Le 27 octobre 2021, un groupe de jeunes sans affectation à l’université, en lutte pour leur inscription, et de militants et militantes de l’UNEF Nanterre font face à une présidence d’université qui rompt toute négociation et refuse d’inscrire les sans-facs restants. Comment imposer le respect du droit d’étudier ? Ce jour-là, ils se lancent dans une occupation des bureaux de la présidence de l’université Paris-Nanterre, avec une revendication simple : l’inscription des sans-facs restants. Une action initialement prévue pour durer 24 à 48 heures, qui en durera 6300 de plus… soit 263 jours, presque neuf mois !
Une lutte dont celles et ceux qui l’ont menée pensent que les enseignements peuvent servir bien au-delà de l’université Paris-Nanterre, ou même bien au-delà du mouvement étudiant.
Zoom sur la sélection à la fac
Depuis toujours, les universités servent les besoins de la classe dominante. La formation d’un jeune détermine en grande partie sa place dans la production et son utilité pour le patronat. Par conséquent, les universités s’adaptent aux besoins de la période et des capitalistes. Dans une période de crise du capitalisme, d'enchaînement de crises économiques, la bourgeoisie a d’autant plus besoin d’une main d'œuvre corvéable à merci, généralement dite « peu qualifiée », qui n’a pas d’autre choix que les emplois précaires.
Cela se traduit par des réformes successives dans les lycées et les universités, ayant pour but de pousser les jeunes à la professionnalisation le plus tôt possible, à restreindre l’accès aux études universitaires et aux diplômes qualifiants, tout en cherchant à réduire au maximum le coût des universités pour la bourgeoisie.
À la fin des années 90 s’est ouverte une période d’accélération et de multiplication des processus qui vont dans ce sens, menés par des gouvernements de droite comme de gauche. En 2002, le gouvernement a mis fin au cadrage national des diplômes, mettant davantage en concurrence les universités et leurs formations. En 2007, l’autonomie financière des universités a été instaurée. En 2016, le gouvernement de gauche de François Hollande a officiellement ancré le principe de sélection à l’entrée du master, le deuxième cycle de formation de l’enseignement supérieur. Au printemps 2018, la plateforme Parcoursup a été mise en place pour mieux trier les jeunes à l’entrée de la première année d’études supérieures, laissant chaque année de plus en plus de jeunes sans affectation à l’université après l’obtention de leur bac. Pendant l’hiver 2018, le gouvernement Macron a annoncé la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors Union européenne. Ceux-ci doivent payer 2770 euros l’année de licence au lieu de 170 euros, et 3770 euros l’année de master au lieu de 243 euros, soit une multiplication par 16 des frais d’inscription par rapport aux étudiants français ou de l’Union européenne. Un projet raciste et discriminant, avec pour objectif d’élargir cette augmentation des frais d’inscription à l’ensemble des étudiants et étudiantes, pour restreindre l’accès aux études supérieurs à ceux qui peuvent les payer.
L’année 2018 a été marquée par deux mouvements nationaux de grève étudiante, et celui contre l’augmentation des frais d’inscription a été victorieux : la loi est certes adoptée, mais elle laisse à chaque université le choix d’appliquer ou non cette hausse. Marquées par l’ampleur de la résistance étudiante, la quasi totalité des présidences d’universités font le choix de ne pas l’appliquer.
La sélection à l’université écarte de ses bancs en grande majorité des enfants d’ouvriers, des enfants d’immigrés et des étudiants étrangers : celles et ceux qui ne sont pas issus du bon quartier ou du bon lycée, ou qui n’ont pas la bonne nationalité. Pour la rentrée 2022, selon les chiffres du ministère, sur les 936 000 candidats et candidates de Parcoursup, 295 738 n'ont pas accepté de proposition d'inscription, soit car ils n’en ont reçu aucune, soit car ils n’ont reçu que des propositions trop éloignées de chez eux, ou dans une filière qui ne les intéresse pas. Cela revient à 31,6 % des candidats et candidates !
Les capitalistes veulent mettre au pas la jeunesse et lui faire accepter un avenir de précarité. Il est urgent de prendre nos affaires en main et d’organiser la riposte ! Dans cette situation, les luttes locales ont un rôle essentiel à jouer dans le sens de lier celles et ceux qui veulent organiser la résistance et impulser un plan de bataille.
