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/ Etats-Unis : où en est la lutte pour les 15 dollars ?
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En 2012, la direction du principal syndicat des services états-uniens (SEIU, Service Employee International Union) décidait d’organiser une campagne dans l’industrie du fast food, avec deux revendications : un salaire minimum « décent » de 15 dollars de l’heure « tout de suite » (contre 7,25 actuellement) et le droit de former un syndicat dans un secteur très peu syndiqué et très touché par la répression.
La stratégie adoptée a été d’organiser des journées d’action nationales très visibles où, dans chaque ville, les salariés des fast-foods et leurs soutiens se rassemblent devant un restaurant emblématique et occupent la rue. La couverture médiatique de ces journées d’action a très été importante. Chacune a concerné davantage de villes et de salariés que la précédente : la septième journée, le 4 septembre 2014, a touché 150 villes de 33 États et vu des travailleurs du secteur de la santé se joindre aux rassemblements.
Au niveau fédéral, Barack Obama a prétexté qu’il n’avait pas une majorité suffisante au Congrès pour faire passer une telle mesure (de plus, suite aux élections de mi-mandat de novembre, le Congrès est passé aux mains des Républicains) et a vaguement indiqué que dans le futur, les employés fédéraux nouvellement embauchés le seraient à 10,10 dollars de l’heure. Les sondages montrant un fort soutien populaire à la revendication des 15 dollars, les Démocrates ne peuvent s’y opposer frontalement et ont promis à leur électorat une série de demi-mesures au niveau local : par exemple, 13 dollars de l’heure à New York pour les employés municipaux vivant dans des logements appartenant à la ville.
Pour l’instant, ce mouvement a eut un impact symbolique important malgré la modestie de ses gains concrets : depuis le début de la crise en 2008, c’est le premier mouvement d’envergure nationale qui met en avant l’idée que ce n’est pas aux travailleurs de payer la crise. Les images d’actions de désobéissance civile où les employés de fast-food majoritairement issus des minorités sont arrêtés par la police a suscité dans les médias la comparaison avec le mouvement des droits civiques.
Débats stratégiques...
Cet enthousiasme ne doit pas cependant occulter les débats stratégiques que ce mouvement provoque. Si l’intérêt d’un tel mouvement est de développer le niveau de conscience et d’activité d’un secteur professionnel particulièrement précarisé, la question de la place des travailleurs du rang dans le processus décisionnel se pose. Or, le modèle militant de SEIU est particulièrement vertical. Des cohortes de permanents syndicaux sont présents de A à Z, et ce sont eux qui ont opté pour une stratégie principalement symbolique. Les rues sont occupés, mais les militants arrêtés sont relâchés rapidement (contrairement à ce qui se passe par exemple à Ferguson) et la production n’est pas réellement perturbée.
Certes, il est effectivement difficile de faire grève dans des secteurs où la force de travail est aussi peu concentrée. Cependant les entrepôts qui fournissent les restaurants comptent plusieurs milliers de salariés dans un même lieu et sont largement non syndiqués. De plus, les conditions sanitaires des restaurants sont déplorables, et une seule inspection des services de santé alertés par le syndicat suffirait à les faire fermer temporairement. C’est peut-être la stratégie du SEIU à l’approche des élections de mi-mandat de novembre qui a souligné les limites de ce mouvement : toutes les ressources du syndicat ont été tournées vers le fait d’élire des Démocrates, qu’ils soient en faveur de l’augmentation du salaire minimum... ou non !
Sans le choix de la direction bureaucratique de SEIU, la campagne pour 15 dollars de l’heure n’aurait pas eu lieu. Mais ces quinze dernières années, SEIU a utilisé principalement ses ressources non à gagner de nouveaux membres, mais à faire les campagnes électorales des Démocrates selon la logique du « moindre mal » et à essayer de détruire les syndicats concurrents, notamment dans le secteur de la santé. L’ancien président du syndicat Andy Stern, le plus mouillé dans cette stratégie, a quitté la présidence en 2010, mais il a choisi personnellement sa remplaçante, Mary Kay Henry.
La campagne pour les 15 dollars, renouant avec les campagnes militantes de SEIU dans les années 1980 et 90 pour les employés de casino à Las Vegas et les femmes de ménage à Los Angeles, souligne la compréhension de la bureaucratie de SEIU de la nécessité de construire le syndicat, mais ne change en rien sa nature. En lançant ces campagnes, SEIU et d’autres syndicats créent un – petit – espace pour l’auto-activité des travailleurs. La mesure dans laquelle ce petit espace pourrait s’élargir et entraîner des fractions plus importantes du monde du travail déterminera les chances d’imposer au gouvernement – démocrate ou républicain – et au patronat les revendications vitales de la classe ouvrière.
Stan Miller
Revue L'Anticapitaliste n° 60 (décembre 2014)