Face aux violences sexistes : une mobilisation à construire aussi dans le monde du travail

Le 25 novembre 2017, Macron déclarait l'égalité entre les femmes et les hommes « grande cause nationale » du quinquennat, annonçant un « plan quinquennal de lutte contre les violences sexuelles et sexistes »... Deux ans plus tard, comme nous nous y attendions, le bilan du président des patrons dans ce domaine est bien maigre. Seules les mobilisations imposeront la fin des violences et l'égalité entre femmes et hommes. 

Grenelle de l'enfumage 

Continuant son opération d'enfumage sur ce thème, le gouvernement a ouvert le Grenelle des violences conjugales début septembre. Manque de bol, le beau mensonge de Marlène Schiappa sur les places d'hébergement ouvertes depuis le début du quinquennat pour les femmes victimes de violence a été rapidement démasqué par Checknews. La Secrétaire d’État avait prétendu que 5000 places avaient été ouvertes alors 900 avaient été créées en réalité. 

L'ouverture du Grenelle a également été marquée par le coup de gueule des associations d'aide aux femmes victimes qui, dans une tribune intitulée « on est loin du compte », ont réclamé un milliard d'euros afin de doubler les moyens des associations, former toutes et tous les professionnels, augmenter les capacités d'accueil des lieux d'écoute, d'accueil et d'hébergement, etc. 

Ce montant d'un milliard est aussi celui que demande le Haut conseil à l'égalité (instance officielle créée en 2013 et placée sous l'autorité du Premier ministre – pas des gauchistes en somme...) dans son rapport 2018 intitulé « Où est l'argent contre les violences faites aux femmes ? ». Le HCE y déplore le budget trop restreint consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes, estimé à 79 millions d'euros par an tandis que les besoins pour une politique ambitieuse permettant réellement aux femmes victimes de violences d'en sortir y sont chiffrés à 500 millions au minimum et 1,1 milliards au mieux. 

Des chiffres alarmants 

Les chiffres des violences faites aux femmes demeurent alarmants. En France en 2019, une femme décède tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Le « Grenelle » s'est d'ailleurs ouvert au lendemain du 101ème féminicide de l'année... Le HCE rappelait aussi fin 2018 qu'une femme est violée toutes les 7 minutes et que seules 10 % des femmes victimes de violences portent plainte. Poussé par les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc, le gouvernement a donc choisi la communication plutôt que l'action réelle, en focalisant l'attention sur les violences dans le couple. 

Les femmes victimes de violences au travail oubliées 

Dans le monde du travail, la même logique est à l’œuvre : les femmes sont massivement victimes de violences sexistes et sexuelles. 80 % des femmes considèrent ainsi qu'elles sont régulièrement confrontées à des attitudes et à des décisions sexistes au travail (étude CSEP, 2013). 20 % des femmes actives ont été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle (étude Défenseur des droits, IFOP, 2014). 

Face à ces situations, les femmes ne peuvent compter le plus souvent que sur elles-mêmes. Près de 30 % des victimes n'en parlent à personne. Dans 40 % des cas rapportés à la direction du lieu de travail, la résolution du problème s'est faite au détriment de la plaignante avec des conséquences directes sur son emploi (non renouvellement de son contrat, blocage dans sa carrière). A l'inverse seules 40% des victimes indiquent qu'une mesure de type sanction ou licenciement a été prise contre l'agresseur. Seuls 5 % des cas de harcèlement sexuel sont portés devant la justice. Et l'AVFT estimait en 2017 à 94 % le nombre de plaintes pour harcèlement sexuel classées sans suite ou ne donnant pas lieu à condamnation ! Surtout que quand une affaire leur parvient, les juges ne sont pas les plus progressistes en la matière, un arrêt récent de la Cour de cassation ayant par exemple considéré le harcèlement non constitué car la salariée victime avait « répondu aux sms de son supérieur » et aurait ainsi eu « une attitude ambiguë » en « participant volontairement à un jeu de séduction réciproque » (Cass. soc., 25 sept. 2019, n° 17-31.171). 

