Pass sanitaire, chômage, retraites : notre classe doit et peut résister !

 


Cet article de fond, écrit fin juillet et publié dans le dernier numéro (39) de notre revue Anticapitalisme & Révolution, fait l'analyse de la situation politique, l'offensive du patronat, les résistances de notre classe, et développe sur l'orientation que les militants révolutionnaires et anticapitalistes doivent porter.

Le 12 juillet dernier, Emmanuel Macron, a annoncé la mise en place du pass sanitaire à compter du 21 juillet, ainsi que la relance de la réforme des retraites. Par ces annonces, le chef de l'État tente de donner des gages aux capitalistes qui, depuis l’an dernier, cherchent à profiter de la crise épidémique pour accélérer l’offensive anti-ouvrière et antisociale. Mais elles prennent place dans une situation toujours marquée, malgré le frein imposé par les confinements et déconfinements successifs, par une instabilité pouvant laisser place à de fortes explosions sociales.

Macron à la pointe de l’offensive patronale

Véritable déclaration de guerre à l’ensemble de notre classe, les annonces de Macron du 12 juillet dernier n’en sont pas moins la continuité de l’offensive menée par la bourgeoisie française contre les acquis sociaux encore existants. Le très puissant mouvement de grève de décembre 2019, notamment dans les transports, avait imposé au gouvernement le report de la réforme des retraites. Mais, avec l’arrêt imposée par le confinement aux manifestations, la bourgeoisie a tenté de reprendre et d’accélérer son offensive. Dans différents secteurs, les patrons ont tenté de profiter de la crise sanitaire pour rogner toujours davantage, comme à La Poste, où la direction a lancé une accélération sans précédent des réorganisations. De la même manière, les capitalistes cherchent à faire payer la crise sanitaire et économique à notre classe par une accélération historique des vagues de licenciements : industrie automobile et aéronautique, commerce, hôtellerie, tourisme…

Macron cherche donc à donner des gages à la classe capitaliste, et à confirmer qu’il est bien toujours le politicien bourgeois idéal pour diriger le pays, dans l’optique de la présidentielle de 2022. Si l’annonce que la remise sur les rails de la réforme des retraites est conditionnée à l’amélioration de la situation sanitaire, ce qui constitue à demi-mot un report à prochaine mandature, il a d’ores et déjà annoncé un relèvement de l’âge de départ à la retraite. Outre la réforme des retraites, Macron a confirmé que la réforme de l’assurance chômage, qui prévoit une baisse considérable de l’indemnisation des chômeurs et chômeuses, s’appliquerait à compter du 1er octobre. Concernant la fonction publique, derrière l’annonce démagogique de la suppression de l’ENA, le discours sur « la simplification du millefeuille territorial » et la nécessité de réduire la dette cache de nouvelles attaques contre les fonctionnaires, dans la lignée de la loi de transformation de la fonction publique.

Enfin, la mise en place du pass sanitaire, qui sera désormais nécessaire pour accéder non seulement aux lieux de culture, mais également aux cafés, restaurants, centres commerciaux, voire pour travailler, et qui s’accompagne de l’obligation vaccinale pour les personnels soignants à compter du 15 septembre sous peine de licenciement, constitue un pas énorme dans le flicage généralisé de la population et particulièrement de notre classe. Rarement une telle mesure n’aura concerné toute la population, dans les moindres détails de sa vie quotidienne : aller bosser, aller faire ses courses, se déplacer etc. Il n’est pas étonnant que cette mesure concentre l’essentiel des discussions dans notre classe, et il est évident que n’importe quel militant ou militante se réclamant de l’émancipation des travailleurs et travailleuses doit sans aucune ambiguïté se positionner radicalement contre cette mesure.

Des politiciens bourgeois toujours plus discrédités

Si Macron cherche à donner ces gages à la bourgeoisie, c’est sans doute parce qu’il sait que sa base électorale dans la population est particulièrement réduite, et qu’il lui faudra compter sur le soutien sans faille de la classe capitaliste dans l'élection présidentielle à venir.

Les dernières élections régionales ont confirmé le rejet massif des politiciens bourgeois dans la population. Avec deux tiers d’abstention, les élections régionales et départementales 2021 ont battu un record historique, tous scrutins confondus. C'est notamment la jeunesse qui a le plus boudé les urnes, avec près de 90 % d’abstention, tout comme dans certaines communes populaires. Avec un tel taux, c’est l’ensemble des partis politiques bourgeois qui sont touchés par ce rejet du jeu électoral.

Les candidats de la majorité présidentielle sont particulièrement victimes de ce rejet. Les treize listes LREM ont enregistré des scores très bas, voire ne se sont pas qualifiés pour le second tour. Ainsi, dans les Hauts-de-France, le secrétaire d'État Laurent Pietrasweski, soutenu par quatre membres du gouvernement présents sur sa liste, a péniblement atteint les 9,1 %.

