Suite à la crise du Covid-19 dans l’État espagnol, deux conclusions s’imposent : d’une part, les politiques de privatisation et de casse de la santé ont coûté des vies ; et d’autre part, le capital se soucie peu de la couleur politique des gouvernements quand il s’agit de sauver ses profits.
L’injection de 3,8 milliards de dollars dans le système national de santé pour les communautés autonomes, annoncée par le chef du gouvernement Pedro Sánchez le 19 mars, n’est qu’une demi-mesure. Le secteur de la santé privée n’a été sollicité que lorsque les hôpitaux publics se sont effondrés, et il a maintenant l’audace de demander des compensations à l’État !
Les politiques de coupes budgétaires, mises en œuvre aussi bien par le Parti socialiste (PSOE) que par le Parti populaire (PP, droite) quand ils se sont succédé au gouvernement, ont démantelé le système de santé publique : réduction des lits (10,7 % de moins depuis 2008) – au point de n’en avoir plus que 297 pour 100 000 habitants, alors que l’OMS en recommande entre 800 et 1 000 –, réduction des effectifs (perte de plus de 12 000 professionnels entre 2009 et 2014), réduction des dépenses de santé (de 6,77 % du PIB en 2009 à 5,9 % aujourd’hui, contre 7,5 % en Europe)... Avec un niveau élevé de précarité, les professionnels de la santé ont mis leurs vies en danger. Au 16 juillet, l’État espagnol comptait 52 470 décès.
Une politique de suspension temporaire de travail au service des patrons
La crise s’est traduite par un flot de licenciements dès les deux premières semaines de la période d’état d’alerte, fin mars. Ces licenciements sont facilités par la réforme du droit du travail de 2012. Ils ont été habilement justifiés par le gouvernement, les employeurs et les médias, dans les chaînes d’hôtels comme le groupe Meliá, dans les compagnies aériennes Air Europa, Vueling et Ryanair, dans les entreprises Nissan, Seat, Ford, Opel, Fujitsu, Kostal Eléctrica, Cortefiel et Inditex, chez des sous-traitants des cantines scolaires, du nettoyage des écoles et même du soutien scolaire de Madrid, d’Andalousie et d’Euskadi...
Le mythe de la conciliation de classe a été alimenté par la ministre du Travail, Yolanda Díaz, membre de la coalition de la « gauche radicale » Unidas Podemos (UP, elle-même alliée gouvernementale du PSOE). Lors d’une réunion le 19 mars, les organisations patronales CEOE et Cepyme, ainsi que les directions des syndicats CCOO et UGT, ont convenu de présenter au gouvernement une série de mesures pour faire face aux conséquences de la pandémie dans le monde du travail. La réponse de celui-ci a été de permettre aux entreprises de profiter plus facilement d’une suspension de travail temporaire, mesure qui concerne 1,8 million de travailleurs et de travailleuses, et de rendre les contrats plus flexibles, au gré des patrons, jusqu’à la fin du mois de septembre.
Le gouvernement PSOE-UP n’a pas cessé de parler de l’importance du confinement et de pointer l’irresponsabilité des voisins qui sortent faire un tour à vélo... Mais personne n’a rien dit à propos de l’irresponsabilité des patrons des mines, de Konecta, d’Airbus, de Mercedes-Benz, de Consetino ou de Correos, des propriétaires terriens de Huelva ou d’Almeria, et de bien d’autres encore, qui ont forcé les salariés à reprendre leur travail, dans des secteurs d’activité essentiels ou non.
Dans ce cas-là, peu importe que des centaines ou des milliers de travailleurs et de travailleuses soient entassés au même endroit, huit heures par jour. C’est comme si miraculeusement, ils étaient immunisés, non contagieux et ne propageaient pas le virus !
Malgré le rôle conciliateur des directions syndicales, il y a eu cependant des résistances. Le 16 mars dans l’usine Mercedes de Vitoria, et le 27 mars dans l’usine Sidenor au Pays basque, les ouvriers ont arrêté la production et manifesté pour exiger la fermeture. Chez Airbus, la CGT a appelé à une grève illimitée à partir du 30 mars, même s’il s’agissait davantage d’une position propagandiste que d’une véritable action. La seule manifestation autorisée durant l’état d’alerte a été celle des travailleurs et des travailleuses de Glovo et Deliveroo à Madrid, le 18 avril.
Ce n’est que le 30 mars, profitant de la période des vacances, que le gouvernement a demandé d’arrêter la production dans les « secteurs non essentiels »... mais pour une durée de 9 jours.
Un autre atout du patronat a été le « congé payé récupérable » : les entreprises pouvaient librement réduire leurs effectifs à un groupe restreint de personnels « essentiels » pour maintenir un niveau d’activité « indispensable », les autres devant alors rembourser à leurs employeurs les heures non travaillées.
Une fausse interdiction des licenciements
Le 27 mars, Yolanda Díaz a annoncé « l’interdiction des licenciements » en déclarant : « Personne ne peut profiter de cette crise pour licencier des gens. » Voilà qui a fait les gros titres de la presse... Mais les lignes en petits caractères du décret disent autre chose : si les licenciements liés à l’état d’alerte sont certes injustifiés, les entreprises peuvent toutefois bien licencier, à condition de verser l’équivalent de 33 jours de salaire par année travaillée, au lieu des 20 jours prévus précédemment. On est loin d’une mesure radicale !
IZAR