Ce que révèle l’accroissement de la violence d’État contre notre classe et contre le mouvement ouvrier

 

Manifestation contre le licenciement de Vincent, Yvelines, 24 avril 2021. / Hermann Click

Depuis 2016 et la loi Travail, de nouveaux caps dans la violence d’État ont été franchis. On se souvient des « manifs en cage » lors du mouvement de la loi Travail : les contrôles de police et fouilles systématiques, les manifestations entièrement quadrillées mais aussi les confrontations relativement massives de manifestants avec les forces de l’ordre ont contribué à placer la question de la violence policière et de la répression du mouvement social sur la scène politique.

La répression des Gilets jaunes a constitué un nouveau cap : le pouvoir théorisait et mettait surtout en pratique une nouvelle doctrine de maintien de l’ordre, où les forces de répression prennent l’initiative d’attaquer physiquement les manifestants y compris en vue de les mutiler délibérément. Des centaines de Gilets jaunes seront mis en prison, véritables prisonniers politiques de la guerre de classe. Après la loi Travail et les Gilets jaunes, descendre en manifestation n’a plus la même signification : l’organisation d’une manifestation qui va d’un point A à un point B décidés par les participants et participantes relève de plus en plus d’un exercice de confrontation avec la police, du moins oblige à se poser la question de comment déjouer des formes de violences et de restrictions de mouvement bien plus directes que par le passé.

La manifestation massive de la jeunesse des banlieues parisiennes à l’initiative du comité Adama au tribunal de Paris en juin 2020 a également constitué un point d’étape important dans la prise de conscience du caractère structurel de la violence policière, en particulier à l’encontre des secteurs issus de l’immigration de la classe ouvrière et de la jeunesse, à laquelle a fait écho par exemple la médiatisation des violences à l’encontre de Michel Zecler en novembre 2020 et les mobilisations contre la loi Sécurité globale qui remettait en cause le droit à filmer la police.

Cette répression qui prend une nouvelle ampleur, tout en suscitant une nouvelle conscience de son rôle, ne frappe pas au hasard. Ce sont les forces sociales qui menacent de s’affronter avec la classe dirigeante et de jouer un rôle d’entraînement de larges secteurs de notre classe qui sont visés, afin de les isoler et de les briser. Nos ennemis de classe ne s’y trompent pas : la violence de ses forces de répression internes visent celles et ceux qui portent un danger réel.


Du côté du mouvement ouvrier : des frappes sélectives

Le mouvement ouvrier organisé ne connaît évidemment pas une répression tous azimuts : la collaboration ouverte des principales directions syndicales et politiques avec le gouvernement et le patronat joue un rôle important dans la mise en place de l’agenda des capitalistes. On ne réprime pas celles et ceux qui aident à faire passer les attaques antisociales.

Les secteurs ouvriers organisés qui sont touchés par la répression patronale et/ou la répression policière et pénale ont un point commun avec les mouvement sociaux ou forces sociales évoqués précédemment : ils constituent une menace d’un affrontement qui ne reste pas confiné dans un secteur, mais qui pourrait s’étendre.

La convocation des huit militantes et militants de la CGT TUI France en septembre dernier devant la « brigade de répression de la violence à l’encontre des personnes » pour « injures » et « diffamation » est tout à fait représentative : les autorités reprochent officiellement aux animatrices et animateurs de la CGT TUI de s’en être pris à la direction de l’inspection du travail qui a laissé faire un plan de licenciement de 600 personnes sur des effectifs de 900… alors que ce sont les criminels en col blanc qui mettent en œuvre de ce type de massacres sociaux qui évidemment méritent toutes les sanctions imaginables. Ce que la classe dirigeante leur reproche dans le fond, c’est d’avoir mené une politique tout à fait inhabituelle : au lieu de seulement défendre leur propre peau dans leur coin, elles et ils ont délibérément tenté d’organiser une bagarre nationale pour l’interdiction des licenciements et contre les suppressions d’emplois en général. Une tentative qui n’a pas entraîné le gros du mouvement ouvrier organisé mais qui a contribué à forgé des habitudes de travail en commun entre des équipes militantes d’horizons différents sur une ligne de lutte de classe.

