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/ « Même si le licenciement est prononcé, la bagarre continuera »
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Entretien. Le samedi 24 mars, notre camarade Gaël Quirante,
secrétaire départemental de Sud Poste dans les Hauts-de-Seine (92),
recevait un courrier recommandé lui signifiant que Muriel Pénicaud,
ministre du Travail, autorisait son licenciement. Nous revenons avec lui
sur l’acharnement dont la direction de La Poste fait preuve à son
égard, et sur la mobilisation contre ce cas exemplaire des pratiques de
répression antisyndicale.
Muriel Pénicaud vient
d’autoriser ton licenciement. Peux-tu nous rappeler les précédentes
étapes de la bataille qui t’oppose à la direction de La Poste ?
En
2010, La Poste avait tenté de me licencier en m’accusant de
séquestration alors que je participais à une occupation de la direction
départementale de La Poste dans le cadre d’une grève ; mon licenciement a
été refusé successivement par l’inspection du travail en 2010, par le
ministre du Travail Xavier Bertrand en 2011, puis par le tribunal
administratif en 2014.
Mais en avril dernier, coup de théâtre, la
cour d’appel du tribunal administratif de Versailles a annulé les trois
précédentes décisions et a ainsi relancé toute la procédure !
L’inspection du travail a de nouveau refusé mon licenciement. Plus même,
la contre-enquête avait conclu à une discrimination syndicale à mon
encontre. En 14 ans de boîte, c’est effectivement la 10e tentative de licenciement et j’ai presque un an de mises à pied cumulées !
Aujourd’hui
donc, je ne suis pas encore licencié. Pénicaud autorise le licenciement
mais c’est La Poste qui le notifiera... par lettre recommandée.
Ce
qu’on te reproche en fait, ce sont tes activités syndicales. Peux-tu
nous dire pour quoi (et contre quoi) vous vous battez à La Poste ?
La
Poste est depuis plus de vingt ans maintenant un laboratoire de
destruction d’un service public. Destruction à laquelle ont participé
tous les gouvernements successifs. La suppression des postes de
fonctionnaires via entre autres le non-remplacements des départs en
retraite a entraîné l’embauche massive de contractuels et
d’intérimaires. Parce que, quoi qu’en dise La Poste, des tâches, il y en
a et il faut bien assurer le tri et la distribution mais elle le fait
faire par des précaires...
Depuis plus de 10 ans dans le 92, nous
nous bagarrons contre les réorganisations qui suppriment des tournées et
alourdissent continuellement la charge de travail pour les collègues.
Mais nous avons aussi fait le choix d’une politique qui tend
systématiquement à étendre la grève au niveau départemental, à sortir
les bureaux mobilisés de l’isolement, à éviter la mise en concurrence
des centres, à reprendre la main aussi sur notre lieu de travail. C’est
tout l’enjeu des prises de parole quotidiennes pour montrer à la
direction qu’elle ne peut pas imposer sa loi à tout prix, qu’il n’y a
pas de restriction à l’exercice du droit syndical. De ce fait sur le
département, nous avons connu des grèves très longues, très dures, dans
lesquelles la boîte refusait carrément de se mettre autour d’une table
pour négocier parce qu’en face, elle avait un collectif militant,
déterminé, uni et solidaire, prêt à continuer chaque combat et pas à
courber le dos et se mettre à genoux. Et ce ne sont pas que des
réorganisations qui ont été repoussées. Une année, la grève est partie
d’un bureau car les collègues se sont mis en grève non pas pour défendre
leurs droits mais pour en faire gagner à d’autres en demandant la
titularisation des contractuels. C’était vraiment significatif de la
solidarité ouvrière que nous tentons de construire depuis des années et
de la compréhension de ce que nous représentons lorsque nous sommes
unis, au-delà de nos étiquettes syndicales, de nos postes de travail et
de nos services.
Que change la décision de Pénicaud ? Y’a-t-il encore des recours possibles ?
La
décision de la ministre donne l’autorisation à La Poste de licencier.
