- Le monde capitaliste reste structuré, organisé par l’impérialisme dont les intérêts ne sont jamais liés par aucun engagement vis-à-vis d’aucun peuple, même si ponctuellement ils peuvent faire le choix de soutenir telle ou telle lutte avec leurs propres méthodes et leurs propres objectifs.
- Cette guerre va durer des années. C’est un bourbier et ce n’est pas pour rien que les Etats-Unis en particulier y sont allés à reculons. Dans l’immédiat et très ponctuellement, l’impérialisme a fait le choix de limiter la puissance de l’EI sans solution alternative durable, en soutenant certaines factions kurdes et pas d’autres. Ce n’est pas sans importance sur le terrain, pour les Kurdes notamment. Mais sur quel clou devons-nous taper en premier lieu qui nous aide à nous repérer sur le plus long terme ? Le drame humain qu'ont vécu les Kurdes de Kobané ne doit pas nous conduire à perdre toute lucidité sur la situation prise dans sa globalité.
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/ Contribution pour le comité international de la Quatrième internationale - Février 2015
La contribution de Pierre Rousset a le mérite de lancer le débat. Mais son problème principal est que, sous prétexte de lutte contre le campisme, elle opère une réorientation importante. Notre propos n'est pas de nier les difficultés de la période mais de voir, avant tout, quels sont les points d'appuis pour l'actualisation d'une stratégie révolutionnaire.
Dans la situation, ce qui domine c'est bien l'instabilité du système capitaliste. La bourgeoisie n'arrive toujours pas à sortir de la crise et les défaites des guerres impérialistes perdurent. Bien-sûr tout cela se fait dans un rapport de forces qui est dégradé pour notre classe. Mais nous devons être capables d'analyser et de prendre en compte ce qui est nouveau, en particulier dans les luttes existantes. Il est évident pour tous que la situation est aujourd'hui moins défavorable aux révolutionnaires qu'à la fin des années 80 ou début des années 90.
François Sabado écrit souvent qu'il y a des luttes, sans pour autant qu'il y ait un accroissement du mouvement ouvrier. Notre tâche devrait d'ailleurs être en priorité d'analyser ces luttes, leur potentiel et leurs limites, et surtout comment nous pouvons y intervenir et y jouer un rôle. La question de notre implantation au sein de la classe ouvrière est donc centrale. Nous devons également être capables d'étudier là où il y a des succès ou même des phénomènes de croissance du mouvement ouvrier ou de la gauche révolutionnaire, car cela existe aussi, nous y reviendrons (lutte pour les salaires en Chine ou aux États-Unis, les résultats électoraux des révolutionnaires du FIT en Argentine, ou à Seattle...). L'analyse de tous ces points d'appuis est une tâche essentielle pour les révolutionnaires que nous sommes, même si pour l'essentiel notre internationale n'y participe pas directement. Le congrès Mondial doit servir à approfondir notre analyse de la situation et les tâches qui en découlent. Il est important que ce Comité international (CI) lance le processus du prochain congrès Mondial, et qu'il intègre dans son ordre du jour et dans la rédaction des textes l'ensemble des questions politiques formulées dans le cadre du débat ou des diverses contributions de ce CI.
1/ Notre attitude par rapport au gouvernement Syriza,
la question du « gouvernement anti-austérité »
La victoire électorale de Syriza s’appuie sur les luttes de ces dernières années. Le constater ne constitue pourtant pas l’alpha et l’oméga d’une politique révolutionnaire face à la nouvelle situation en Grèce. En effet, le gouvernement grec est d’emblée confronté à un problème décisif : comment financer ses premières mesures (positives mais très limitées) étant donné que les caisses de l’État sont vides.
La direction de Syriza s’est dès le départ inscrite dans une stratégie de « négociations » de la dette, rejetant toute « décision unilatérale » de refus de paiement, même temporaire, ce qui place les clés de la situation entre les mains de la Troïka. La dette de l’État grec est détenue pour l'essentiel par des institutions européennes et internationales, et non pas par les banques. Toute remise en cause de la dette grecque aurait donc un impact immédiat sur les finances des principaux États européens. C’est pourquoi Angela Merkel, et la Commission européenne campent sur une position de refus de toute renégociation. Obama et certains secteurs de la bourgeoisie européenne se positionnent en revanche pour une renégociation. Le scénario d’une possible sortie de la Grèce de l'euro les inquiète : cette hypothèse ouvrirait une situation imprévisible, qui pourrait échapper à leur contrôle.
