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/ Argentine : les années de plomb
En mars 1976, l’Argentine restait le seul pays du cône sud latino-américain à ne pas être gouverné par une dictature militaire. Le coup d’État du 24 mars, dont c’est bientôt le 39e anniversaire, a ouvert la période la plus noire de son histoire. Avec ses 30 000 disparus/es, la dictature militaire argentine a surpassé en horreur celle du Chili, pourtant bien plus connue.
Vers la fin 1975, la situation était devenue insupportable aux yeux de la bourgeoisie locale et de l’impérialisme US. En 1969, des insurrections ouvrières et populaires avaient initié une énorme montée des luttes. Celle-ci aboutit à la chute de la dictature du général Ongania, ouvrant un processus démocratique bourgeois dans le cadre duquel le général Perón revint au pouvoir en 1973.
Après sa mort, un an plus tard, et son remplacement par la vice-présidente Isabel Perón, les grèves ne cessèrent de remporter des victoires. Face aux actions armées minoritaires et isolées des masses des Montoneros (d’obédience péroniste) et du plus petit PRT-ERP (section argentine de la IVème Internationale jusqu’en 1973), le gouvernement adopta un décret en vue de leur « annihilation »...
En janvier 1976, le projet de coup d’État des militaires reçut le feu vert de Washington. Mais si l’essentiel du soutien politique vint des États-Unis, le savoir-faire répressif fut la conséquence de quinze années de collaboration avec les gouvernements de la France. Videla, futur chef de la junte, avait été formé par le général Paul Aussaresses, tortionnaire en chef des Algériens, et les militaires argentins avaient reçu leur formation « technique » d’anciens membres de l’OAS.
Après le 24 mars 1976, ce sont les méthodes de la guerre d’Algérie qui ont été utilisées en Argentine. Les armes de prédilection en furent la torture et la disparition forcée de dirigeants politiques, syndicaux et étudiants, y compris de femmes enceintes, les bébés arrachés à leurs parents ou nés en captivité étant remis comme butin de guerre à de « bonnes familles ».
Le « devoir de mémoire »
La résistance ouvrière n’avait jamais réellement cessé. Le 30 mars 1982, la CGT appela à une journée de protestation et à une marche vers la Place de Mai, siège du palais présidentiel. Le 2 avril 1982, une dictature désormais aux abois décida d’envahir la possession britannique des îles Malouines. La défaite approfondit la mobilisation ouvrière et populaire, obligeant les militaires à rendre le pouvoir et à des élections.
Entré en fonction le 10 décembre 1983, le président Raúl Alfonsín décréta l’inculpation des membres des juntes militaires et créa la Conadep (Commission nationale sur la disparition des personnes). Celle-ci parcourut le pays pour réunir des preuves sur les crimes de la dictature. Le procès des responsables commença le 22 avril 1985, et les deux chefs de la première junte militaire, Videla et Massera, furent condamnés à la prison à perpétuité.
En 1989 et 1990, le président Menem amnistia les tortionnaires. C’est en réponse que surgit le « devoir de mémoire ». L’anniversaire du coup d’État devint une journée de lutte de la gauche et plus largement des forces « progressistes » [1], avec des manifestations plus significatives que le Premier Mai. Ce fut aussi le début des procès pour « la vérité », visant à établir les circonstances des disparitions et à localiser les corps. En 2001, l’amnistie fut déclarée inconstitutionnelle.
Les procès contre les tortionnaires, contre les patrons qui en ont été les complices et contre les voleurs de bébés, ont repris en 2009. Ils continuent jusqu’à ce jour, comme dans le cas de Mario Sandoval, un ancien commissaire de police tortionnaire, à qui notre gouvernement avait accordé la nationalité française avant que l’Argentine ne demande son extradition et que la cour de cassation n’ordonne le 20 février dernier un nouveau procès.
Virginia de la Siega
dans l'hebdo L'Anticapitaliste n° 281 (18/03/15)
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[1] La « gauche » argentine est ce que l’on appelle en France l’extrême gauche, le « progressisme » occupant la place de ce qui est ici la gauche.