Pour le moment, La Poste n’a pas encore notifié sa décision, donc je
suis encore officiellement postier ! Le mouvement de grève qui s’est
déclenché le 26 mars dans les bureaux du 92 s’est justement donné comme
objectif d’obliger La Poste à ne pas prendre la décision du
licenciement... puisque techniquement c’est elle et non la ministre qui a
le pouvoir de procéder au licenciement. Donc le premier recours, c’est
celui-là : le rapport de forces ! Et même si le licenciement est
prononcé, la bagarre continuera mais pour la réintégration. Nous avons
l’expérience par le passé de grèves qui ont obtenu la réintégration de
salariés déjà licenciés.
Par ailleurs, nous étudions évidemment
les possibilités de recours juridiques mais, a priori, ces recours ne
suspendront pas le licenciement, et ils prendront des années...
Mais
quoi qu’il arrive, notre organisation syndicale a décidé de maintenir
mes mandats syndicaux même si la direction de La Poste me privait de mon
emploi. En clair : s’ils me licencient, dès le lendemain
j’interviendrai sur un bureau de poste ! Nous nous donnerons les moyens
de maintenir mon activité et notre activité syndicale sur les bureaux.
Il y a eu un rassemblement lundi 26 devant le ministère du Travail. Quelles sont les prochaines étapes de la mobilisation ?
Avant
le rassemblement de lundi soir, il y a eu tout un processus pour faire
monter la pression. En effet, alors que toute la procédure allait dans
le sens d’un refus de licencier, le fait que Pénicaud, ministre du
Travail, examine la possibilité d’un licenciement nécessitait que l’on
prenne très au sérieux la possibilité réelle qu’elle donne son feu vert à
la direction de La Poste (ce qu’elle a fait). C’est pourquoi nous avons
passé des semaines à tenter d’organiser la mobilisation la plus
unitaire possible avec un premier rassemblement le 6 février, déjà au
ministère puis l’élaboration d’une tribune signée par des personnalités
politiques, associatives, syndicales, de la culture et du monde du
spectacle. Ainsi, lorsqu’il s’est agi d’avoir une réaction immédiate à
la décision de la ministre, nous ne partions pas de rien mais d’un cadre
construit largement en amont.
500 personnes se sont retrouvées
lundi soir au ministère avec des délégations de postiers en grève venus
de Rennes, des représentants politiques comme Olivier Besancenot,
Jean-Luc Mélenchon ou en encore Jean-Pierre Mercier pour Lutte
ouvrière ; des représentants syndicaux, de Solidaires ou encore d’unions
départementales de la CGT, le DAL, Droit devant etc. Des rassemblements
se sont également tenus à Foix, Toulouse, Boulogne-sur-Mer, Rouen,
Mulhouse. Et des dizaines de motions ont été votés dont les dernières en
date émanent du congrès national du SNES et de celui de Sud Éducation.
Mais
au-delà des positionnements de soutien absolument indispensables, nous
pensons qu’il faut essayer d’ancrer la grève. Et lundi 26 mars,
200 postières et postiers se sont mis en grève dans le 92, malgré des
délais extrêmement courts : dans les centres comme à Boulogne, Colombes,
Courbevoie et aux guichets de Clamart et de Rueil mais aussi dans les
centres courrier de Levallois, Gennevilliers, Asnières, Malakoff,
Fontenay-aux-Roses ou encore Neuilly où une majorité de factrices et
facteurs se sont mis en grève.
Nous étions 150 au rassemblement
devant la direction de La Poste des Hauts-de-Seine et ensuite une
centaine s’est retrouvée en assemblée générale où la grève a été
reconduite. L’idée est bien sûr de mettre une pression maximale contre
mon licenciement mais aussi que cela soit un point d’appui aux bagarres à
mener contre les réorganisations, dans un contexte social bouillonnant à
l’issue du 22 mars et à l’approche du 3 avril et du départ possible de
la grève reconductible chez les cheminots notamment. Les jours qui
viennent vont être décisifs et on ne relâche pas le rythme. Mais quoi
qu’il arrive, je continuerai le combat dans la boîte et en dehors, ils
ne sont pas encore près de se débarrasser de moi et de casser le
collectif militant des postières et postiers du 92 !
Propos recueillis par la rédaction
Publié dans l'hebdo L'Anticapitaliste n° 423 (29/03/2018)