L’autre possibilité, la seule sérieusement envisagée par Tsipras : un accord qui verrait la Grèce obtenir un assouplissement des conditions du remboursement de la dette. Syriza cherche explicitement à préserver l'Union européenne et l'euro, dans une perspective d’humanisation du capitalisme. Si l’alliance avec les Grecs Indépendants se situe sur fond de positions politiques nationalistes, pro-russes communes avec la direction de Syriza, plus profondément, le choix de l’alliance avec cette force bourgeoise souligne le caractère de collaboration de classes de ce gouvernement et le choix politique du respect du cadre des institutions capitalistes. Gagner du temps et obtenir des marges de manœuvres auprès des secteurs dominants de la bourgeoisie européenne en excluant toute intervention propre des masses grecques, telle est la politique de Tsipras…
Gouvernement Syriza : premier pas vers la rupture anticapitaliste ?
François Sabado présente l’expérience de Syriza (tout comme celle de Podemos d’ailleurs) comme une nouvelle configuration du mouvement ouvrier, un réformisme différent des autres, pouvant incarner une traduction politique des luttes au niveau gouvernemental. Rien de très neuf, c’est le même raisonnement qui était développé à propos du PT brésilien ou du PRC italien, ou plus récemment lorsque les mêmes évoquaient l'absence de débouché politique crédible comme principal obstacle aux luttes de la classe ouvrière.
Depuis 2012, la majorité de la Quatrième internationale (QI) met en avant l’hypothèse de « gouvernements anti-austérité » comme moyen d’engager une rupture avec le capitalisme. Après Mitterand, Lula et tant d’autres d’expériences de gouvernements « de gauche » qui ont déçu les espoirs de notre classe sociale, nous ne devons pas répéter les mêmes erreurs : se raccrocher à des « gouvernements anti-austérité » est un raccourci qui ne nous rapproche pas du socialisme. La trajectoire du chavisme nous le rappelle : tout processus de mobilisation populaire, s’il ne débouche pas sur une remise en cause de la propriété privée, finit par reculer et prêter le flan à la contre-révolution.
Syriza ne doit pas être présenté comme modèle de parti à construire, ni les gouvernements anti-austérité comme objectif à atteindre. Les révolutionnaires doivent au contraire combattre les illusions qui peuvent exister, en mettant en avant les mesures programmatiques indispensables que devraient prendre ce gouvernement : annulation de la dette, réquisition des banques…
Et bien évidemment porter le débat sur la stratégie pour parvenir à appliquer un tel programme : l’intervention directe des travailleurs en lutte. Seule la mobilisation indépendante des travailleurs Grecs et Européens pourra faire basculer la situation. Cette confrontation avec une politique réformiste est indispensable à cette étape.
Il est difficile de prévoir l’évolution de la situation en Grèce. Cependant, nous devons rester lucides sur quelques points-clé. Pour améliorer un tant soit peu la situation des classes laborieuses en Grèce, impossible d’éviter l’annulation de la dette et la confrontation avec l'UE et la troïka. Pour faire face aux inévitables représailles, comment éviter de réquisitionner les banques et les secteurs-clé de l’économie ? Se doter d’un programme anticapitaliste dans ces conditions n’est pas un luxe, mais une nécessité pour défendre les intérêts les plus élémentaires de notre camp social.
On ne peut exclure par avance un scénario où les grandes puissances, l’Union européenne (UE), la Troïka, la droite ou l’extrême-droite grecque chercheraient à s’attaquer au gouvernement actuel pour mieux museler les travailleurs. Dans ce cas, les révolutionnaires ne sauraient rester neutres, il faudrait que les travailleurs défendent ce gouvernement, avec leurs propres méthodes et en toute indépendance. Ce n'est pourtant pas le plus probable à l’heure actuelle. Au moment où le courant de gauche de Syriza participe au gouvernement, une indépendance complète des révolutionnaires à l’égard du gouvernement est indispensable. Nourrir des illusions sur ce dont serait capable le gouvernement est le plus court chemin vers les déceptions, qui ouvrent la voie à la droite et l’extrême-droite.
