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/ Contre le racisme et l’islamophobie : un combat de classe
Cet été, le gouvernement a mené une énième campagne islamophobe autour de l’interdiction du « burkini » sur les plages. Nous avons par ailleurs assisté à des meurtres commis par des policiers, des racistes et même à des manifestations anti-migrants. Le racisme est toujours bel et bien présent dans toute la société, que l’on soit un jeune Noir, un commerçant chinois, une femme voilée ou un travailleur migrant.
Malheureusement, ces actes racistes ne sont pas combattus frontalement et conjointement. Il suffit de voir comment le meurtre raciste de ce père de famille à Aubervilliers n’a pas suscité de soutien massif de la part des organisations/groupes antiracistes et des organisations/ groupes révolutionnaires.
Cela montre l’ampleur des responsabilités des militantes et militants antiracistes et révolutionnaires. Comment mobiliser l’ensemble de notre classe pour la lutte contre les oppressions raciales ?
Le racisme : un système d’oppression moderneLe racisme comme système d’oppression est une construction moderne. Considérer qu’il y a une hiérarchie et une domination raciales – plus ou moins claires et visibles dans la société – entre des groupes d’individus est apparu avec le mode de production capitaliste. Bien que des formes de xénophobie aient existé dans les sociétés précapitalistes, elles ne constituaient pas une justification à une domination sociale. Ainsi, l’esclavage dans les sociétés antiques, par exemple, n’était pas justifié par des caractéristiques vues comme inhérentes à celles et ceux qui étaient réduits en esclavage. Ce dernier se justifiait par le fait d’avoir été vaincu et fait prisonnier. Le même principe était globalement appliqué dans le monde médiéval : les esclaves étaient issus des garnisons faites prisonnières, de régions conquises ou de régions non évangélisées ou islamisées. Les statuts d’esclaves médiévaux étaient multiples, mais aucun ne retirait à l’esclave la condition humaine qui impliquait d’avoir une « âme ». Contrairement aux idées reçues, l’esclavage dans les sociétés précapitalistes n’était pas justifié par le racisme. En revanche, la servitude, l’esclavage et la traite des Noirs et des Amérindiens, qui débuta au XVIe siècle, se trouvèrent légitimés par des théories racistes. Ce fut l’existence préalable de l’esclavage, intégré au capitalisme mondialisé naissant, qui permit de justifier le racisme, et non pas l’inverse.
Le racisme moderne vit le jour en même temps qu’un nouveau système de production. Le capitalisme naissant avait besoin, pour se développer, d’exploiter les terres conquises. Initialement, les colons tentèrent d’exploiter la main-d’œuvre locale, mais les différentes populations indigènes furent très rapidement décimées par le travail forcé et les maladies transmises par les conquérants européens. Qui plus est, il était interdit de les réduire en esclavage, notamment dans les colonies espagnoles suite à la controverse de Valladolid.
Des travailleurs européens « sous contrat » étaient également envoyés dans le « Nouveau Monde ». En échange de la prise en charge de leur trajet, ils devenaient des travailleurs serviles qu’on pouvait battre et exploiter pendant trois ou cinq ans avant de les libérer. Ce furent plus 350 000 personnes qui arrivèrent dans les colonies anglaises ; mais ils n’étaient pas privés de leur statut d’Anglais et ne pouvaient donc pas être esclaves à vie. Par ailleurs, la lutte de la classe ouvrière anglaise commençait à prendre de l’ampleur et empêchait les propriétaires de plantations de traiter ainsi des travailleurs anglais – qui plus est armés – sans devoir faire face à des réactions.
Dans les colonies anglaises et espagnoles, dès la fin du XVIIe siècle, le choix fut donc fait de généraliser la traite d’Africains de l’Ouest. Entre 1640 et 1800, plus de quatre millions d’Africains furent embarqués de force sur des bateaux en direction de l’Amérique, et plus du 10 millions au XVIIIe siècle.
Les Africains arrivés dans le « Nouveau Monde » à la fin du XVIIe siècle se virent imposer le statut d’esclave. La traite des Africains se généralisa non pas à cause de la couleur de leur peau, mais parce que ceux-ci devinrent au XVIIIe la main-d’œuvre la plus rentable pour les plantations. Les théories relatives aux distinctions entre races résultèrent donc d’une volonté de formaliser cette inégalité entre esclaves et non-esclaves, et de justifier le colonialisme.
