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Publié dans la revue A&R /
Répression
/ De quoi l’état d’urgence est-il le nom ?
L’état d’urgence ne tombe pas du ciel : pour éviter que les convulsions inévitablement provoquées par les politiques libérales au niveau intérieur, et par les politiques impérialistes sur le terrain international, ne se retournent contre elle, la bourgeoisie mène préventivement une politique d’instauration d’un état d’exception permanent.
Dans la foulée des attentats de novembre, les musulmans étaient les boucs émissaires idéaux : les perquisitions les ont visés par centaines et ont remis en branle la machine à diviser. En bref, rien de tel qu’une bonne dose de racisme et d’islamophobie pour accompagner une grave remise en cause des droits démocratiques et justifier une augmentation des pouvoir de la police. S’appuyant sur ce climat, la classe dirigeante passe à une autre étape : la peine de prison ferme prononcée contre les Goodyear et l’accélération des poursuites contre les syndicalistes combatifs (après Air France, et Goodyear, c’est au tour de Philippe Poutou et de trois autres syndicalistes Ford d’être convoqués au commissariat à Paris début février) signalent une volonté claire d’intimider l’ensemble de notre classe en frappant une série d’équipes militantes combatives, emblématiques des luttes ouvrières de ces dernières années. La finalité de l’état d’urgence est bien là : anticiper sur de futures explosions de colère en brisant par avance les ressorts de mobilisation.
Il ne s’agit pas simplement d’une tendance propre à la situation française : l’offensive réactionnaire que nous connaissons est l’expression d’une dégradation globale de la situation internationale. Chine, Brésil, Turquie, etc., la dynamique de récession touche désormais les pays capitalistes soi-disant émergents, qui avaient été présentés comme immunisés contre les effets de la crise économique et financière. Un retour durable à des taux de profits élevés ne sera pas possible de manière « pacifique », ce qui entraîne non seulement une pression en faveur de politiques encore plus agressives contre les droits des travailleurs, mais aussi une tendance au renforcement de la concurrence entre firmes et grandes puissances. Ainsi, la guerre permanente menée au Moyen-Orient par les grandes puissances et leurs alliés – les puissances régionales qui mènent chacune leurs propres politiques et leurs propres alliances – déstabilise non seulement la région, mais provoque en retour des effets réactionnaires sur les pays occidentaux. Les politiques des différentes puissances capitalistes ne font pas que se ressembler (la militarisation de la police en France, par exemple, emboîte le pas à une évolution similaire qu’ont connue les Etats-Unis). Elles ont des racines communes, elles se nourrissent les unes les autres et doivent être combattues à l’échelle internationale.
L’Union nationale provoque des fissures et des nouveaux points d’appui
Un courant d’opinion opposé à cette politique est bien présent dans la classe ouvrière et dans la population. C’est ce que tendent à prouver les prises de positions de multiples organisations syndicales – en particulier la déclaration de la CGT, peu de temps après les attentats, mettant en cause la guerre et l’état d’urgence –, les manifestations et rassemblements ayant bravé l’état d’urgence ou encore le meeting du 17 décembre. Le virage à droite de la gauche institutionnelle provoque des tensions dans le Front de gauche et même jusqu’au PS. De nouveaux points d’appui pour mener une politique unitaire contre la politique du gouvernement ont fait leur apparition, avec des possibilités de mobilisations communes de forces diverses (opposants du PS et des Verts, syndicalistes, organisations politiques d’extrême gauche, PG, associations comme le DAL, organisations anti-islamophobie, etc.). Il y a un début de contestation de l’état d’urgence, ou du moins de sa prolongation. L’annonce quasi-simultanée d’une peine de prison exorbitante pour les Goodyear et de l’acquittement du policier ayant assassiné Amine Bentoussi a provoqué un sentiment d’injustice. Il devient possible de convaincre plus largement du fait que derrière la prétendue lutte contre le terrorisme, derrière le renforcement des pouvoirs de la police, le gouvernement cherche à s’attaquer à nous tous.
L’écho de la pétition en soutien aux Goodyear ouvre une brèche dans l’état d’urgence, qu’il faut chercher à élargir au maximum : de nombreuses équipes syndicales se sentent attaquées et perçoivent qu’il s’agit de défendre leurs propres possibilités de se battre. Il est possible qu’émerge une conscience du fait que la logique répressive de l’état d’urgence sert à s’attaquer à toutes celles et tous ceux qui se battent pour leurs droits, et qu’elle vise donc potentiellement tout le monde. Autour de cette question, la lutte « économique » et la lutte contre la politique d’état d’exception permanent du gouvernement peuvent se rejoindre. C’est pourquoi la prise de position de la CGT en faveur de collectifs unitaires en défense des Goodyear est si importante : elle ouvre la possibilité d’une mobilisation large contre un aspect-clé de la politique du gouvernement et du patronat.
Nam 92N et Harry Tubman