Vincent Fournier est postier, représentant départemental de la CGT FAPT dans les Yvelines, membre du CHSCT de Versailles et élu en commission consultative paritaire et au comité technique. Nourdine est postier à Asnières et représentant du personnel. Gaël Quirante est secrétaire départemental de Sud Poste dans les Hauts-de-Seine. Tous trois ont répondu à nos questions au sujet des poursuites judiciaires auxquelles ils doivent encore faire face.
A&R - Pourquoi êtes-vous actuellement poursuivis, et que risquez-vous ?
Vincent - Comme des millions d’autres, j’ai participé à la grève contre la réforme des retraites de décembre dernier. Avec mes collègues, nous avons fait 43 jours de grève reconductible. Nous avions aussi des revendications spécifiques à notre métier, des créations d’emplois que nous avons réussi à arracher à la direction. Pendant cette grève, nous nous sommes liés à d’autres secteurs, nous avons participé quotidiennement à l’AG interpro de Versailles, et évidemment nous nous sommes filé des coups de mains sur nos grèves respectives. Plusieurs rassemblements ont eu lieu devant des centres courrier et la Plateforme Industrielle du Courrier (PIC) sans aucun incident. Malgré tout, juste après la grève, La Poste m’a convoqué, avec quatre autres facteurs de Versailles, à un entretien avant sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Elle a organisé une gigantesque entreprise de mensonges et de manipulation en forçant d’autres collègues à faire de faux témoignages contre nous. Heureusement, c’était tellement scandaleux que nous avons pu faire éclater la vérité.
Ce 6 février, c’était la quatrième grève sur le centre depuis septembre 2019, la plus massive, pour s’opposer aux sanctions disciplinaires. Plus de 95 % des agents du centre se sont mis en grève et ont été nombreux à participer au rassemblement devant la direction. La Poste a alors dû fortement reculer. Trois collègues ont été « blanchis », le quatrième a reçu un simple blâme.
La direction a maintenu ses poursuites contre moi, avec une convocation à un nouveau conseil de discipline le 16 mars, le quatrième depuis fin 2015. Avec la crise sanitaire, il a été reporté au 31 août. J’ai reçu la notification d’une sanction de 3 mois de mise à pied sans salaire le 21 septembre.
Nourdine - Le 5 Juillet 2018, alors que nous étions en grève sur le département, je suis allé à une prise de parole en soutien au comité Adama pour appeler à la marche contre les violences policières. Les forces de l’ordre sont intervenues sans aucune raison, et j’ai été embarqué et placé en garde à vue. Mon interpellation a été hyper-violente : un policier a même tenté de me crever les yeux. Toute la scène a été filmée. Et en septembre 2019, j’ai de nouveau été mis en garde à vue, et déferré au tribunal. Le même policier qui voulait me crever les yeux m’a accusé d’avoir eu une attitude menaçante, d’avoir prétendument proféré des menaces à son encontre.
Le plus drôle, c’est que lorsque j’ai montré la vidéo de mon agression, l’IGPN m’a déclaré que le policier n’était pas identifiable et a classé la plainte sans suite. Avec cette plainte, il est parfaitement identifié, mais il n’y a toujours aucune réaction de la part de la justice. Suite à cette garde à vue, j’ai été placé un contrôle judiciaire, mais celui-ci se limitera à l’obligation de pointer au commissariat une fois par mois jusqu’à ma convocation au tribunal.
Gaël - La multiplication des procédures judiciaires et des convocations au commissariat vise à reprendre par la répression ce que La Poste et l’État ont perdu sur le terrain lors des 15 mois de notre grève. Nous avons réussi à mettre au centre du débat la question de la quantification de la charge de travail : ce travail qu’ils volent à chaque postier et postière grâce à leurs outils et algorithme. Nous avons aussi réussi à imposer l’intervention sur des centres de représentants syndicaux malgré leur licenciement. Moi, par exemple, j’ai conservé mes mandats, mon intervention et la possibilité de déposer des préavis de grève. C’est une jurisprudence importante, notamment pour tous ceux qui, victimes de répression syndicale, pourraient donc poursuivre leur intervention et déjouer ainsi l’objectif du licenciement.
Le but des poursuites, c’est aussi de faire planer la possibilité que le sursis devienne du ferme. C’est la logique du « mille-feuilles » : en multipliant les accusations de violences, qu’ils utilisent contre moi.
Concrètement, j’ai été condamné en première instance, le 18 décembre 2019, à 3 mois de sursis et 5 ans de mise à l’épreuve, uniquement sur les dires de deux cadres. J’ai fait appel de cette condamnation ; si je perds en appel, cela signifie que sur n’importe quel blocage ou piquet, ils pourront faire sauter le sursis.
