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/ Les apports de Trotsky : unité d'action, indépendance de classe et programme révolutionnaire
Il y a 75 ans, Staline faisait assassiner Trotsky, cherchant à liquider à travers lui ce qui constituait la mémoire vivante de la première révolution prolétarienne victorieuse. Nous revenons ici sur quelques-uns des apports de Trotsky au marxisme révolutionnaire, dont l’importance s’illustre plus que jamais en ce début de XXIème siècle. Un autre article aborde la théorie de la Révolution permanente.
Front unique ouvrier contre Front populaire
A une époque où le mouvement ouvrier était puissant, organisé, et sous l'influence des réformistes, Trotsky a été amené à réfléchir aux moyens de gagner la majorité de la classe ouvrière aux idées révolutionnaires. C’est notamment à travers l’expérience tragique du prolétariat allemand de 1933 et le refus du KPD de combattre Hitler dans l’unité avec le SPD, que Trotsky va systématiser cette réflexion. Face à toute offensive capitaliste contre la classe ouvrière, les révolutionnaires prônent l’unité de toutes les organisations ouvrières, de la base au sommet, afin d’entraîner l’ensemble du prolétariat dans l’action. Mais Trotsky distingue très nettement ce type d’accord de front unique pour l’action, des accords électoraux avec des réformistes : « Ils [les staliniens qui sont contre le front unique avec le SPD] ne comprennent pas la différence qui peut exister entre un arrangement au niveau parlementaire et un accord de combat, même le plus modeste, à propos d’une grève ou de la protection des ouvriers typographes contre les bandes fascistes. Les accords électoraux, les marchandages parlementaires, conclus par le parti révolutionnaire avec la social-démocratie servent, en règle générale, la social-démocratie. Un accord pratique pour des actions de masse, pour des buts militants, se fait toujours au profit du parti révolutionnaire » (Trotsky, Lettre à un ouvrier communiste allemand).
C’est pourquoi Trotsky s’oppose fondamentalement à la politique de Front populaire développée par l’Internationale stalinienne. La distinction fondamentale entre le front unique ouvrier et le front populaire réside en ceci que le front unique ouvrier cherche à déclencher une dynamique de lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, alors que par sa logique d’adaptation au système et de collaboration, le front populaire freine les luttes ouvrières, voire réprime les couches ouvrières les plus radicalisées. Le front populaire, et tous ses dérivés, sont fondés sur le respect de l’ordre capitaliste, sous prétexte de ne pas renforcer la réaction. C’est exactement l’argumentaire qui a été utilisé par Tsipras pour soumettre la Grèce à un nouveau plan d’austérité : sous prétexte de ne pas risquer un « Grexit », la majorité Syriza a accepté des mesures anti-ouvrières encore plus violentes que ses prédécesseurs, transférant une grande partie de la souveraineté nationale entre les mains de la Troïka. Le vote de ces mesures s’est accompagné de la répression des militants politiques et syndicaux s’opposant à cette politique.
Un programme transitoire comme outil pour l’action
La tactique de front unique ne serait donc rien sans un programme d’action anticapitaliste, un programme de revendications transitoires. En rédigeant ce qui sera le programme historique de la Quatrième Internationale, le but de Trotsky est clair : « Il faut aider les masses à trouver, au cours de leurs luttes quotidiennes, ce qui fera le pont entre leurs revendications actuelles et le programme de la révolution socialiste. Ce pont doit consister en un système de REVENDICATIONS TRANSITOIRES, qui partent des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et qui conduisent invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat ». Ce programme est donc un outil pour l’action : mobiliser les masses pour la prise du pouvoir en partant de leurs problèmes quotidiens.
Cependant, le Programme de transition ne se contente pas d’énumérer de simples « mesures transitoires ». Il se prononce également sur la façon de mobiliser les masses. « Il y a deux dangers dans l’élaboration du programme. Le premier est de s’en tenir à de grandes généralités abstraites et de répéter des mots d’ordre généraux sans vraiment se soucier des sections syndicales locales. Cela, c’est aller dans le sens du sectarisme coupé des réalités. Le danger inverse est de trop s’adapter à la situation locale, aux conditions spécifiques, de perdre le fil de l’orientation révolutionnaire générale », explique Trotsky dans sa discussion sur le programme avec les révolutionnaires américains en 1938. C’est pourquoi le Programme de transition énonce un certain nombre de mesures très radicales et difficilement saisissables pour des ouvriers encore en proie aux illusions réformistes : groupes d’autodéfense, milice ouvrière, armement du prolétariat, soviets. Il ne s’agit pas pour les révolutionnaires de faire une simple propagande sectaire sur ces questions. En revanche, ces questions mettent au centre de l’activité des révolutionnaires l’auto-organisation de la classe : seule la prise en main par le prolétariat de sa propre destinée peut lui permettre de s’émanciper de ces illusions réformistes.
A l’heure où ce qui se passe dans les pays arabes – mais aussi en Grèce, en Espagne – montre à la fois une accélération de la lutte des classes et la remise sur le devant de la scène de partis réformistes prônant de nouvelles formes de Front populaire, les acquis théoriques du trotskysme sont indispensables pour penser, analyser ces phénomènes et peser sur le cours de la lutte des classes.
Aurélien Perenna