Le racisme culturel
Le racisme biologique n’est largement plus admis aujourd’hui. Entre autres choses, c’est une conséquence de l’extermination, durant la Seconde Guerre mondiale, de millions de personnes selon des critères raciaux (Juifs, Tziganes). Mais c’est également une conséquence des luttes d’émancipation des peuples colonisés, et des luttes antiracistes des Afro-Américains dans les années qui suivirent.
Le racisme biologique a quasiment disparu, certes, mais il a laissé place à un nouveau type de racisme, que nous pourrions qualifier de « culturel ». Les divisions entre groupes d’individus ne se référent plus à l’appartenance à des races hiérarchisées entre elles, mais à des cultures différentes, elles-mêmes hiérarchisées. Les impérialismes n’envahissent plus certains pays au prétexte que leurs peuples sont biologiquement inférieurs : ils se justifient en présentant leurs cultures comme inférieures à la culture occidentale. Ils envahissent le Mali pour « sauver les femmes », ils bombardent l’Irak et la Syrie pour « libérer les peuples de leurs dictateurs », etc. La thèse change, mais elle vise toujours le même but : dominer économiquement et politiquement les peuples et les travailleurs à travers le monde, en fonction des besoins capitalistes.
Mais elle sert également à mettre sous tension une partie de la population et des travailleurs des pays européens. Des millions de travailleuses et de travailleurs ont un statut particulier, celui d’ennemi intérieur, de menace permanente. En France comme aux USA, le racisme justifie encore la position d’infériorité sociale et politique des descendants de colonisés et des descendants d’esclaves. La construction idéologique raciste a notamment cette finalité : elle permet de maintenir des millions de femmes et d’hommes dans une situation d’exception permanente, et de les faire grandir dans l’idée que leur place est celle qui leur est désignée d’entrée de jeu, que cette place est à part, et qu’elle le restera. La perspective d’améliorer sa vie se révèle être une illusion, et le mythe de l’« égalité des chances » apparaît comme une sinistre fiction. Le racisme contemporain permet de légitimer cette situation, de la justifier non seulement à celles et ceux qui la subissent mais aussi aux autres. Par exemple, la défense des policiers ayant commis des meurtres racistes est souvent la même : si les victimes couraient, c’est qu’elles avaient quelque chose à se reprocher, ou bien elles s’étaient montrées violentes. Somme toute, de telles justifications répandent systématiquement l’idée que si les victimes des crimes policiers sont majoritairement non-blanches, ce serait à cause de leur supposée nature violente ou délinquante. Elles reproduisent la division entre travailleurs « français » et travailleurs non français « d’apparence » (pour reprendre l’expression consacrée), en insistant sur l’incompatibilité culturelle supposée des uns et des autres. Cela conduit à unir ceux qui devraient être opposés (patrons et travailleurs dits « français »), et à diviser ceux qui devraient être unis (travailleurs dits « immigrés » et « français »). Cela va même plus loin : la division raciste pousse à entretenir la tenace illusion d’une « nation » commune, bâtie sur une tradition, des valeurs, une culture communes ; comme si la famille Mulliez partageait la même vie que la caissière d’Auchan ou le vendeur de Décathlon !
L’islamophobie : un aspect central du racisme aujourd’hui
L’islamophobie actuelle est un exemple évident de racisme culturel. Les travailleurs et travailleuses « musulmans d’apparence », visés auparavant par un racisme biologique qui légitimait la colonisation, sont visés aujourd’hui par un racisme culturel justifiant leur mise au ban de la société. Avec des débats nauséabonds et des discriminations systématiques, les politiciens de la bourgeoisie exercent une pression permanente sur une partie des travailleurs et des travailleuses, afin qu’ils ne puissent ni se défendre, ni s’organiser avec d’autres travailleurs. Elle garantit aussi la reproduction sociale : les travailleurs ainsi discriminés restent dans des secteurs d’activités qui leur sont réservés. Ce n’est pas un hasard si l’islamophobie touche principalement les femmes : elle a ainsi forcé des milliers de femmes voilées à ne pas avoir d’activité professionnelle et donc à rester au foyer. En revanche, le voile est parfaitement accepté lorsqu’il s’agit des femmes de ménage...