Je suis aussi convoqué le 12 novembre, pour une action pacifique au ministère du Travail où, à la sortie, des dizaines de policiers s’étaient jetés sur moi avec une violence inouïe alors que nous étions rentrés sans la moindre effraction, sans le moindre contact ni la moindre violence. Mais l’État et La Poste n’ont rien à se mettre sous la dent me concernant, comme le montrent les images. Lors de ma garde à vue, j’avais appris qu’un vigile s’était plaint de violences, mais sans désigner personne précisément, donc j’étais ressorti sans aucune charge. Cela n’empêche pas que je suis convoqué au tribunal de police sans aucune information supplémentaire.
Et restent encore en suspens des convocations au commissariat, ainsi que l’appel faisant suite à une condamnation pour le prétendu vol de portable d’une cadre et des violences. L’échéance la plus importante, c’est une convocation au tribunal administratif le 15 octobre, suite au recours déposé pour exiger ma réintégration et casser la décision de mon licenciement ; une victoire en ce sens serait l’aboutissement de la grève que nous avons menée.
A&R - Vous êtes donc visés par une série assez impressionnante de procédures. Qu’est-ce qui fait que vous tenez le choc ?
N. - Quand tu n’es pas tout seul, ça change tout ! J’ai toujours reçu un énorme soutien de la part de mes collègues, de militants et de personnes que je ne connais même pas, qui ont été présents pour moi au tribunal, devant les commissariats ou au conseil de discipline. Cela joue énormément sur le moral et sur le rapport de force avec la direction ou la police. Quand tu es en conseil de discipline ou en garde à vue, et que tu entends des gens crier des slogans avec ton nom à l’extérieur, ceux qui sont en face de toi n’essaient plus de t’impressionner ou d’enfreindre tes droits.
G. - Ce qui a permis de tenir, c’est l’expression concrète du soutien des collègues, de leur refus de laisser attaquer les syndicats et le représentant départemental, qui a empêché la mise en place de réorganisations supprimant des emplois, détériorant la qualité de service rendu aux usagers et les conditions de travail. Face à cette attaque, les collègues se sont mis en grève illimitée pendant 15 mois. Ce qui a compté, c’est aussi le soutien extérieur, à travers un comité de soutien, à travers des personnalités comme le député Éric Coquerel mais aussi de représentants politiques et syndicaux, ou des personnalités publiques comme Stéphane Brizet ou Ken Loach, qui ont participé à un calendrier des facteurs en lutte. Enfin, il y a eu toutes celles et tous ceux qui ont versé à la caisse de grève, laquelle a été l’une des plus importantes pour un conflit à l’échelle locale : environ 1,4 million d’euros ont été collectés.
V. - C’est la détermination qui permet de tenir le choc. Il n’est pas envisageable de laisser La Poste gagner, faire ses réorganisations tranquillement, supprimer des emplois et mettre la pression aux collègues sans réagir. Quelles que soient les sanctions et les procédures à notre encontre, nous ne lâcherons rien !
A&R - Quel est votre sentiment sur l’intervention des forces de l’ordre au sein d’un conflit du travail ?
V. - Aussi incroyable que cela puisse paraître, on ne peut même plus compter le nombre d’interventions policières lors de nos grèves. Dès que nous nous réunissons dans les centres, La Poste fait intervenir la police pour tenter de réprimer, impressionner les collègues. C’est le bras armé du patronat ! Heureusement, cela ne réussit que rarement. Georges, un autre collègue, et moi-même avons même récolté une amende au début de la période de confinement pour être intervenus dans le centre courrier de Croissy-sur-Seine. La Poste osait prétendre sans rire que les interventions syndicales n’étaient pas admises, n’étant pas indispensables au fonctionnement du service !
G. - Les policiers viennent à la rescousse du patronat, et c’est d’autant plus vrai à La Poste, entreprise dite privatisée, mais dont l’actionnaire majoritaire reste l’État. Tout le monde a bien vu que La Poste n’a subi aucune sanction suite au scandale des 24 millions de masques volés en pleine crise sanitaire. Pendant notre grève, les forces de l’ordre sont intervenues parce que La Poste n’arrivait pas à maitriser ce conflit social, à le réduire à néant. Le but de ces interventions, de la multiplication de la répression policière et judiciaire, était de faire gagner La Poste. Ce qui fait que la victoire des postiers et postières des Hauts-de-Seine est d’autant plus exemplaire.
A&R - La Poste semble être une entreprise qui a fait le choix de réprimer de manière particulièrement dure. Pouvez-vous donner une idée de l’ampleur de son acharnement répressif ?
