Grève générale en Inde, le 2 septembre 2016 |
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/ Grève générale : une perspective actuelle ?
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Après l’affaire des « chemises » d’Air France, Valls racontait à qui voulait l’entendre que la combativité ouvrière était au plus bas et nous étions très loin d’une explosion générale. Pourtant, la mobilisation contre la loi Travail du printemps dernier a concrétisé le réveil d’une combativité collective des jeunes et des travailleurs, et a constitué une première réponse à la multitude de mesures antisociales prises par le gouvernement PS, et restées jusque-là sans réponse d’ensemble. Un joli pied de nez à tous ceux qui enterraient notre classe, ses capacités de résistance et l’espoir de voir renaître un nouveau Mai 68 !
Qu’est-ce que la grève générale ?
« Ainsi que tout marxiste le sait, la grève générale constitue l’un des moyens de lutte les plus révolutionnaires. La grève générale n’est possible que lorsque la lutte des classes s’élève au-dessus de toutes les exigences particulières et corporatives, s’étend à travers tous les compartiments des professions et des quartiers, efface les frontières entre les syndicats et les partis, entre la légalité et l’illégalité, et mobilise la majorité du prolétariat en s’opposant de façon active à la bourgeoisie et à l’État » : comme le souligne Léon Trotsky [1], la grève générale a pour caractéristique d’être une grève regroupant des travailleurs de différents secteurs de l’économie et dont la finalité, les buts sont interprofessionnels. La participation conjointe du secteur privé et du secteur public entraîne une paralysie non seulement des usines mais aussi de toute une série d’institutions de l’État : chemin de fer, énergies, etc.
Surtout, la grève générale est une grève qui s’inscrit dans la durée : parce qu’elle libère de façon provisoire des contraintes matérielles, des pressions sociales ou encore familiales, et parce qu’elle dégage du temps pour penser et s’organiser, elle constitue un moyen essentiel d’élever chez les jeunes et les travailleurs la conscience de leurs intérêts communs, opposés à ceux des capitalistes, et d’accroître la possibilité pour les salariés de remettre en cause la toute-puissance de ces derniers. Elle est le processus par lequel la classe ouvrière, en cherchant à transformer les circonstances, se transforme elle-même, devient capable de diriger la société.
Enfin, parce que les travailleurs sont obligés de s’associer pour régler les problèmes avec leur patron ou avec le gouvernement, la grève générale se distingue par son caractère particulièrement collectif. C’est cette nécessité d’étendre la grève que redoute le plus la classe dirigeante, parce qu’elle représente une menace non seulement en termes de profits, mais aussi du point de vue de la confiance en sa propre force qui se développe dans la classe ouvrière.
Ainsi, même si la participation des travailleurs à cette grève n’est pas de 100 %, la grève générale est caractérisée par une atmosphère d’affrontement global entre les classes, entre la bourgeoisie dans son ensemble et la classe ouvrière dans son ensemble. C’est pourquoi la grève générale est au cœur d’une stratégie révolutionnaire, du moins dans les pays où les travailleurs salariés sont la majorité de la population.
Douce utopie et nostalgie ?
Pour les uns, la classe ouvrière serait trop éclatée et trop fragmentée pour porter de telles perspectives ; pour les autres, elle aurait tout simplement disparu et le prolétariat aurait cédé la place au « précariat », sorte de masse hétérogène tant politiquement que socialement.
Il est vrai que dans les vieux pays capitalistes, la part d’ouvriers d’usines dans la population active a sensiblement baissé, mais le bilan est bien différent d’un point de vue international. Les délocalisations de nombreuses entreprises n’ont pas causé une disparition mais un redéploiement mondial de l’industrie depuis les années 1970, et de nombreux bastions ouvriers ont vu le jour dans les pays du Sud.
De plus, la prolétarisation de paysans, d’artisans ou d’éléments issus d’autres classes sociales se poursuit tous les jours. Un grand nombre d’activités de commerce ou de services sont « industrialisées », et le travail y ressemble de plus en plus à du travail à la chaîne, comme dans la restauration rapide, la grande distribution ou encore les centre d’appel.
En fait, la classe ouvrière est aujourd’hui plus nombreuse que jamais. Rien qu’en Corée du Sud, il y a aujourd’hui plus de travailleurs salariés que dans le monde entier à l’époque de Marx. La classe ouvrière constitue aujourd’hui entre 80 et 90 % de la population dans les pays les plus industrialisés, et presque la moitié de la population mondiale.
