Cela fait donc trois ans que nous avons un gouvernement « socialiste »… Et c’est ce gouvernement-là qui non seulement multiplie les interventions militaires en Afrique et au Proche-Orient mais interdit les manifestations de solidarité avec la Palestine, soutient des méthodes de répression causant de graves blessures et jusqu’à la mort (Rémi Fraisse), fait condamner des manifestants à la prison pour le seul fait d’avoir manifesté (comme avec notre camarade Gaëtan Demay) ou révoquer de la fonction publique, pour la première fois depuis 51 ans, un syndicaliste (notre camarade Yann Le Merrer à la Poste) pour avoir simplement rempli son mandat syndical.
Un nouveau pas est maintenant franchi avec le projet de loi relatif au renseignement. Au prétexte d’une lutte contre la menace djihadiste, ce texte dont les dispositions s’inspirent – quoi qu’en disent les responsables gouvernementaux – du Patriot Act états-unien, ouvre en effet la voie à une surveillance généralisée de la population par les services secrets. Avec le soutien bien senti de l’essentiel de la droite – c’est ce qui reste aujourd’hui (et en réalité le véritable contenu) de l’union nationale du 9 janvier.
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme est une autorité administrative dont la fonction est d’« éclairer l’action du gouvernement et du Parlement dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales » ; dans son avis du 16 avril, elle souligne que l’arsenal des mesures prévues ne correspond pas aux intentions affichées (d’autant que de nombreuses lois récentes ont déjà renforcé les moyens de lutte contre les menaces terroristes) et que l’absence de tout contrôle et contre-pouvoir effectifs menace les libertés publiques. Effectivement, le champ des activités susceptibles d’être contrôlées est tellement large qu’il pourrait, comme l’a déclaré la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, s’appliquer à l’organisation des manifestations, à des activités syndicales et aux actions de contestation du Grand marché transatlantique. Mais le gouvernement n’en a cure et poursuit imperturbablement dans la même voie, tandis qu’au PS c’est silence dans les rangs.
Démocratie bourgeoise
et répression d’État
Les différentes mesures prises par Hollande et Valls dans le domaine régalien (policier, militaire ou de la « justice ») font système : on assiste globalement à une aggravation des dynamiques répressives et liberticides impulsées depuis l’État.
Les « socialistes » n’en sont certes pas à leur coup d’essai. Il y a près de cent ans, ce sont leurs congénères allemands qui avaient fait assassiner Rosa Luxemburg. Ce sont eux qui avaient engagé la guerre d’Algérie et c’est sous Mitterrand, Garde des sceaux, que le couperet de la guillotine était tombé sur des dizaines de militants du FLN (dont le communiste Fernand Iveton). Ce sont eux aussi, sous Mitterrand président de la République, qui avaient fait sauter en 1985 le bateau de Greenpeace, « Rainbow Warrior », causant la mort d’un membre de l’équipage. Parmi ceux qui s’opposent à l’État du point de vue des exploités et des opprimés coexistent traditionnellement, par-delà un accord sur le caractère limité et contraint de la démocratie bourgeoise, deux types d’interprétation de cette forme de domination politique. Pour l’une, un tel régime est pour la bourgeoisie le meilleur possible, car celle-ci ne peut se maintenir uniquement par la répression et a aussi besoin de formes de légitimation et de consentement ; d’ailleurs, les mouvements dirigés contre des dictatures sont en général plus explosifs que ceux qui peuvent être canalisés dans des institutions « démocratiques ». De l’autre côté, on insiste davantage sur le fait que la bourgeoisie n’a jamais rien concédé d’elle-même, que les acquis démocratiques sont toujours des résultats de grandes luttes ouvrières et populaires, et que le pouvoir capitaliste tend en permanence à les remettre en cause.
Défendre les libertés démocratiques
En réalité, à l’époque du néolibéralisme triomphant, les deux aspects se combinent comme jamais. La « démocratie » reste la bannière de prédilection des impérialismes occidentaux, mais elle se trouve en même temps de plus en plus vidée de contenu. Une des raisons en est la perte de capacité d’initiative des Etats nationaux en matière économique et sociale, que l’on peut constater notamment à travers le processus de l’Union européenne.
Dans tous les cas, défendre les droits démocratiques est pour le mouvement ouvrier – et pour les anticapitalistes qui en sont la pointe avancée – un combat indispensable. Tout recul sur ce plan risque d’affaiblir nos capacités de riposte. La seule façon de mener ce combat est de le faire sur le terrain démocratique lui-même, dans l’unité la plus large. Un enjeu des réactions et mobilisations – qui ont surpris le gouvernement – contre la loi sur le renseignement est la constitution d’un large mouvement national en défense de l’ensemble des libertés publiques, politiques et syndicales.
Jean-Philippe Divès
dans la revue L'Anticapitaliste n° 65 (mai 2015)