiphaine, concernée par les affaires des Prud’hommes et moi-même avons été mis à pied avec entretien préalable à licenciement. Nous avons été licenciés après la signature du protocole de fin de conflit, mi-novembre, pour occupation illégale du magasin Rive-Droite qui a eu lieu un mois avant. Face à un collectif combatif, la direction a répondu par la répression. Mais cette bataille a permis d’acter la non-ouverture le dimanche et d’obtenir deux jours consécutifs de repos. Loin de vouloir enterrer la hache de guerre, cette patronne a méprisé le droit de grève et décidé de nous licencier.
A&R : Quels sont les enjeux du rassemblement devant le conseil des Prud’hommes?
K : Nous avons décidé de contester la décision de la direction aux Prud’hommes et ce jeudi est un rendez-vous important où nous souhaitons lier nos trois affaires explicitement. Il y a d’abord le délibéré de Laetitia qui a été licenciée pour prise de parole non autorisée sur un piquet de grève retransmise à la presse, ce motif est aberrant.
Tiphaine et moi-même avons été licenciés pour les mêmes motifs, celui de “l’occupation illégale”, alors que c’est une action dans le cadre d’une grève que la justice n’a pas jugée illégale. Donc l’objectif, ce jeudi, est d’obtenir la jonction entre nos deux affaires avec mon audience de jugement. Globalement, l’enjeu légal est celui d’acter la nullité de nos licenciements, les rendre illégaux.
Il était important pour nous d’organiser un rassemblement conséquent, large, regroupant différentes organisations, des groupes militants combatifs. Cette solidarité de classe est essentielle pour répondre à l’offensive patronale. D’autant plus que l’on est dans une situation complètement ouf d’un point de vue de l’hémorragie sociale depuis le début de la crise sanitaire, que ce soit sur les licenciements, les mobilisations contre le pass sanitaire… Ce sont des luttes communes et c’est cette même solidarité de classe qui est en jeu. Il y a intérêt à s’unir et construire des dates ensemble pour faire bloc face à la répression patronale mais aussi face aux attaques du gouvernement, du patronat, pour dire stop aux licenciements et construire un véritable mouvement d’ensemble.
Soyons nombreux et nombreuses le jeudi 2 septembre devant les Prud’hommes pour soutenir Konstantin, Tiphaine et Laetitia face à la direction :
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RDV 12h - 27 rue Louis Blanc, 75010, Paris