Les militants et militantes sur lesquels l’acharnement disciplinaire et pénal est le plus hallucinant à La Poste n’est lui non plus pas aléatoire. Christophe et Antoine de la CGT FAPT du Calvados, menacés respectivement de révocation et de licenciement sur la base d’un dossier monté de toutes pièces, mènent depuis de longues années une activité syndicale qui empêche localement la direction de mettre en place ses plans de suppressions d’emplois massifs. Leur syndicat est populaire dans les services de la distribution du courrier dans le Calvados, mais aussi sur les réseaux sociaux. D’où la répression. Le rôle des postières et postiers du 92 et de leur syndicat majoritaire SUD est connu : s’adresser aux autres secteurs postaux et autres secteurs de la classe ouvrière et de la jeunesse en vue d’un affrontement d’ensemble est une composante centrale de leur orientation, et la visibilité qu’elles et ils sont parvenus à obtenir ne plaît pas à la direction de la plus grosse entreprise du pays, et l’accumulation de procédures pénales à l’encontre de Gaël Quirante vise à tenter d’empêcher l’activité d’un militant que des milliers de postiers et postières considèrent comme un des leurs, malgré son licenciement. Vincent de SUD Poste 78, qui travaille étroitement avec SUD Poste 92 est lui aussi visé par un acharnement absolument démentiel : neuf tentatives de licenciement en quelques années. On voit d’ailleurs en Gironde et dans les Bouches-du-Rhône les débuts d’une criminalisation des prises de parole dans les bureaux de poste : ce sont là encore des équipes qui ont été à l’initiative de la seule grève d’ampleur nationale à La Poste depuis dix ans.

Les étudiants et étudiantes de Nanterre et leur syndicat l’UNEF Nanterre font également l’objet de multiples procédures disciplinaires et pénales : l’occupation de neuf mois de la présidence de leur université et la politique de regroupement que les sans-facs et syndicalistes étudiants ont mené à l’échelle nationale, leur contribution à reconstruire une capacité de mobilisation nationale du mouvement étudiant, leur capacité à soulever le problème de la collaboration de larges secteurs de la « gauche universitaire » à la sélection à la fac posent problème en haut poste

Dans l’éducation nationale, que ce soit à Melle, Clermont-Ferrand, Marseille ou Nanterre, ce sont les enseignants et enseignantes qui ont mené la grève du bac de 2019 et la grève des E3C en 2020 qui sont visés. Au lycée Mozart du Blanc-Mesnil, c’est également contre une équipe militante ayant mené ces grèves, et cherchant depuis plusieurs années la jonction avec les lycéens et lycéennes mobilisés, qui est confrontée à un chef très violent ayant été nommé là pour les briser.

Les 30 heures de garde-à-vue (!) et le passage au tribunal de 4 jeunes lycéens et étudiants de Grenoble pour une simple altercation avec des militants de l’UNI, la surmédiatisation de cette banale affaire par les ténors de la droite et de l’extrême-droite en pleine élection présidentielle, avec une peine de Travaux d’Intérêts Généraux prononcée en première instance pour trois des quatre militants, démontre la même volonté d’acharnement : contre la jeunesse à la fibre antifasciste qui n’admet pas que des militants de droite extrême et d’extrême droite déversent leur démagogie raciste et réactionnaire, la fine fleur du personnel politique de la bourgeoisie est prête à employer les grands moyens. Le 17 octobre, le quatrième jeune, mineur, passera en procès : une large mobilisation aura lieu ce jour-là à Grenoble.

En bref, s’il y a répression c’est qu’il y a une lutte réelle et une menace d’extension dans une situation que la classe dirigeante sait être instable.


Directions syndicales : entre soutien encore plus sélectif et aide apportée à l’ennemi

Les directions syndicales sont bien sûr pour l’essentiel passives face à cette offensive répressive. Elles sont obligées d’apporter un soutien minimal quand un large regroupement se crée autour de militants qui ont acquis une forte légitimité, comme l'inspecteur du travail Anthony Smith. Elles n’ont aucune de volonté de regroupement des cas de répression car poser le problème de la répression à une niveau d’ensemble, à un niveau politique en définitive, c’est poser la question de la nature anti-sociale et réactionnaire du pouvoir actuel. C’est être amené à poser la question du caractère nécessaire d’une contre-offensive générale, non seulement contre la répression, mais contre cette politique en général. Regrouper les travailleuses et travailleurs touchés par la répression amène inexorablement à regrouper les forces de notre classe en général. Car se défendre, c’est le début de la contre-attaque.

La bureaucratie syndicale ne s’y trompe pas. Les manœuvres (jusqu’au procès au tribunal de Bobigny le 20 octobre prochain !) pour extirper de la CGT l’équipe militante de la CGT PSA Poissy autour de Jean-Pierre Mercier montrent à quel point la bureaucratie syndicale est prête à se modeler sur les méthodes patronales et à elle-même faire le sale boulot pour priver les militants lutte de classe et révolutionnaires d’un maximum de moyens d’action.

Xavier Guessou

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