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/ Italie - Grève historique chez Ikea : « La grande majorité des travailleurs sont très en colère et de plus en plus conscients de former une communauté »
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Publié dans la revue A&R
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> Entretien avec un caissier du magasin Ikea de Rome[1], membre de la CUB Flaica[2], après le premier mouvement de grève national de la chaîne en Italie. Le 11 juillet, 21 points de vente ont été paralysés, avec une participation allant de 70 à 95 % de grévistes selon les régions. La mobilisation s'est poursuivie pendant l'été sous des formes différentes selon les magasins (débrayages, piquets, etc.).
Anticapitalisme & Révolution – Depuis combien de temps travailles-tu chez Ikea? Quel est ton poste ?
J’y travaille depuis 2001, d’abord par l’intermédiaire d’une agence d’intérim, puis j’ai été engagé en CDD, et enfin en CDI après 3 mois. J’ai toujours eu un contrat à mi-temps « vertical »[3] (samedi et dimanche, soit 16 heures hebdomadaires), malgré moi. 80 % des employés d’Ikea sont à mi-temps : c’est un choix de l’entreprise, pas un choix des travailleurs.
A&R – Qu’est-ce qui a déclenché la grève du 11 juillet ? Que voulait la direction de l’entreprise ?
L’entreprise nous a fait du chantage : soit on acceptait ses propositions, soit à partir de septembre, il n’allait plus y avoir aucun contrat intégratif[4]. Le géant suédois veut réduire drastiquement les majorations du dimanche et des jours fériés, il veut imposer un système de gestion des emplois du temps sur le modèle du TIME[5] qui, de fait, laisse la porte ouverte à une flexibilité pratiquement absolue, et enfin, il veut supprimer la prime fixe de l’entreprise. Dès le départ, le groupe a quitté la table des négociations en affirmant ne vouloir négocier en aucune manière, la direction nationale faisant ainsi une démonstration de force.
A&R – Quel a été le rôle des travailleurs et des syndicalistes dans le processus qui vous a amenés à la grève ?
Cette fois-ci, la CGIL, la CISL et l’UIL[6] ont senti la pression des travailleurs, elles ont réalisé la colère et l’inquiétude qui se sont exprimées avec force pendant les initiatives de lutte et dans plusieurs assemblées. Les négociations sont défendues seulement et exclusivement par ces trois syndicats ; les travailleurs, eux, n’envisagent de céder ni sur leurs salaires, ni sur leur temps de travail, face à une entreprise qui n’est pas en difficulté et qui souhaite seulement profiter d’une situation de crise pour porter atteinte aux droits du travail et augmenter ses profits. Nous espérons que les syndicats traditionnels ont bien compris que nous, nous n’allons rien céder : nous ne voyons absolument pas pour quelle raison nous le ferions.
A&R – L’entreprise prétend devoir affronter une crise du marché en Italie...
En 2014, l’entreprise a vu ses bénéfices augmenter de 3 % grâce à notre travail, à ses fournisseurs et aux achats de ses clients. Si l'on parle aujourd’hui d’une baisse des bénéfices, celle-ci s’explique par des investissements considérables destinés à l’expansion du marché italien, avec 10 nouveaux magasins qui doivent ouvrir dans les années à venir. La crise économique, qui a frappé durement les distributeurs et les artisans du bois, a au contraire augmenté les parts de marché conquises par Ikea. De toute façon, quoi qu’on en pense, notre patron est l’homme le plus riche d’Europe, il a un patrimoine personnel de 45 millions d’euros, et il cherche à nous prendre de l’argent à nous ?! L’homme le plus riche d’Europe veut extorquer 150 euros tous les mois à chacun de ses employés italiens.
A&R – Quel est le sentiment qui domine chez les travailleurs après la grève ? Y a-t-il d’autres initiatives de luttes ?
Bien sûr, avec la durée du mouvement et les préoccupations provoquées par les manœuvres de la direction, il n’est pas facile de préserver l’unité des travailleurs. La grogne monte contre les quelques briseurs de grève et contre les dirigeants qui menacent et font circuler de fausses rumeurs, ainsi qu'une crainte de conséquences personnelles. Pour certains, cela commence à poser un problème strictement économique, avec des paies de plus en plus maigres à cause des nombreuses heures de grève. Mais la grande majorité des travailleurs sont très en colère et de plus en plus conscients de former une communauté, de représenter une force capable de contrer l’arrogance du géant suédois. Nous poussons tous dans la même direction.
A&R – Des travailleurs d’autres entreprises ont-ils mené des actions de solidarité envers vos initiatives, à Rome ou au niveau national ?
Un grand nombre de clients ont montré leur solidarité, en postant sur la page Facebook de l’entreprise des messages avec le hashtag #setagliilpersonaleperdiunclienteabituale[7], ou encore en choisissant de ne pas effectuer des achats pendant la période de grève. Il y a aussi beaucoup de secteurs de la grande distribution qui ont manifesté leur soutien de manière concrète. Mais les deux exemples qui nous ont remplis de fierté, c'est la solidarité d'OVVIE et la solidarité apportée par les travailleurs et travailleuses d’ANSALDO de Gênes. En plus de quelques autres secteurs locaux, de collectifs, de radios. Vraiment, recevoir la solidarité d'un grand nombre de gens, de simples citoyens, clients et travailleurs, une solidarité concrète ou au travers des réseaux sociaux, cela nous pousse à tenir bon et à continuer, à nous convaincre que nous sommes dans le camp de ceux qui ont raison. Le camp des travailleurs honnêtes qui veulent de justes salaires, contre celui des profits et de l’avidité.
Propos recueillis par Metti Giovanni Carrera et traduits par Florencia Catania
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[1] Cet entretien est anonyme en raison des menaces de répression à l'encontre des grévistes.
[2] CUB (Confédération Unitaire de Base) Flaica (Commerce, industrie alimentaire, ingénierie urbaine, nettoyage et services).
[3] Le mi-temps de type « vertical » signifie que l'employé fait des journées pleines dispatchées sur quelques jours de la semaine, du mois ou de l'année.
[4] Le contrat intégratif (contratto integrativo) CCNL, aussi connu sous l’appellation de contrat de second degré d’entreprise, est une partie du salaire des employés qui résulte d’un accord entre chaque entreprise et les syndicats qui y sont présents. Dans des grandes entreprises, les syndicats ont obtenu des rémunérations supplémentaires, connues par le nom de contrat intégratif. La non-reconnaissance par IKEA de ce type de contrat pourrait entraîner une baisse considérable des salaires chez les travailleurs.
[5] Système de répartition des emplois du temps en Italie.
[6] Les trois plus grandes confédérations syndicales italiennes : CGIL (Confédération générale de travailleurs), CISL (Confédération italienne des syndicats du travail) et UIL (Union italienne des travailleurs).
[7] « Si vous virez le personnel, vous perdez un client régulier ».