2/ Nous pouvons… construire des partis révolutionnaires
Construire des organisations politiques capables de faire face à ce type de situations, de nourrir les mobilisations des travailleurs et des opprimés de manière indépendante est tout simplement décisif. Si les processus révolutionnaires au Sud de la Méditerranée n’ont pas débouché sur une remise en cause du capitalisme, l’une des raisons en est l’absence de parti révolutionnaire capable d’exercer une influence au sein de ces processus. Et quand l’explosion vient, il est trop tard : c’est avant que la situation ne devienne révolutionnaire qu’il faut commencer à construire le parti révolutionnaire… Dans les situations d’explosion sociale inévitables voire des processus révolutionnaires comme on en a connu au Sud de la Méditerranée, il est possible pour les courants révolutionnaires de se renforcer, de gagner une audience significative et de devenir un facteur qui compte dans la situation, à condition de mener une politique offensive d’indépendance de classe. Dans certaines régions du monde, dans des conditions à chaque fois très différentes et sans idéaliser ces expériences, des militants anticapitalistes ou révolutionnaires mènent des politiques qui prouvent que les idées anticapitalistes et révolutionnaires peuvent percer. En Argentine, le succès électoral du FIT et l’influence de l’extrême-gauche va dans ce sens. En Afrique du Sud, la rupture de la direction du syndicat des métallurgistes NUMSA et sa prise de position en faveur d’un parti ouvrier anticapitaliste opposé à l’ANC rencontrent un écho significatif dans les masses Sud-Africaines. Même aux Etats-Unis l’exemple de K. Sawant prouve que des révolutionnaires pouvaient mener une campagne militante audible à large échelle.
Cela signifie-t-il que les révolutionnaires doivent systématiquement s’abstenir de toute participation à des « partis larges » ? Le problème n’est pas là. Présenter les partis larges comme l’objectif à atteindre nous conduit inévitablement à une politique d’adaptation aux directions de ces partis et nous rend incapables de jouer un rôle indépendant au moment décisif. Le cas de Podemos est parlant : la formation de cette nouvelle force politique était l’expression de la rupture d’un secteur des classes populaires de l’État espagnol avec le régime issu de la Transition et a constitué un pas en avant. Mais Iglesias a engagé un processus de reprise en main de cette organisation en un temps record. En l’absence de politique indépendante des révolutionnaires au sein de Podemos, la voie est libre pour Iglesias et sa clique pour transformer Podemos en machine électoraliste et bureaucratique.
Les camarades de la majorité de IA interviennent publiquement sur le thème de la nécessaire « révolution démocratique »… rendant leur profil politique virtuellement impossible à distinguer de celui de la direction de Podemos. Mener des batailles organisées sur un certain nombre de points-clé de notre programme au sein des organisations et regroupements anticapitalistes dans lesquels nous pouvons être amenés à participer est tout simplement décisif si on se donne comme objectif la construction de partis révolutionnaires. Maintenir cet objectif stratégique est une boussole indispensable. C'est indispensable y compris si on ne veut pas perdre tout repère sur les questions de démocratie ouvrière.
L'exclusion de la minorité d'Anticapitalistas, qui représentait 20 % des délégués au dernier congrès, sans le moindre respect des statuts internes et du droit des minorités, montre jusqu'où peuvent mener ces dérives. Par ailleurs, quelle crédibilité pour défendre la démocratie interne au sein de Podemos, si on est soi-même incapable de l'appliquer dans notre organisation ?
La participation à un parti « large » peut donc constituer une tactique pour gagner des secteurs de notre classe à un programme révolutionnaire, mais certainement pas un horizon stratégique.
3/ Lier le refus de l'intervention impérialiste
et le soutien inconditionnel aux peuples.
La situation au Kurdistan est un bon exemple, notre solidarité envers le peuple Kurde, pour son droit à la vie et l’autodétermination, est pleine et entière. Elle est inconditionnelle : nous n’avons pas besoin pour cela d’idéaliser d’aucune manière ni leurs organisations, ni ce qui est réalisé dans le Rojava pour faire la différence avec ce que représente l’État islamique. Mais cela n’autorise pas non plus et d’aucune manière à minimiser la responsabilité de l’impérialisme comme l’ampleur de son implication immédiate et le rôle néfaste qu’il peut jouer.
