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Publié dans la presse du NPA
/ La mobilisation contre la « loi travail » : enfin de l’air !
Quel contraste avec les mois de plomb de l’hiver dernier ! Depuis début mars, la colère s’est cristallisée autour du rejet de la loi El Khomri. Un mouvement qui continue malgré tous les obstacles, et qui aura des conséquences politiques durables[1].
Certes, la mobilisation connaît encore de grandes difficultés à déboucher sur un rapport de forces suffisant pour faire reculer le gouvernement. Les « gros bataillons » de la fonction publique ne sont guère là, la mobilisation de la jeunesse ne s’est pas maintenue à un niveau élevé, aucun secteur en grève reconductible massive ne fait office de locomotive, et le nombre de manifestants est resté bien en-deçà des millions de 2010. Pourtant, à l’heure où nous écrivons, rien n’est joué. Le mouvement est enraciné et ne cesse de rebondir, de grèves dans les raffineries en annonce d’une manifestation nationale. Le gouvernement espérait la fin rapide du mouvement, le voilà face à la menace de grèves reconductibles dans les transports, à une pénurie d’essence, autant de points d’appui pour celles et ceux qui veulent faire passer la mobilisation un cran au-dessus.
Il y a bien sûr un problème de « vapeur » . Mais celle-ci n’est pas non plus totalement indépendante de la politique des organisations. Les centrales syndicales n’ont pas proposé le calendrier qui aurait aidé à construire plus vite et plus massivement le mouvement. Après le dévoilement du projet de loi, la confédération CGT, entre autres, pour garder le contact avec une CFDT qui était déjà sur les starting blocks pour renouveler ses trahisons de 1995 ou de 2003, faisait que la première intersyndicale accouchait d’une déclaration unitaire scandaleusement inconsistante.
C’est d’ailleurs l’initiative des organisations de jeunesse (une première fois réunies à l’initiative des jeunes du NPA) qui a chamboulé le plan d’action ou plutôt d’inaction des centrales, en appelant à la mobilisation dès le 9 mars. Jour où, divine surprise, on put se rendre compte que des dizaines et dizaines de milliers d’étudiants et de militants de tous horizons répondaient présents, dans une ambiance électrique. C’est ensuite la Nuit Debout qui, à partir du « 32 mars », a permis au mouvement de prendre des airs d’agitation permanente et de dominer l’actualité alors que rien n’était organisé en termes de grève et de grande manifestation entre le 9 avril (un samedi) et le 28 avril...
La FSU a été extrêmement passive, alors que de gros efforts de pédagogie étaient nécessaires dans le monde de l’éducation. Pire du pire : la stratégie de la fédération CGT cheminote, qui décida très tôt de dissocier la lutte pour la convention collective de la mobilisation contre la loi El Khomri, tout en proposant aux cheminots une improbable succession de journées saute-mouton...
Ces tactiques sont assez désastreuses du point de vue des intérêts du mouvement, même si elles ne sont pas trop visibles pour l’immense majorité des salariés et même la plus grande partie des militants syndicaux. Au contraire, Martinez et la direction de la CGT (dans une certaine mesure aussi celle de FO) se sont taillés une image de dirigeants intransigeants et combatifs auprès de nombreux militants en appelant au « retrait total » et à la « généralisation des grèves ». D’autant que les médias bienpensants et les socialistes stigmatisent de façon de plus en plus hargneuse la « stratégie révolutionnaire » et « le durcissement irresponsable » de la CGT. Martinez n’étant par ailleurs pas directement responsable de la politique de la fédé cheminote, qu’il aurait même critiquée vertement. Car celle-ci a ses propres calculs bureaucratiques.
Un ras-le-bol général
La mobilisation n’a pas encore pu gagner le retrait de la loi. Mais des dizaines de milliers de militantes et militants ne lâchent rien, parce qu’ils savent que la colère continue de balayer le pays et de travailler la société. Elle n’est certes pas aussi explosive qu’on aurait pu le souhaiter, mais elle est profonde politiquement. Elle achève d’isoler le gouvernement.
