Dix ans après, l’esprit de la révolution vit toujours en Tunisie


Manifestation le 14 janvier 2011 devant le Ministère de l'Intérieur à Tunis

Il y a quelques semaines des émeutes ont éclatées partout en Tunisie suite à l’annonce d’un confinement de quatre jour à partir du 14 janvier, à l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de la révolution de 2011 qui a vu s’abattre le régime de Ben Ali. Et depuis se poursuit un mouvement massif majoritairement composé par la jeunesse et les quartier populaires, aux revendications pas clairement définies mais qui s’inscrivent dans un contexte de misère grandissante, d’une répression sauvage et d’une remontée des luttes.

Une situation politique pleine de possibilités

Si la révolution de 2011 a permis de gagner des libertés démocratiques, elle n’a pas mis fin à l’exploitation et la domination du patronat, les différents gouvernements qui se sont succédés depuis 10 ans n’ont fait que mener une politique anti-ouvrière suivant les directives du FMI comme le faisait avant eux Ben Ali.

La combativité de la classe ouvrière et de la jeunesse tunisienne n’a pas baissée et la société a été traversée de nombreuses luttes et explosions sociales, en 2013 contre le gouvernement islamiste d’Ennahdha et suite aux assassinats politiques de Chokri Belaid et de Mohammed Brahmi.

Et cela malgré la politique désastreuse des organisations ouvrières que ce soit les partis réformistes, la direction de l’UGTT (principale centrale syndicale tunisienne), ou la gauche révolutionnaire. Toutes ces forces se sont alliés électoralement en 2014 avec le Nidaa Tounis, parti dit « progressiste » mais défendant les intérêts des patrons tunisiens, pour faire barrage aux islamistes et qui aboutira, après la défait électorale de cette formation de gauche, à une alliance parlementaire entre Nidaa Tounis les islamistes... Ce retournement de veste sera vécu comme une grande déception pour les travailleurs d'autant plus que ce nouveau gouvernement appliquera la même politique réactionnaire, sécuritaire et anti ouvrière que le gouvernement précédent.

Cependant les luttes de masse reprendront dès 2017 avec des mobilisations de jeunes chômeurs à Tataouine qui bloquent le transport d’hydrocarbure pour réclamer un emploi digne et dénoncer l’exploitation des ressources naturelles par les multinationales. En 2018 le pays entier se mobilise à nouveau contre la loi Finance du gouvernement qui taxe des produits de première nécessité avec des manifestations dans tout le pays contre la vie chère, la réponse du régime sera la répression avec un millier d’arrestations.

Une gestion catastrophique de la crise sanitaire

La crise sanitaire a exacerbé la situation sociale du pays, avec plus de 5600 décès il s’agit d’un des pays les plus touchés par la crise. Le chômage est passée de 15% à 21.6% et le taux de pauvreté est passé de 15.2% à 19.2%. Les pénuries de produits de base sont fréquentes et particulièrement dans les régions les plus sinistrées. L’état de délabrement des hôpitaux est tel que le 4 décembre un médecin y a trouvé la mort suite à une chute dans une cage d’ascenseur défectueuse.

Plusieurs grèves sectorielles ont éclatées ces derniers mois, chez les chauffeurs de taxi, l’éducation, les hospitaliers… des mobilisations étudiantes majoritaires dans quelques universités ont montré aussi les possibilités de mobilisation dans la jeunesse scolarisée.

Cette instabilité, le gouvernement en a bien conscience. A l’occasion des 10 ans de l’immolation de Mohammed Bouazizi à Sidi Bouzid, déclenchant la révolution de 2011 le 17 décembre Kais Saeid, le président de la république, a annulé sa visite officielle, afin d’éviter d’attiser la colère populaire. Le secrétaire général de l’UGTT a aussi annulé sa visite afin de limiter l’agitation montrant encore une fois le rôle de la bureaucratie syndicale pour contenir la colère.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase

L’instauration d’un confinement de quatre jour (ce qui est aberrant d’un point de vue sanitaire) à l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de la fuite de Ben Ali aura dans la nuit du 15 janvier mis le feu au poudre et des émeutes ont éclatés partout dans les zones sinistrés et les quartiers populaires avec une forte participation de la jeunesse scolarisée ou non et y compris une forte participation de la jeunesse lycéenne.