L’islamophobie prend racine dans la volonté de la bourgeoisie de créer un ennemi extérieur et intérieur, une menace contre laquelle les travailleurs devraient s’unir avec ceux qui les exploitent. Les premiers débats sur le « problème musulman » sont apparus dès la fin des années 1970, dans une période de montée des luttes ouvrières animées par des travailleurs d’origine étrangère : Renault, Penarroya, foyers Sonacotra, Talbot pour ne citer que les plus connues. Ces grèves portaient des revendications générales (augmentation de salaires, arrêt des cadences infernales, contre les licenciements, libertés syndicales), mais aussi des revendications spécifiques liées au racisme que subissaient les travailleurs (évolution de carrière, arrêt des intimidations, fin des pots de vin, libertés de parole, etc.). Ces grèves se poursuivirent jusque dans les années 1980, en particulier dans l’automobile. Au même moment, les enfants de ces ouvriers – la « deuxième génération » – apparurent sur la scène médiatique, en se battant également contre le racisme et en lançant en 1983 une Marche pour l’Egalité et contre le Racisme.
Le changement de discours et de politique s’opéra dans les médias et à la tête de l’État. Des quotidiens nationaux firent leurs gros titres sur le « problème » de l’immigration, et cette thématique fut reprise par l’ensemble des partis institutionnels comme un sujet légitime. À travers les discours politiciens, la figure du travailleur immigré laissa peu à peu la place à des considérations sur un groupe social désigné par des caractères ethnico-religieux. Le gouvernement appliqua la politique de l’« immigration zéro », en expliquant qu’il fallait réduire l’immigration si l’on souhaitait intégrer les étrangers déjà présents ; il s’agissait surtout de diffuser un discours islamophobe à l’encontre des travailleurs en lutte. Le 27 janvier 1983, alors que les grèves se poursuivaient dans les usines – notamment à Renault Flins –, le Premier ministre PS Pierre Mauroy déclara au journal Le Monde : « Les travailleurs immigrés sont agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises ». Le 10 février 1983, l’ancien ministre du Travail (PS) Jean Auroux affirma au micro de France Inter : « Lorsque des ouvriers prêtent serment sur le Coran dans un mouvement syndical, il y a des données qui sont extra-syndicales. […] Un certain nombre de gens sont intéressés à la déstabilisation politique ou sociale de notre pays parce que nous représentons trop de choses en matière de liberté et de pluralisme ».
La ressemblance avec les discours d’aujourd’hui n’est absolument pas fortuite. On retrouve ici la rengaine du « problème » intérieur musulman, censé servir les intérêts d’une force extérieure qui en veut au mode de vie français. Pourtant, on remarque bien à quel point le « problème musulman » a été créé par ceux qui nous gouvernent.
Le racisme, quelle que soit sa forme, est un rouage de la société capitaliste ; le grand patronat a intérêt à ce qu’existe une catégorie de travailleurs précarisés, subordonnés et fragilisés à tous les niveaux. Il s’agit de diviser, pour que des travailleurs combattent d’autres travailleurs et se rallient à leur bourgeoisie en se plaçant derrière le drapeau de leur pays ou de leur « civilisation », contre les travailleurs voisins. Il faudra donc, pour détruire le capitalisme et le racisme, détruire ces barrières entre les travailleuses et les travailleurs. Le combat contre le racisme n’est pas un combat « moral » ou « pour plus tard » : c’est un aspect central de notre stratégie pour renverser la société. Lutter contre toutes les formes de racisme, et donc contre l’islamophobie, c’est s’attaquer à une pièce maîtresse de la domination bourgeoise.
Lutter contre le racisme, cela doit impliquer de prendre en compte la dimension de classe de son vécu. En France comme aux USA, celles et ceux qui subissent le racisme sont principalement des travailleuses et des travailleurs. Pour prendre l’exemple d’un conflit social récent comme le mouvement contre la loi Travail, certains courants prétendant représenter les populations issues de l’immigration sont tentés de le désigner comme un mouvement social « blanc » ; pourtant, la réalité est plus complexe quand on prend le temps d’examiner les secteurs qui ont été à l’avant-garde de la mobilisation. Les cortèges et les assemblées générales de cheminots ont fourni un aperçu de la pluralité de la classe ouvrière. Et il convient également d’évoquer la mobilisation dans la jeunesse, avec notamment l’irruption déterminante sur le terrain social des lycéens, dont de nombreux cortèges étaient composés en bonne partie de jeunes confrontés au racisme.
Cette dimension de classe nécessite de développer une orientation antiraciste qui soit elle-même de classe, affirmant que ce sont les travailleurs – dans toute leur diversité, quels que soient leur genre, leur couleur de peau, leur orientation sexuelle – qui ont la capacité de mettre fin non seulement aux oppressions, mais aussi à la société capitaliste qui les reproduit. Ce rôle central des travailleurs et de la classe ouvrière ne relègue pas au second plan les luttes contre les oppressions ; au contraire, la nécessaire unification de notre classe pour renverser ce système les place au premier plan.
Mikha Takfarinas