Au-delà des sondages qui donnent le rejet de la loi à 70 %, malgré toute la propagande gouvernementale, patronale et médiatique en sa faveur, les manifestants et grévistes s’insurgent contre cette réforme libérale stratégique avec l’envie, la rage au cœur, de « faire payer aux socialistes toutes leurs saloperies » depuis quatre ans et l’idée, en plus, de raccrocher au train général leurs revendications locales et catégorielles : jeunesse précarisée, hospitaliers épuisés par le sous-effectif, postiers essorés par les réorganisations permanentes, salariés du privé écœurés des bas salaires et des pressions patronales, etc.
La mobilisation dans son esprit est très éloignée des vieux réflexes corporatistes, comme le montrent les multiples initiatives que prennent des équipes syndicales, depuis le début du mouvement, pour faire converger leurs luttes avec d’autres secteurs, cheminots, étudiants, intermittents...
Le martial-libéralisme
La mue du gouvernement Hollande-Valls est en train de s’achever. Isolé politiquement, à tout point de vue, il a dû bâillonner sa propre majorité parlementaire avec le 49.3. Désormais, sa base sociale semble se résumer au Medef (et encore) ! Les gouvernements de droite, eux, sont bien plus solidement ancrés dans la société, puisqu’ils ont en général avec eux non seulement le grand patronat, mais aussi des millions de petits patrons et de petits-bourgeois « indépendants » et bien réactionnaires. Hollande et Valls servent la soupe au grand patronat, mais n’ont même pas droit aux remerciements : le Medef se prépare déjà à accueillir d’ici un an la droite triomphante. Valls n’a même pas pu faire voter sa loi avec l’aide du « centre », par une majorité d’occasion. D’où cet immense aveu de faiblesse : le 49.3. Alors que Hollande dénonce le « blocage du pays par une minorité », lui-même n’a plus qu’une petite minorité derrière lui... et tout le pouvoir d’Etat quand même !
Cet épisode du 49.3 en dit long sur les institutions de cette « République » qui, à travers les règles parlementaires, les pouvoirs du président, les modes de scrutin, les cascades de nominations par en haut à des postes prestigieux et lucratifs, sont faites pour préserver le pouvoir d’un président lessivé, haï, méprisé, et que personne n’imagine présent au second tour de la présidentielle de 2017. Il en dit long aussi sur l’état du PS. Peut-être assistons-nous cette fois à sa mort, en tout cas celle du PS tel qu’on le connaissait depuis les années 1970. Par leur acharnement à faire passer à tout prix cette loi El Khomri, Valls et Hollande dansent sur son cadavre. Si Hollande se représente aux présidentielles, l’explosion du parti sera peut-être différée à l’après-débâcle de 2017, sinon, les couteaux et les hachoirs seront sortis dès décembre 2017. D’où les petits jeux de ces aventuriers qui voudraient détruire le vieux parti social-traître pour laisser place à un parti démocrate à l’américaine où à on ne sait quelle nouvelle machine partidaire bourgeoise : Valls rêve d’une « maison des progressistes », Macron entend (et attend) des voix à Orléans.
Les dirigeants socialistes se coulent ainsi dans la dérive autoritaire que connaissent à peu près tous les Etats dits « démocratiques » depuis quelques années. Il était déjà très exagéré de parler d’un « social-libéralisme » supposé remplacer la vieille social-démocratie en Allemagne, en Espagne, en Angleterre ou en France. Ce « social-libéralisme », par exemple sous Jospin entre 1997 et 2002, était certes libéral (privatisations massives, développement des contrats de travail précaires, financiarisation de l’économie) mais fort peu social. Mais même cela est désormais trop « à gauche » pour le pouvoir socialiste. Il est passé au martial-libéralisme pur et dur. D’un côté ces gens fêtent les 80 ans du front populaire en libérant le droit des patrons à licencier et exploiter. D’un autre côté, ils libèrent le droit des flics à cogner.