Mais c’est également le RN de Marine Le Pen qui apparaît comme un des perdants de cette échéance électorale. Contrairement à ce qu’espérait la politicienne d’extrême droite, son mouvement n’a réussi à arracher la présidence d’aucune région. En PACA, seule région où le RN était arrivé en tête au premier tour, Thierry Mariani a été sèchement battu par le candidat LR Renaud Muselier. Entre les élections régionales de 2015 et celles de 2021, le RN a perdu 3,9 millions de voix. Cela se traduit par un recul en termes de points (27 % en 2015, 19 % en 2021), mais aussi en nombre d’élus : 106 conseillers régionaux et 36 départementaux en moins.

Ce revers électoral pour le RN ne signifie pas, bien évidemment, que l’extrême droite a disparu et qu’elle ne constitue plus un danger. Le RN reste un des partis qui obtiennent les plus forts résultats notamment dans les milieux populaires, dans la jeunesse… Les idées réactionnaires continuent à gagner du terrain. Lutter contre ces idées, lutter contre l’extrême droite, reste et doit rester une des tâches des militants et militantes révolutionnaires. Mais ces résultats électoraux montrent que pour Marine Le Pen, que beaucoup de commentateurs politiques bourgeois voyaient en vainqueur de 2022, la marche reste haute.

De l’autre côté de l’échiquier politique, ces élections constituent également un revers pour la gauche réformiste. Non seulement aucune des listes LFI ne s’est qualifiée pour le second tour, mais bien souvent elles enregistrent des scores bas. Seule la liste de Clémentine Autain en Île-de-France dépasse les 10 %. Du côté du PCF, malgré l’entrée de quelques élus dans certains conseils départementaux, c’est la poursuite dans le détricotage du tisse d’élus qu’il possédait, avec la perte du Val-de-Marne, dernier département en sa possession.

Dans ces conditions, les résultats des listes Lutte ouvrière ne sont en réalité pas du tout anecdotiques. Les 320 000 voix récoltées par ces listes montrent non seulement, comme l’affirme LO dans son édito suivant les élections, « la permanence d’un courant politique qui affiche comme objectif le renversement du pouvoir de la grande bourgeoisie », mais surtout, qu’une candidature affirmant haut et fort la colère de notre camp social, la volonté d’en finir avec l’offensive patronale, de façon vivante et dynamique, en apportant des perspectives concrètes, pourrait rassembler très largement des pans entiers de notre classe. De ce point de vue, l’absence du NPA dans ces élections est un handicap dans la situation.

Notre classe cherche à résister

Face à la relance de l’offensive patronale, notre classe n’est pas restée l’arme au pied.

Après la mobilisation des salariés de la culture contre la réforme de l’assurance chômage, et les différentes grèves éparses contre les licenciements dans l’industrie automobile, notamment les fonderies, c’est au tour des fonctionnaires territoriaux de s’être mobilisés contre la loi de Transformation de la Fonction publique, qui prévoit une augmentation considérable du temps de travail des agents, notamment à Paris, mais également à Nanterre, Rennes, Toulouse etc.

Dans l'Éducation nationale également, des appels à la grève ont eu lieu le 17 juin, jour des épreuves écrites de philosophie du bac, puis contre la première épreuve du « grand oral », la nouvelle épreuve mise en place par Blanquer dans le cadre de sa réforme du bac, puis fin juin, au moment de la correction des copies de philo et de français. Si ces grèves n’ont rien eu à voir quantitativement avec la grève du bac de 2019, elles ont cependant remis sur le devant de la scène la lutte contre les réformes Blanquer, après deux ans de pandémie dans les établissements scolaires. Elles ont permis aux équipes de resserrer les liens tissés ces dernières années.

Ces mobilisations sectorielles n’ont pas cessé avec l’arrivée de l’été. Ainsi, début juillet, c’est dans les aéroports de Paris que les salariés se sont mobilisés par la grève. Le 2 juillet, quelques 500 manifestants ont bloqué l’aéroport de Roissy, entraînant de nombreux retards, malgré une réaction violente de la police qui a procédé à de nombreuses verbalisations.

Les manifestations contre le pass sanitaire

Mi-juillet, c’est face à l’annonce de la mise en place du pass sanitaire que les manifestations se sont multipliées. Si les premières qui ont suivi les annonces de Macron restaient modestes, elles ont pris une tournure bien plus massive le week-end suivant, notamment le 17 juillet, avec 150 000 manifestants et manifestantes sur le territoire.

De ce qui a pu être observé pour le moment, ces manifestations sont pour l’instant beaucoup plus hétérogènes que ce qu’avaient pu être celles des Gilets jaunes à leurs débuts, avec une composition sociale bien plus mélangée. Les principales revendications mises en avant concernent la défense de la « liberté » individuelle contre « l’obligation vaccinale ». Le caractère est beaucoup moins radical et plus légaliste que les manifs de novembre-décembre 2018.

