« Je continuerai mon activité syndicale. Ce n’est pas le patron qui doit décider qui doit représenter les salariés ! » - Christophe Musslé, CGT FAPT 14




« Je continuerai mon activité syndicale. Ce n’est pas le patron qui doit décider qui doit représenter les salariés ! » - Entretien avec Christophe Musslé, CGT FAPT 14 réalisé en octobre 2022

Christophe est le premier militant de la CGT révoqué par La Poste depuis 1951. Depuis cet entretien, il a reçu sa révocation, confirmée le 6 octobre. Il a déposé un recours le 9 novembre, nous attendons toujours la délibération et nous serons à ces côtés jusqu'à sa réintégration !

Anticapitalisme & Révolution - Peux-tu nous résumer de quoi Antoine et toi êtes accusés, et comment La Poste a conduit la procédure disciplinaire ?

Christophe Musslé - Nous sommes accusés de fraude organisée, d’atteinte à la probité de l’entreprise et de falsification de documents. Tous ces grands termes barbares qui nous feraient passer pour Balkany et toute sa clique cachent en fait un dossier vide et une simple erreur de saisie de justificatifs de déplacements, des justificatifs de péages, car la plupart de nos déplacements dans le département se font par autoroute pour des raisons de temps. La Poste a donc lancé une procédure de licenciement contre Antoine, élu au CHSCT et à la commission exécutive (CE) de la CGT, et une mesure de révocation contre moi, secrétaire du CHSCT et membre du bureau départemental du même syndicat.

L’histoire peut paraître bête, mais quand la direction nous invite « au dialogue social », elle prend en charge évidemment les frais kilométriques, de parking et, on l’a appris récemment avec cette affaire, les frais de bouche quand, à certaines heures, il n’y a plus de restaurants d’entreprise puisqu’elle les ferme tous, avec un défraiement de 16 euros.

Les saisies sont faites depuis fin 2017-2018 de manière informatique. Avant c’était fait mensuellement dans une feuille A3 pliée en deux, dans laquelle on mettait nos justificatifs de déplacement mois par mois. Cela entraînait des pertes de documents car parfois c’est au moins quinze déplacements dans le mois. Cette perte avait pour conséquence une perte d’argent pour les postières et postiers concernés. Il y a donc eu une informatisation du dispositif, sans que les postiers ne reçoivent de formation, ou bien de façon très accélérée, à la différence des cadres.

Au début les salariés trouvaient cela positif car il y avait immédiatement connaissance d’une éventuelle erreur et donc la possibilité de corriger et de ne pas perdre d’argent.

Pour Antoine et moi, c’est moi qui gérais nos saisies et nos attestations de présence.

Pour ce qui nous concerne, la direction a lancé cette procédure sans même retrouver comment tout cela a commencé puisqu’il y a trois versions : soit à la suite d’un contrôle aléatoire, soit à la suite des dires d’une manager de Lisieux, soit à la suite d’une alerte de la direction exécutive (DEX) de La Poste.

Fin avril, elle a donc vu des erreurs. Un nombre infime puisque cela correspond à moins de 5 % des déplacements des trois dernières années. Elle a donc décidé de mettre en place une enquête. Elle a appelé le service sûreté de La Poste qui a fait une filature sur cinq mois. Cela correspond à environ 25 ou 30 déplacements pour lesquels elle a retenu trois dates : le 1er et le 15 juin et le 2 septembre. La direction nous a vus, Antoine et moi, arriver ensemble sur les mêmes sites et aller aux mêmes réunions, sans se dire que l’on avait pu se rejoindre, comme le font la plupart des personnels qui se retrouvent pour aller ensemble à la réunion. C’est une pratique systématique.

Mais les dirigeants en ont déduit qu’il y avait là une fraude organisée au détriment de La Poste pour s’enrichir. Voilà comment ils ont lancé la procédure.