L’occupation
L’occupation des sans-facs de Nanterre menée en 2021-2022 est un condensé du plan de la classe dominante pour les universités et pour le mouvement étudiant. À son échelle, ce conflit témoigne de l’agenda de la bourgeoisie en termes d’offensive, et des méthodes qu’elle est prête à employer contre celles et ceux qui organisent la contestation. L’université Paris-Nanterre est dirigée par une présidence qui se revendique de gauche, écrit sur les inégalités spatiales, la ségrégation, les mouvements étudiants… Pourtant elle n’a pas hésité à employer des méthodes réactionnaires contre des jeunes qui revendiquent le droit d’étudier. La présidence avait un objectif cette année : anéantir le groupe militant majoritaire dans son université et empêcher que les mobilisations pour l’inscription de jeunes sans affectation continuent d’être menées chaque année. C’est cette présidence de gauche qui n’a pas hésité à couper le chauffage et l’électricité en plein hiver à des jeunes qui demandaient à pouvoir étudier, à dépenser plus d’un demi-million d’euros en vigiles privés, qui ont insulté, violenté, harcelé pendant des mois les sans-facs de Nanterre, les militants et militantes de l’UNEF et leurs soutiens. C’est cette même présidence de gauche qui aujourd’hui tente d’interdire l’UNEF Nanterre en convoquant en section disciplinaire neuf militants et militantes, dont le président, la vice-présidente, la secrétaire générale, le trésorier et la quasi-totalité des élus UNEF aux conseils de l’université !
Alors que la revendication des sans-facs de Nanterre et de leurs soutiens était l’inscription d’une poignée de jeunes dans cette université de plus de 34 000 étudiants et étudiantes, pourquoi la présidence fait-elle le choix de telles méthodes ? Pour empêcher l’extension de cette lutte à d’autres universités et à des revendications plus larges. L’occupation des sans-facs de Nanterre, et son cri d’alerte sur la gravité de la sélection dans les universités, ont suscité un élan de soutien très large. Le 27 octobre 2021, lorsque les sans-facs, l’UNEF Nanterre et leurs soutiens sont entrés dans le bâtiment et ont posté une vidéo sur Twitter pour appeler à la solidarité, celle-ci a été vue plus de 150 000 fois et partagée par des milliers de personnes, dont de nombreuses personnalités, organisations, représentants et représentantes syndicaux et politiques. Dans les jours qui suivent, un comité de soutien aux sans-facs s’est constitué, principalement composé dans un premier temps de militants et d’organisations du département. Ce comité de soutien et la cagnotte de solidarité aux sans-facs de Nanterre ont récolté plus de 30 000 euros au cours des neuf mois de lutte pour soutenir les dépenses pour le maintien de l’occupation. Plusieurs meetings de soutien ont été organisés, avec plusieurs centaines de participants, et à la tribune des représentants et représentantes d’organisations syndicales étudiantes et professionnelles, des députés, des élus, des personnalités… Parmi les étudiants et étudiantes de l’université de Nanterre, la sympathie très large aux revendications des sans-facs et au syndicalisme combatif s’est exprimé à travers les élections étudiantes, et les 56 % de voix obtenues par l’UNEF Nanterre. La solidarité a dépassé les frontières des universités : dès le début de l’occupation, les ex-occupants du théâtre de l’Odéon contre la réforme de l’assurance chômage ont donné des duvets et matelas en nombre aux sans-facs, la CGT info-com’ a fait un don de 10 000 euros aux sans-facs, de nombreuses motions de soutien de syndicats du monde du travail ont été envoyées à la présidence de Nanterre…
La lutte des sans-facs de Nanterre a remis au centre la question de l’aggravation de la sélection à l’université et de l’urgence d’une riposte unitaire et d’ampleur. Dès le mois de janvier 2022, les sans-facs ont appellé à une rencontre nationale des étudiants et lycéens en lutte au sein de l’occupation pour poser des perspectives de lutte dans tous les lieux d’études. Plusieurs rencontres nationales se sont tenues, regroupant des militants et militantes de nombreuses villes, des quatre fédérations syndicales étudiantes et de différentes organisations politiques, syndicales et associatives. Ces rencontres nationales sont à l’initiative de plusieurs journées d’action, de journées de grève étudiante ou d’appels à se joindre à des dates de grève interprofessionnelle.
La lutte des sans-facs a permis au cours de l’année 2021-2022 l’inscription de plus de 75 jeunes sans affectation. L’occupation a pris fin au mois de juillet, suite à la résolution de la quasi totalité des cas restants. Néanmoins, le chapitre ouvert par cette lutte n’est pas clos : l’UNEF Nanterre attaque la rentrée de septembre 2022 avec le dépôt de plus de 200 nouveaux dossiers de jeunes sans-facs et leur constitution en collectif mobilisé. Si la présidence de l’université veut faire un exemple en réprimant l’UNEF Nanterre, ce syndicat se donnera les moyens de continuer de démontrer l’inverse : que les revendications sont légitimes, et surtout, que la lutte paie !
En septembre, la ministre de l’Enseignement supérieur a annoncé une réforme de la sélection à l’entrée du master pour la rentrée prochaine. La sélection s’accentue, donnons-nous les moyens que la résistance aussi ! En cette rentrée, l’UNEF Nanterre veut proposer à toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans la lutte des sans-facs et dans le syndicalisme lutte de classe de se regrouper et de frapper ensemble : sur la question de la sélection, mais aussi au-delà, pour un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière et de la jeunesse. Face à cette société capitaliste qui ne fait que produire davantage de sans-facs, de sans-emplois, de sans-papiers, il est de la responsabilité des militants et militantes révolutionnaires d’armer notre camp social pour la renverser !