Ce discours très tourné sur la défense des libertés individuelles, mais aussi et surtout l’absence totale de réaction du mouvement ouvrier face aux annonces de Macron, a permis aux franges les plus réactionnaires, complotistes, anti-vaccins, ainsi qu’à l’extrême droite, d’apparaître très visiblement dans ces manifestations. À Paris, ce sont Dupont-Aignan, Philippot et Martine Wonner (députée ex-LREM covido-sceptique et complotiste) qui en ont pris la tête. Des militants de l’Action française et autres groupuscules d’extrême droite ont été aperçus dans plusieurs autres villes. Parmi les manifestants, certains ont comparé la vaccination à la Shoah, une comparaison typique de l’extrême-droite la plus raciste et antisémite…

Mais il serait totalement faux, comme cherche à le faire le gouvernement, de surestimer cette présence de l’extrême droite et d’y réduire les manifestations. La presse bourgeoise elle-même note que Philippot s’est offert le 17 juillet un « coup politique », manifestant devant des gens qui pour la plupart n’avaient rien à voir avec lui1.

Car si le caractère social de ces manifestations est bien plus hétéroclite que celles des Gilets jaunes, il est indéniable qu’une frange de notre classe y participe. Ainsi, à Toulouse, la manifestation était appelée à la fois contre le pass sanitaire et contre la réforme des retraites. Dans différentes villes, des collectifs de « blouses blanches » ont participé aux manifestations. À Paris, les Gilets jaunes, dont Jérôme Rodriguez, étaient présents, et se sont clairement démarqués de la tête de manifestation d’extrême droite.

Pour une politique de classe… sans être donneur de leçon

La mise en place du pass sanitaire est en quelque sorte la cristallisation de tout le tournant autoritaire de l'État capitaliste ces dernières années. La mise en place des « QR codes » qu’il faudra montrer pour aller bosser, prendre les transports, faire ses courses, aller au restaurant… annonce un flicage généralisé de la population, une extension des contrôles policiers, qui se pratiqueront évidemment en premier lieu sur les franges les plus précaires et opprimées de notre classe. L’obligation du pass sanitaire pour bosser, la possibilité de mettre en place des sanctions pour les salariés y dérogeant, allant jusqu’au licenciement pour les personnels soignants refusant la vaccination obligatoire, constitue un renforcement accru du pouvoir des patrons sur nos vies. Tout militant et militante révolutionnaire se doit donc de prendre position clairement contre la mise en place du pass sanitaire, ainsi que pour la levée immédiate de l’état d’urgence sanitaire, dont le gouvernement vient d’annoncer le prolongement jusqu’au 30 septembre à la Réunion et en Martinique. Dans le même temps, nous devons clairement nous opposer à tous les discours complotistes et anti-vaccins, en prenant clairement position pour l’extension et la généralisation de la vaccination. Nous devons être également en capacité d’expliquer pourquoi l’obligation vaccinale ne peut permettre, dans la situation actuelle, de régler la pandémie. En effet, tant que la majorité de la population mondiale (rappelons qu’en Afrique, moins de 2 % de la population a accès au vaccin) ne sera pas vaccinée, il y aura de nouvelles vagues d’épidémies avec de nouveaux variants. Nous devons donc continuer à exiger avec force la levée immédiate des brevets pour permettre une production massive dans tous les pays.

En réalité, le pass sanitaire, obligation vaccinale qui ne dit pas son nom, est pour le gouvernement un moyen d’afficher à bon compte qu’il prend des mesures pour enrayer l’épidémie, alors que dans le même temps il ne dépense pas un euro pour l’hôpital public.

Refus du pass sanitaire, levée immédiate des brevets sur les vaccins, des moyens pour l’hôpital public, de réels protocoles protecteurs dans les entreprises et les lieux d’études : telles sont les revendications de classe à mettre en avant face à l’offensive du gouvernement. C’est sur cet axe que les organisations d’extrême gauche ou les équipes syndicales devraient chercher à intervenir dans les manifestations actuelles, et y constituer des pôles ouvriers, affichant une politique stricte de classe, s’affrontant clairement à l’extrême droite.

Par ailleurs, la mise en place du pass sanitaire, notamment dans les transports à partir du 1er août, va certainement entraîner des réactions des salariés qui refuseront de se transformer en flic ou en agent de sécurité. Nous devons être attentifs à ces développements, qui donneront nécessairement un caractère de classe plus affirmé à la lutte contre le pass sanitaire, au-delà de la simplement question des libertés individuelles. Cela pose nécessairement la question des grèves et bagarres dès la rentrée. Pour l’instant, les directions syndicales ont posé la date du 5 octobre, qu'elles n’annoncent pas réellement et dont elles ne cherchent surtout pas à faire une journée de grève. Au contraire, dès maintenant, nous devons chercher à poser la question de la riposte de classe face à l’offensive gouvernementale et patronale.


1. https://www.liberation.fr/politique/a-la-manif-contre-le-pass-sanitaire-lextreme-droite-recupere-la-colere-des-gueux-20210718_N35QKRYX4FGWPOUXNP257DH4JU/

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