G. - De 2014 à 2017, sur la région parisienne et rien que pour les représentants SUD et CGT, il y a eu l’équivalent de 10 ans de mise à pied infligés par la direction. Aujourd’hui, on doit être bien au-delà de ce décompte. La répression a fait un bond avec la logique de privatisation, de suppression d’emplois et de non renouvellement des départs à la retraite, et avec la démultiplication des restructurations. La répression traduit un objectif, celui de faire des profits, mais c’est aussi la réponse de la direction face à une conflictualité importante, puisque sur les dernières années, il n’y a pas eu une journée sans un préavis de grève dans la distribution.
V. - Le fait d’être une entreprise publique au statut privé permet à La Poste de jouer sur les deux tableaux et d’infliger des sanctions complètement délirantes. Olivier Rosay, un syndicaliste de Paris, cumule 7 ans de mise à pied à lui seul, et Gaël vient de rappeler les 10 ans de mise à pied en cumulé.
N. - J’ai pris un mois de mise à pied, car des petits chefs que je ne connaissais même pas ont déposé des témoignages où ils écrivaient que j’avais crié trop fort dans le bureau. On m’accuse d’insolence et d’insubordination. Comme la police, La Poste fait des exemples pour calmer la contestation.
A&R – Quel est le souvenir militant qui vous a particulièrement marqués, qui vous a convaincus de faire ce que vous faites ?
N. - Quand nous avons appris le licenciement de Gaël, juste après avoir le début de cette grève qui allait durer 15 mois, nous avons décidé de nous rendre au siège de La Poste. Les grilles étaient fermées quand nous sommes arrivés. Sans même se poser de questions ni se concerter, tous ceux et celles qui le pouvaient ont escaladé la grille. Souvent pères et mères de famille, certains à deux doigts de la retraite, ils ont envahi et occupé tous les grands locaux de La Poste, la cour du ministère du Travail… Nous n’étions pas des milliers, mais nous savions par expérience qu’organisés et soudés, nous pouvions faire beaucoup. Au final, les dirigeants ont été obligés de se protéger avec des barbelés au-dessus des grilles !
G. – Le fait d’avoir baigné dans une famille de militants communistes espagnols, dans la mémoire de la répression franquiste, le fait d’avoir vécu avec les personnes que tu aimes le plus dans une ambiance qui était celle de la Fête de l’Humanité, du militantisme CGT et des fêtes du PC espagnol, tout cela constitue le terreau de mon engagement d’aujourd’hui. Le sort du peuple palestinien m’a également toujours révolté, et sa résistance admirable m’a convaincu de la possibilité de changer le monde.
A&R - Vincent, tu as animé plusieurs grèves dont l’épicentre était le bureau de Versailles : peux-tu nous en parler ?
V. - Ce qui ressort principalement de cette série de conflits, c’est qu’un certain nombre de collègues se sont distingués par leur volonté de se battre, et que certains sont devenus de vrais militants, déterminés à poursuivre la lutte sur l’établissement dans les mois et les années à venir. C’est bien sûr important qu’un maximum de collègues s’impliquent et s’organisent contre la politique de La Poste.
A&R - Nourdine et Gaël, vous avez été en première ligne durant ce conflit de 15 mois, qui a notamment permis d’obtenir le maintien de l’activité syndicale de Gaël malgré son licenciement. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
G. - C’est important, car avant que la décision administrative ne tombe, nous avions indiqué que si le licenciement était autorisé, nous allions continuer à intervenir dans les centres et que nous dirions bien fort à la ministre du Travail ce qui suit : ce ne sont pas la ministre ou les patrons qui déterminent qui peut représenter les postiers et les postières, mais les salariés eux-mêmes. Par la grève, les camarades ont imposé mon intervention, et cela a joué sur les décisions de justice de 2018 et 2019 : la durée du mouvement a eu un impact sur les juges.
N. - Pour moi et pour tous les postiers, c’est la preuve que la lutte paie ! Pendant la grève, les chefs ont menacé Gaël d’appeler la police quand il intervenait dans les bureaux. Les collègues ont toujours fait masse pour les faire sortir. Aujourd’hui, Gaël intervient tous les jours dans les bureaux, comme si Pénicaud n’avait jamais été là. Nous savons maintenant que grâce à la mobilisation, nous pouvons faire face, même à l’État.
A&R - Ces dernières années ont été marquées par une surenchère en matière de répression. Comment faire pour la combattre ?
V. - Les cas de répression se multiplient tellement, dans tous les secteurs du monde du travail (santé, Éducation nationale, RATP, entreprises privées), que nous nous sommes organisés en collectif interprofessionnel contre la répression. Après le premier succès du meeting du 16 septembre, nous allons essayer de maintenir la pression sur le gouvernement et le patronat pour les faire reculer. Nous avons ouvert une
caisse de solidarité en ligne. Les dons peuvent également être envoyés à cette adresse : Solidarité avec Vincent - CGT FAPT 78 - 24 rue Jean Jaurès - 78190 Trappes (chèques à l’ordre de « CGT FAPT 78 »).