Il y a eu un entretien managérial le 26 octobre durant lequel j’ai réclamé à six reprises que La Poste présente les éléments d’erreur afin de rectifier immédiatement. J’avais pris mon ordinateur afin d’avoir accès à mon compte client Vinci autoroute et pouvoir voir les derniers tickets de péage transmis via WhatsApp par Antoine. J’étais tout à fait à même de produire des réponses dès le 26 octobre et de balayer d’un revers de main les accusations de fraude dès ce moment-là. Je pensais d’ailleurs en sortant de l’entretien managérial que ça n’irait pas beaucoup plus loin.

Mais en fait, très rapidement après, la direction a convoqué une commission administrative paritaire nationale (CAP) en demandant ma révocation. Elle met en avant les 5 % d’erreurs que je reconnais. Mais cela n’a rien coûté à La Poste, puisqu’au lieu de mettre par exemple mon nom, j'ai mis celui d’Antoine : en aucun cas, la somme ne change. Il n’y a pas un euro qui aurait pu m’être remboursé en trop.

A&R - Pourquoi selon toi La Poste a-t-elle monté un tel dossier contre vous ?

CM - La Poste nous voit comme un gros clou bien rouillé planté dans son talon. Partout, les dirigeants réorganisent, à une vitesse constante, environ tous les 24 mois. Ces réorganisations ont pour conséquences des suppressions de tournées, d’emplois, l’augmentation de la charge de travail sans même l’évaluer. Ils ont une méthodologie de calcul à l’opposé de la réalité. Depuis plusieurs années, avec Antoine, l’équipe militante que l’on a et des camarades de plusieurs bureaux, là où on est majoritaires, nous avons mis en place des expertises pour démontrer que La Poste nous vole du temps de travail, ne calcule pas la charge réelle et que les réorganisations partent du préalable de la suppression des tournées, et non de la réalité. On a lancé ces expertises dans un maximum de bureaux avec pour objectif de démontrer avec un cabinet d’expertise indépendant que La Poste vole du temps de travail et également de l'assigner en justice et la faire condamner. Ces condamnations, en plus des grèves et des manifestations, permettent de concrètement la stopper et d’avoir cet argument auprès des bureaux qui ne se battent pas : à La Poste, ce sont bien des voleurs, des gangsters, des menteurs, qui détruisent nos conditions de travail, le service public postal et notre santé.

Si on prend sur ces 24 derniers mois, on a fait condamner 12 fois notre directeur d’établissement à Lisieux, devant toutes les juridictions qui existent : cour judiciaire de Lisieux, Cour d’appel de Caen, cour de cassation. Il a été condamné sur la non-évaluation de la charge de travail, sur les réorganisations dites temporaires mises en place de manière unilatérale durant la période Covid – il a profité de cette période pour se débarrasser de tous les CDD par exemple. Il a été également condamné sur le fait que lorsque le Covid est arrivé, nous avons travaillé des semaines sans gel, sans masque, sans rien. On nous interdisait même de porter le masque. On a mené une action avec une expertise qui a montré que, durant cette période, La Poste devait injecter 14 minutes par jour et par agent pour la désinfection et le respect du protocole. Il faut savoir qu’au tout début, La Poste ne nous a donné pour toute protection qu’une bouteille d’eau et du savon liquide en nous disant qu’avec ça on serait protégé ! Il y a eu une condamnation en cour de cassation pour mise en danger des 275 agents qu’il y avait sur l’établissement de Bayeux. Condamnation accompagnée de mises en demeure.

Voilà la vraie raison pour laquelle on veut nous dégager : on dérange, on mène une activité syndicale lutte de classe, on ne fait aucune concession. Notre boussole, ce sont nos collègues, nos conditions de travail et le service public postal. Les dirigeants s’engraissent et nous derrière, on n’a rien !

A&R - Quelles sont les principales victoires remportées par les postières et postiers dans votre région ces dernières années ?

CM - En février 2015, en intersyndicale, il y a eu une grève de la région Basse-Normandie durant laquelle 1200 postières et postiers étaient en grève. Nous étions 600 ou 700 devant la DEX à Caen. Nous avons fait reculer la coupure méridienne qui est encore à l’heure actuelle très peu implantée chez nous. Seuls quatre bureaux dans le département l’appliquent.