Les violences et l'inégalité au cœur du système capitaliste 

Dans un système capitaliste, fondé sur l'exploitation et les oppressions, les femmes n'ont rien à attendre du Président des patrons, dont le Gouvernement affiche la tolérance zéro mais laisse en pratique l'impunité aux agresseurs. Ainsi, une seule association nationale de lutte contre les violences au travail existe, l'AVFT, mais a dû aller jusqu'à fermer son accueil téléphonique en 2018, faute de moyens supplémentaires alors que les plaintes affluaient. 

Et tant qu'il sera toléré que les femmes ne sont pas les égales des hommes, en particulier dans le monde du travail, la mécanique sexiste pourra continuer de fonctionner à plein, inégalités et violences s'alimentant en permanence. 

Si l'égalité de rémunération est inscrite dans la loi depuis 1972, l'écart continue de s'élever à 25 % en défaveur des femmes tous postes confondus. Le Gouvernement a encore pratiqué l'enfumage avec son « index », censé mesurer les écarts de rémunération dans les entreprises de plus de 50 salariés. Bilan à 6 mois de son déploiement : seule 18 % des entreprises de plus de 1000 salariés ont une note considérée par la loi comme mauvaise (moins de 75/100). En pratique, cela signifie tout d'abord qu'on tolère l'inégalité pour toutes les entreprises qui ne sont pas à 100/100... Et de toute façon, le mode de calcul de l'index est biaisé. Les rémunérations comparées sont diminuées des indemnités de licenciement, des primes telles que salissures, pénibilité, etc, plus souvent présentes dans les emplois occupés principalement par des hommes. Une bonne note servira donc de camouflage et constituera une raison de plus pour ne pas agir concrètement. Le cynisme est à son comble puisque la mise en place de l'index a eu au moins pour mérite de mettre au jour le fait que près d’1 entreprise sur 3 ne respecte pas l’obligation légale d’augmenter leurs salariées au retour de congé maternité si leurs collègues occupant le même type de poste l’ont été ! Là-dessus, aucune action spécifique n'est prévue, la communication gouvernementale renvoyant à l'inspection du travail la responsabilité de se « mobiliser » sur cette question. Quand on connaît les sous-effectifs de ce corps de contrôle (en moyenne un agent de contrôle pour 10 000 salariés), on se doute que les femmes concernées ne sont pas prêtes de voir leurs droits rétablis. 

Construire la mobilisation dans le monde du travail 

On l'a vu, pour lutter contre les violences, dans et hors du monde du travail, et pour gagner l'égalité réelle entre femmes et hommes, il faut des moyens financiers, il faut défendre les droits acquis et en gagner de nouveaux. 

Les droits gagnés pour les femmes ont toujours été obtenus par la lutte, par la mobilisation des femmes elles-mêmes. Récemment les mobilisations nées des réseaux sociaux ont remis le combat féministe sur le devant de la scène. Mais on voit bien que pour obtenir ne serait-ce que le milliard évoqué ci-dessus, il faudra obliger le Gouvernement à mettre la main aux portefeuille, en prenant sur les profits des capitalistes. De même que pour gagner l'égalité de rémunération et la fin de l'impunité des agresseurs dans le monde du travail, il faudra imposer aux patrons d'augmenter les salaires, donc de prendre sur leurs profits, et d'abandonner leur pouvoir de direction unilatéralement exercé. 

Sans une vaste mobilisation dans le monde du travail, avec la grève comme élément central du rapport de force, on voit mal comment cela serait possible. C'est donc cette mobilisation qu'il faut construire, pour mettre toutes les forces de notre camp social du côté du mouvement féministe, en soutien à ses revendications. 

Les manifestations à l'occasion du 25 novembre seront un premier rendez-vous pour la construction de cette mobilisation.

Camille Decaux

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