On ne peut bien sûr pas nier que cette classe ouvrière en mutation est largement fragmentée, émiettée et traversée par d’importantes divisions. Elle travaille autant dans le secteur privé que dans le secteur public, avec des statuts et des conditions de travail très divers ; elle enchaîne bien souvent les contrats précaires à durée déterminée, les temps partiels et ne croise parfois jamais plus d’une dizaine d’autres salariés sur son lieu de travail. Cette situation suffit-elle à évacuer l’idée qu’une grève générale est encore d’actualité ? Pas si sûr…
D’abord, paradoxalement, l’aggravation des conditions de vie et de travail pousse à une certaine homogénéisation des préoccupations, entre différents secteurs salariés mais aussi à travers les frontières. Parce que le chômage et la précarité sont le lot commun ou à venir de la jeunesse partout dans le monde, les luttes des uns servent d’exemple à d’autres. Ce n’est pas un hasard si les révolutions qui ont eu lieu dans le monde arabe, et au sein desquelles les jeunes ont joué un rôle central, ont trouvé un écho particulièrement important dans la jeunesse des pays du nord de la Méditerranée. Les mouvements d’occupation de places, par exemple, là où ils ont été les plus importants (Égypte, Grèce), ont été largement impulsés par les jeunes précaires. Cette forme de mobilisation est parfois présentée comme profondément actuelle, en opposition au mouvement gréviste, mais en réalité elle ne représente qu’un aspect de mobilisations bien plus larges dans une période d’expression de plus en plus forte de la colère accumulée par notre classe : en Égypte, en 2011, l’exceptionnelle mobilisation politique pour l’éviction de Moubarak n’a pas été seulement marquée par l’occupation de la place Tahrir, mais également par le rôle déterminant de grandes grèves comme celle du canal de Suez.
Surtout, on assiste ces dernières années à une poussée de combativité chez de nouvelles générations de salariés précaires, dans des secteurs traditionnels du mouvement ouvrier (les cheminots en 2014, ou plus récemment dans la mobilisation contre la loi Travail), mais aussi dans des secteurs plus éclatés. Aux Pays-Bas par exemple, en 2010, cela a été le cas d’une grève de 105 jours des personnels de nettoyage, dans des entreprises de sous-traitance.
Plus récemment, à Londres, les travailleurs de Deliveroo se sont battus pour leurs salaires ; à ces coursiers qui parcourent en solitaire la ville à vélo, l’entreprise a imposé un statut d’auto-entrepreneurs, les faisant ainsi devenir leurs propres exploiteurs : chaque course étant payée une misère, ils s’imposent des cadences de travail infernales pour percevoir un salaire décent, et ce sans aucune obligation légale de la part de Deliveroo de leur accorder des congés maladies, des congés payés, etc. Cette lutte a vraisemblablement donné confiance, puisque quelques jours après, les travailleurs de UberEATS, entreprise concurrente, ont eux aussi annoncé qu’ils allaient multiplier les grèves sauvages pour des revendications similaires.
Alors, quels obstacles ?
Les obstacles à la généralisation des grèves ne sont peut-être pas tant à chercher du côté de la sociologie de notre classe que de celui de ses organisations. Seuls les révolutionnaires et quelques militants « lutte de classe » ont œuvré, ces derniers temps, à regrouper les luttes isolées et à les unifier. Pire, les directions réformistes ont organisé leur éclatement, ont appelant à des grèves au coup par coup, en combattant les cadres d’auto-organisation, seuls à même de faire prendre conscience aux travailleurs en lutte de leur force collective, et elles n’ont cessé de collaborer avec les classes dominantes par le jeu du « dialogue social ».
En large partie, c’est sans doute ce qui explique le fait que la mobilisation contre la loi Travail ait été minoritaire du point de vue de la participation active – alors qu’elle était majoritaire dans l’opinion –, qu’elle n’ait pas abouti à une explosion généralisée et, surtout, qu’il n’y ait jamais eu plus de deux secteurs à entrer en lutte simultanément.
Pourtant, la mobilisation du printemps a résulté d’un phénomène déjà à l’œuvre ces dernières années, et qu’elle a poursuivi : des jeunes et des travailleurs de tous secteurs ont fait l’expérience de la grève, ont emmagasiné des forces militantes, aiguisé leur détermination et renforcé leur compréhension de la nécessité d’un « tous ensemble » !
Emma Paris 1
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[1] TROTSKY, Léon, Où va la France ? Pantin : Les bons caractères, 2007.