« Mes codétenus n’en revenaient pas de cette solidarité »

> Entretien avec Yannick Lesné, professeur de sciences physiques au lycée Maupassant de Colombes (Hauts-de-Seine) et militant de SUD Education. Il revient pour Anticapitalisme & Révolution sur son interpellation par la police place de la République à Paris, lors de la manifestation du 29 novembre contre la COP21, sur le déroulement de sa garde à vue et sur la grève de solidarité menée par ses collègues.

Anticapitalisme & Révolution - Tu t’es retrouvé en garde à vue suite à ta participation à la manifestation du 29 novembre place de la République. Pourquoi avoir manifesté ce jour-là ?

Yannick Lesné - Pour plusieurs raisons. D’abord, parce que comme plein de gens, je me sens concerné par la COP 21, qui est pour nous une mascarade, car tous ceux qui militent se rendent bien compte que ce n’est pas avec ce genre de faux-semblants qu’on va arranger les choses.

Mais, si j’ai manifesté ce jour-là c’est surtout parce qu’on se sert du prétexte des attentats pour déclarer l’état d’urgence et, en plus, le prolonger de manière tout à fait inutile et scandaleuse. Ce qui est clair, c’est que l’objectif était d’empêcher toute contestation sociale, et donc finalement d’instrumentaliser les attentats du 13 novembre pour mieux faire passer toutes les « réformes » et toutes les condamnations pour activité syndicale qui ont eu lieu ces derniers temps.

A&R - Tu as été interpellé seul ou avec d’autres militants ?

YL - De façon assez étonnante, on s’en est rendu compte après, ils ont cherché à arrêter tous ceux qui s’étaient regroupés en cortège de manière visible pour protester contre la mascarade de la COP 21 et l’état d’urgence. Clairement, ce sont les militants organisés, syndicalement ou politiquement, qui ont été visés. On a été plus de 300 en tout à être arrêtés.

Dès les premières interventions de la police, ce sont essentiellement les cortèges organisés des militants politiques (dont celui du NPA), mais aussi les camionnettes de journalistes (de télévisions étrangères), qui ont été ciblés par les jets de gaz lacrymogènes.

Quant aux fameuses « violences » des « casseurs », il s’est agi essentiellement de quelques jets de bouteilles vides en direction de la police.

A&R - Quelles ont été les conditions de votre arrestation ?

YL - Après avoir manifesté, je souhaitais quitter la place de la République. Mais on nous empêchait de sortir : le métro et toutes les rues étaient bloqués.

Je me suis donc placé avec d’autres militants organisés avec les cortèges de l’AL et du NPA à l’une des sorties de la place, rue du Faubourg-du-Temple, pour signifier que nous souhaitions nous disperser pacifiquement. Mais la police nous a empêchés de le faire et nous a encerclés. C’est alors que nous nous sommes mis en chaîne de service d’ordre.

Les interpellations ont été brutales, surtout pour les militants des premiers rangs du cortège. Un exemple pour l’illustrer : l’un des premiers militants arrêtés est handicapé, et les CRS l’ont fait tomber, ainsi que son matériel photo, pendant son interpellation. Plusieurs manifestants ont évidemment protesté en demandant aux policiers s’ils étaient « fiers » de ce qu’ils faisaient. Un CRS s’est alors mis à discuter avec nous pour essayer de se justifier. Son initiative n’a pas été au goût de sa hiérarchie, apparemment, puisque son supérieur est venu et lui a mis un gros coup de matraque sur la tête pour mettre fin à la discussion ! Le message était clair : le seul objectif de la présence policière sur place était une répression brutale, pas de faire en sorte que le rassemblement se déroule dans de bonnes conditions.

A&R - Après l’arrestation, comment s’est passée la suite ?

YL - On nous a fait monter dans des camions, qui ont démarré une fois qu’ils étaient tous pleins, et après une longue attente, sans aucune explication, on a pu descendre rue de l’Evangile.

Ce n’est qu’une fois descendu du car que j’ai compris que nous allions carrément avoir droit à une garde à vue (GAV) et non à un simple contrôle d’identité, puisqu’on nous a demandé d’enlever nos lacets… On m’a alors déclaré que j’étais placé en GAV pour participation à un « attroupement interdit sans armes » ! Ensuite, c’était parti pour la détention à 20 dans des cellules de 9 m².

Vers 22 heures, on nous a fait quitter le commissariat de la rue de l’Evangile pour nous « dispatcher » pour la nuit dans des commissariats de toute la région parisienne. Pour moi et huit autres manifestants, dans un commissariat du 9ème arrondissement. Nous nous sommes retrouvés à dormir à six dans une cellule prévue sûrement pour deux ou trois personnes : j’ai dû me coucher par terre.

Au final, j’ai été arrêté vers 17 heures, et ma famille a été laissée sans aucune nouvelle par la police jusqu’à minuit passé. Et ne parlons pas de la nourriture : rien avant 8 heures du matin…

A&R - Et le lendemain, que s’est-il passé ? Comment as-tu appris que ton lycée était majoritairement en grève pour réclamer ta libération ?

YL - Les policiers ont tout fait pour que je passe mon audition sans avocat (les deux numéros que j’avais donnés étaient « injoignables », puis aucun avocat « commis d’office » n’était disponible…).

Face à mon refus, j’ai finalement eu une avocate vers 11 heures, et mon audition avec l’OPJ a eu lieu vers 11 heures 30. C’est le policier présent qui m’a alors appris pendant l’audition que beaucoup de gens appelaient au commissariat, et que mon lycée était en grève pour demander ma libération ! Il en a conclu que je devais être « apprécié au travail ».

De retour en cellule, j’ai annoncé tout ça à mes codétenus. La nouvelle de la grève sur mon bahut et de la mobilisation en cours – y compris syndicale – pour obtenir notre libération a été applaudie par les autres manifestants arrêtés. Clairement, tout le monde a été remotivé, alors que certains commençaient vraiment à être démoralisés.

On nous a finalement libérés au bout de 24 heures de GAV, dans l’après-midi du lundi 30 novembre. Avant de sortir, les policiers nous ont dit qu’on avait un comité d’accueil. En fait, j’ai découvert que c’était une délégation de collègues grévistes, qui avaient fait le déplacement devant le commissariat, avec aussi d’autres syndicalistes enseignants de Nanterre ou Gennevilliers. Du coup, c’est l’ensemble des 9 manifestants libérés au même moment qui ont eu droit à cet accueil militant. Mes « codétenus » n’en revenaient pas de cette solidarité…

A&R - Quel bilan tires-tu de cette expérience ?

YL - Pour moi, notre mobilisation a atteint ses objectifs. Alors qu’à ce moment-là, il n’y avait qu’un seul discours autorisé sur l’état d’urgence, des médias – dont certains a priori pas particulièrement « amicaux » – nous ont donné la parole : reportage sur BFM TV, plusieurs dans des radios nationales, deux articles dans Le Monde, un sur Mediapart…

Il valait mieux agir tout de suite en bravant l’interdiction de manifester, plutôt que d’attendre que ça empire. On a pu commencer à entendre pour la première fois, suite à la grève du lycée Maupassant et à celle du collège Barbusse de Saint-Denis, une autre voix sur l’état d’urgence, petite mais audible. Une voix dénonçant un état d’exception qui, sous prétexte de lutte contre le terrorisme, réprime la contestation sociale et condamne des syndicalistes…

Propos recueillis par David 92N

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