Car en cette époque d’état d’urgence, la répression policière a atteint des niveaux de violence inédits depuis de nombreuses années. Les batailles rangées entre militants autonomes et policiers ne doivent en effet pas masquer que, adeptes ou pas du « Black Block » dans la rue, la police a pour consigne la « fermeté », soit entretenir sciemment une stratégie de la tension dans toutes les manifestations, brutaliser les manifs et les blocages de route et de dépôts, et préventivement gazer, matraquer et arrêter les dangereux lycéens qui mettent en place deux-trois poubelles devant leur lycée, jettent deux-trois œufs sur les légionnaires surarmés alignés face à eux. Hollande assume ce martial-libéralisme, même si Valls pense manifestement que ses coups de menton mussoliniens le prédisposent davantage que les airs ronds de son chef à incarner cette orientation. Pour eux, elle est le complément naturel d’une politique libérale agressive.
Renaissance de notre force ?
Mais le mouvement ne cède pas face à leur 49.3 et à leurs matraques. Gagnera ? Gagnera pas ? Il serait irresponsable de se dire que le chemin est tout, le but pas si important... Les travailleurs ont besoin de victoires pour stopper la dégringolade qu’ils subissent, comme pour reprendre confiance en eux et se « refaire une conscience » (de classe). Mais ce mouvement a déjà changé quelque chose.
Il a sans doute donné le coup de grâce à ce qui restait de crédit aux socialistes dans les couches populaires. Il n’y a cependant aucune perspective électorale alléchante en vue. 2017 devrait bel et bien voir le retour de la droite au pouvoir, une droite surexcitée dans sa surenchère ultralibérale. Il n’y a guère de raisons non plus d’imaginer que les scores électoraux du FN devraient dégonfler. C’est cruel à dire : nombre d’électeurs populaires se préparant à voter FN voient sans doute dans les « événements » actuels une raison de plus d’être en colère contre l’injustice sociale... et le désordre, la « chienlit » des casseurs et des bloqueurs ! Consolation et espoir pour l’avenir : la dénonciation du gouvernement vient cette fois, enfin, d’un mouvement social, sur sa gauche.
Cette absence de perspectives électorales, épicée d’une défiance plus profonde que jamais dans les institutions, peut décourager certains. Mais elle libère aussi l’imagination. Dans les manifs, les AG de grévistes, les Nuits Debout, les discussions sont radicales. Nous ne détaillerons pas davantage la réflexion ici : notre revue y reviendra dans un dossier prochain. Mais si par exemple la Nuit Debout à Paris et ailleurs n’a pas pris les dimensions des occupations de place espagnoles ou grecques, ni leur signification sociale, évidemment, et si elle est copieusement moquée par les bien-pensants, les cyniques, les « raisonnables », elle est pourtant un digne symptôme de l’ensemble du mouvement contre la loi. Elle lui rend de grands services en plantant le drapeau de la lutte de façon permanente, en favorisant les discussions (même avec... Martinez lui-même !) et la rencontre des secteurs en lutte.
Et le mouvement social le lui rend bien : il lui donne une âme en lui apportant un ancrage dans les réalités sociales. Pourquoi ce supposé ramassis de bobos déconnectés du monde du travail a-t-il d’ailleurs conquis intérêt et sympathie auprès d’assez larges couches de la population, avec (malgré) ses (parfois) interminables débats sur d’autres mondes possibles ? C’est que depuis deux mois la radicalité n’est plus l’apanage des politiciens de la bourgeoisie qui rivalisent de projets libéraux, racistes et autoritaires toujours plus incendiaires. L’imagination anticapitaliste semble bien de retour.
Yann Cézard
dans la revue L'Anticapitaliste n° 77 (juin 2016)
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[1] Cet article a été terminé avant le tournant dans la mobilisation qu’a signifié l’entrée en grève, dans la semaine du 23 mai, de nombreux secteurs du salariat.