En avril 2016, sur l’établissement de Lisieux, nous avons fait reculer une proposition de réorganisation après quatre jours de grève avec, les premiers jours, six bureaux sur neuf, et on a fini à quatre bureaux en grève majoritaire. Nous avons gagné, en plus, et avec l’aide du CHSCT, sept CDI, on a évité la coupure méridienne sur les tournées colis, et on a maintenu quatre tournées qui devaient être supprimées.

En 2019, à Deauville, il y a eu trois jours de grève pour CDIser un collègue précaire. À Deauville, en période estivale, la population est multipliée par dix ou quinze. Il y avait donc un ras-le-bol général. C’était la première grève sur le bureau depuis vingt ans. Elle a obtenu la CDIsation, des renforts en CDD, des tournées paquets doublées.

 Le 18 mai 2021, avec des militants et des militants de plusieurs départements, nous nous sommes coordonnés pour construire une grève au niveau national, car malheureusement, on a compris qu’il ne fallait plus rien attendre de nos différentes fédérations syndicales pour lesquelles les termes de « terrain » et « lutte des classes » semble enfermé dans les placards de leurs locaux.

Entre structures différentes, on a décidé de poser une date, nous n’étions pas sûrs mais finalement, nous avons eu raison, nous avons réussi à nous coordonner entre, d’abord, de petits groupes militants essentiellement de la CGT et de SUD qui ont, finalement, « fait des petits ». La grève a été historique en nombre et en répartition géographique. Nous avons obligé nos fédérations syndicales à sortir un tract, même en dernière minute, pour montrer qu’elles tentaient quelque chose, car sinon elles étaient totalement absentes. Quand nous avons réfléchi aux suites proches, nos fédérations ont réussi à casser ce qui avait été construit. Mais on y arrivera, on recommencera !

A&R - Penses-tu qu’il est possible d’empêcher ta révocation et de maintenir ton activité à La Poste ?

CM - J’en suis sûr parce que c’est un dossier monté de toutes pièces, parce que nous avons les justificatifs. Nous sommes sereins sur la décision de l’inspection du travail pour Antoine. Nous avons bien compris que La Poste veut se servir de moi et du fait que je sois fonctionnaire, que l’on bagarre depuis de nombreuses années dans ce département, que nos bureaux empêchent depuis six ans que se mette en place la moindre réorganisation, pour frapper un grand coup. Elle veut faire comprendre à tous les syndicats qu’elle veut faire taire les militantes et militants déterminés.

Nous, nous sommes déterminés et je continuerai mon activité syndicale. Ce n’est pas le patron qui doit décider qui doit représenter les salariés !

A&R - Qu’est-ce qui vous rapproche, Antoine et toi, des autres militantes et militants réprimés dans le 78, le 92, le 33, le 13, le 84…

CM - Ce qui nous rapproche c’est l’objectif de défendre nos collègues. Cela peut faire rire mais des syndicats qui se mettent en position de combat pour défendre les collègues, ça se fait quand même plus rare. C’est notre façon de militer : en intervenant le matin dans les centres et en maintenant les prises de parole quotidiennes. Cela n’étonne pas les collègues de nous voir, de voir circuler nos tracts.

Nous avons aussi en commun d’utiliser tous les outils possibles pour stopper cette casse. Nous avons la possibilité d’expertiser, d’assigner au tribunal, de faire intervenir l’inspection du travail. On utilise tout ce qu’il reste du Code du travail. Nous utilisons le CHSCT. Nous organisons les collègues, nous les mettons en grève, nous tentons l’extension des grèves. Nous, notre habitude, c’est de dire qu’il faut partir en grève tous ensemble et ne pas laisser un bureau tout seul. Il faut résister tous ensemble quand un copain se fait taper dessus.

Avec les réprimés, c’est tout cela qui nous rapproche. Si tu es un représentant du personnel, syndicaliste, tu dois connaître les agents, leurs conditions de travail, les services, et les agents, eux, doivent te connaître. C’est pour elles et eux qu’on veut être utile.


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