La responsabilité de l’impérialisme
Les difficultés de l’impérialisme américain sont incontestables : échec lors de son intervention précédente à réorganiser le Moyen-Orient ; situation de chaos aggravée par toutes les manœuvres visant à endiguer les conséquences de ce qu’on appelle « les révolutions arabes » ; contrôle très relatif de leurs alliés dans la région qui jouent de plus en plus leur propre partition, avec leurs propres rivalités, au point de jouer avec le feu et conduire à des situations inextricables. A cela s’ajoute le moindre intérêt probablement des États-Unis pour cette région au fur et à mesure que se confirment les potentialités énormes du gaz de schiste susceptible de modifier dans les années à venir très fortement la question énergétiques entre les grandes puissances.
Les rivalités entre impérialismes ne sont pas non plus à négliger.
Mais la nécessité de dénoncer en premier lieu et en tout lieu l’intervention de l’impérialisme quelles que soient les circonstances du moment sont fondamentalement liées à deux aspects :
Solidarité et défense du peuple Kurde
Se contenter de dénoncer l’impérialisme et en rester là est sans aucun doute une erreur. Ajoutons également que nous ne sommes pas seulement solidaires de manière abstraite ou simplement propagandiste : en particulier revendiquer l’ouverture des frontières pour accueillir les réfugiés. Cela est bien plus à notre portée que d’expliquer à l’impérialisme ce qu’il doit faire : des armes mais pas des bombes.
Or c’est le deuxième aspect : faire croire que la seule réelle solidarité avec le peuple kurde devrait être pour nous d'exiger à cette étape de notre propre impérialisme les armes qu’il n’a envie de donner pour l’instant qu’à certaines organisations kurdes et pas à d’autres (au PKK pour être plus précis, car il en donne depuis bien longtemps à Barzani et à d’autres). Que le PKK et ses alliés le demandent est leur droit et nous n’allons certainement pas dans la situation actuelle le dénoncer, quoi que nous pensions par ailleurs de la politique du PKK dont l’objectif stratégique et le résultat prévisible ne sont pas forcément différents de Barzani. Mais en France, face à notre propre impérialisme, ce n’est pas à nous de susciter des illusions sur le thème : des armes et pas des bombes. Et c’est très exactement ce qui est arrivé aux députés de l’ Alliance rouge et verte dont des membres de la IV° qui ont voté au parlement les crédits de guerre sous prétexte que cela permettait d’envoyer des armes mais se sont retrouvés très vite confrontés à la deuxième étape, la seule réellement importante pour le gouvernement danois comme pour les autres : l’envoi de F-16 danois qui aujourd’hui bombardent l’Irak aux côtés des États-Unis et de la France.
Être solidaire du peuple Kurde, ce n'est pas éluder la responsabilité centrale de l'impérialisme dans le développement de courants réactionnaires comme l'EI. Et la situation que vivent les peuples de la région. Sans pour autant nier que ces courants réactionnaires ont également leur propre logique et autonomie. Nous devions et devons donc participer aux manifestations en défense du peuple Kurde, tout en liant cette défense inconditionnelle avec notre refus sans ambiguïté de l'intervention impérialiste. C'est pourquoi nous ne signons pas d’appels à manifester qui demandent à notre gouvernement de fournir des armes aux Kurdes. Nous ne donnons pas l'illusion que notre bourgeoisie pourrait défendre les peuples de la région.
4/ Nos propositions pour la Quatrième internationale
Regrouper les révolutionnaires à l’échelle internationale devrait faire partie des objectifs en discussions dans la QI. La construction d’une internationale révolutionnaire capable d’exercer une influence significative ne passera pas uniquement par le renforcement de notre organisation : la QI pourrait proposer aux autres groupes révolutionnaires nationaux ou internationaux d’entamer des discussions concernant les réponses à apporter à la crise du capitalisme, sur les campagnes communes à mener et sur le type d’organisation à construire.
Dans l’immédiat, la QI doit renforcer sa propre capacité d’intervention dans la classe ouvrière et dans la jeunesse. Avoir un cadre d’analyse et de discussions générales est une chose, parvenir à avoir une capacité d’intervention propre coordonnée à l’échelle internationale en est une autre. Nous proposons une conférence internationale sur le travail ouvrier pour commencer à coordonner nos interventions dans ce domaine décisif, et s'échanger les bonnes pratiques.
Mathilde Stein et Gaël Quirante
(membres de la Quatrième internationale,
membres du comité exécutif du NPA)