La particularité de ce mouvement est d’être apparu de façon assez spontané en dehors des partis ouvriers traditionnels (affaiblis depuis les élections législatives de 2014) et en dehors de tout cadre syndical et de s’être propagée en une journée à l’ensemble du pays. Cela témoigne des potentialités que peut avoir un tel mouvement.

Depuis le 15 janvier les politiciens et les médias bourgeois martèlent sans cesse que les manifestations nocturnes ne sont que des pillages, ne respectent pas la législation sur le droit de manifester et que celles-ci ne portent pas de revendications sociales. il faut pourtant être aveugle pour ne pas voir dans cette colère de masse l’expression d’un ras le bol général contre les conditions de vie et une classe de dirigeants corrompus. La répression est féroce avec 600 arrestations dans la nuit du 17 janvier, des enlèvements, le déploiement de l’armée, des blindées de la police du jamais vu depuis 2011. Le gouvernement a fait un semblant de concession en promettant un remaniement ministériel mais c’est loin de satisfaire une population qui a souffert de dizaines d’années de politiques antisociales. La répression n’a fait que s’accentuer avec des pratiques remémorant des la dictature : la censure sur les réseaux sociaux, les arrestations massives de journalistes et de manifestants. L’Etat tunisien a même commandé du matériel répressif à la France. Cette répression a eu pour effet de propager l’indignation et la contestation !

La nécessité d’une politique en direction du monde du travail et pour la généralisation de la grève.

Dans cette situation l’UGET (principal syndicat étudiant tunisien) a appelé ses militants à participer et à construire activement le mouvement dans la perspective de renverser le gouvernement, et joue un rôle de premier plan dans le mouvement en appelant à un certain nombre d’initiatives contre la répression. Un syndicat combatif qui structure la mobilisation mais qui ne possède pas de stratégie révolutionnaire claire, avec une certaine illusion que seule des manifestations aussi massives et combatives soit-elles suffiront à mettre à bas le pouvoir de la minorité de bourgeois corrompus qui dirige le pays.

Pourtant l’un des bilans qu’on peut tirer de la révolution de 2011 c’est celui de la centralité de la grève générale, ce qui le 14 janvier a permis de retourner totalement le rapport de force, c’était la grève générale dans une majorité de secteurs et de ville et le débordement de l’UGTT par sa base.

En parlant de l’UGTT, le 18 janvier la centrale reprendra dans un communiqué les éléments de langage du gouvernement en dénonçant les pillages et les attaques envers les forces de l’ordre, et appelant au dialogue sociale et à l’apaisement. Alors que le jour même le secrétaire général de l’UGTT recevait le jour même un coordonnateur des Nations-Unis qui les félicitait pour avoir promu la stabilité et le dialogue national. Cela montre bien la politique de pacification sur le dos des travailleurs qui y est menée depuis des années.

Pourtant, le 26 janvier sous pression de sa base syndicale qui aspire à rejoindre le mouvement, l’UGTT a été forcée d’appeler à une grève générale locale à Sidi Bouzid, toujours en appelant au dialogue sociale et à calmer la situation.

Cet appel témoigne cependant d’une vraie combativité chez le monde du travail, aujourd’hui il est impossible de résoudre la question du chômage, de la misère et de la répression policière tant que le pouvoir sera celui d’une minorité de capitaliste. Et pour détruire le pouvoir des capitalistes il faut bloquer l’économie et reprendre la main sur la production et cela se passe par la grève générale.


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