G. - Il n’y a pas d’autres moyens : regrouper, regrouper et encore regrouper. D’où l’importance de ce Collectif contre la répression syndicale, à l’initiative des « quatre de Melles », de camarades de la RATP, de la SNCF, de La Poste, de l’Éducation nationale, de la santé, de l’Inspection du travail, de Pôle Emploi et d’étudiants. Ce collectif exprime la volonté de regrouper et de frapper ensemble. Le meeting du 16 septembre, parti des réprimés eux-mêmes, a été un vrai succès, avec la participation des comités de soutien des uns et des autres, de leurs syndicats. Maintenant, il faut faire perdurer ce cadre, donner de la visibilité, défendre ceux et celles qui sont très directement concernés par la répression, mais le fait de frapper ensemble et le regroupement sont la clé pour combattre la répression.
A&R - Quel est l’intérêt de la présence de militants révolutionnaires organisés dans les entreprises ?
V. - L’intérêt, à mon sens, est de pouvoir anticiper les conflits, de les organiser bien sûr, mais aussi d’utiliser des méthodes qui permettent de gagner et de permettre aux collègues en grève de s’affirmer (extension de la grève, AG, comités de grève, etc.).
N. - Quand j’ai commencé à travailler à La Poste comme facteur, il y avait déjà dans mon bureau des militants et des militantes qui avaient gagné de nombreux acquis. Pendant nos grèves, quand nous sommes allés faire des prises de parole dans les autres départements, j’ai pu par exemple discuter avec des collègues des Yvelines ou de Seine-Saint-Denis, qui ne pouvaient pas venir écouter les prises de parole parce que leurs chefs leurs disaient qu’ils n’avaient pas le droit. Je n’avais jamais entendu ça ! Ils m’ont raconté leurs conditions de travail, j’ai été choqué d’apprendre à quel point elles étaient pires que les nôtres. C’est dans ces moments-là que j’ai réalisé toute l’utilité de militer et de s’organiser en groupe soudé.
G. – La présence de militants révolutionnaires, cela permet d’avoir une certaine autonomie par rapport aux directions syndicales, d’éviter d’être sous leur pression, d’échapper à la logique de l’accompagnement des projets de La Poste et de bénéficier des accumulations d’expériences du mouvement ouvrier, dans une démarche de remise en question du pouvoir du patronat. C’est important d’avoir un groupe politique implanté dans plusieurs entreprises, qui ne soit pas juste le fruit d’une lutte à une période et à un moment donnés, mais qui cherche à faire la synthèse des luttes passées et futures. Et donc, à tout point de vue, c’est un élément essentiel d’avoir comme fil stratégique la contestation du patronat et la volonté de remplacer leur pouvoir par le celui des travailleurs.
A&R - Pour conclure : comment voyez-vous les perspectives de luttes dans le secteur des activités postales et logistiques ?
V. - Il n’y a malheureusement que peu de traditions de grèves nationales à La Poste. Mais les multiples réorganisations que la direction met en place depuis ces derniers mois, pour supprimer des emplois en profitant ouvertement de la crise sanitaire alors qu’elle a fait 2,3 milliards de bénéfices au premier semestre 2020, commencent à sérieusement échauffer les collègues. La direction de La Poste pourrait avoir des sueurs froides dans les semaines qui viennent. Par exemple, la CGT appelle à une mobilisation le 28 septembre, jour de la mise en place d’une nouvelle organisation nationale.
N. - La technique de la direction, c’est de nous bouffer un par un, chacun dans son coin, pour que chaque grève n’ait pas lieu en même temps que les autres, que nous ne puissions pas nous unifier et nous organiser partout en France. Toute l’année, nous entendons parler de grèves isolées, mais la solution, c’est de s’organiser pour taper tous ensemble. Nous sommes des dizaines de milliers de postiers et postières : tous unis, nous serions en mesure de reprendre tous les acquis qui nous ont été volés.
G. - L’avenir, c’est le regroupement. Dans les Hauts-de-Seine, nous l’avons vite compris, car les concentrations de salariés sont réduites : à Boulogne par exemple, alors que c’est pourtant le plus gros établissement, ils ne sont que 70 à 80 collègues. Donc pour pouvoir s’affronter au second employeur après l’État, il faut absolument s’unir, car même en étant vaillants, il est difficile de gagner à partir de petites unités. C’est une nécessité objective si nous voulons gagner. Un des derniers exemples en date : pendant la crise sanitaire, des postiers et postières en lutte ont pris l’initiative de constituer une plateforme qui regroupe des militants CGT et SUD, des non syndiqués, de plusieurs régions, de différents métiers et services, et l’ensemble des fédérations combatives. Mais les directions de SUD et de la CGT devraient aussi en être partie prenante.
Propos recueillis par Vanessa 92