Ah qu’il était fiérot, Valls, le 22 mars, au soir des résultats du premier tour des départementales : « Les formations républicaines ont tenu leur place (…), le FN n’est pas la première force ce soir. (…) Quand on mobilise les Français ça marche ! » Juste après, il s’allumait même un cigare.
Quelle réussite en effet ! Au premier tour, l’abstention, en baisse, a dépassé tout de même 50 %. En Seine-Saint-Denis, elle était de 63 %, presque le score (65 %) de Hollande au deuxième tour de la présidentielle de 2012. Le PS a subi une nouvelle déroute, 20 % des voix, 28 % avec ses alliés « divers gauche ». Au second tour, la gauche a perdu 28 départements. Le FN est à 25 %, conforte partout son implantation, dépassant les 30 voire les 35 % dans plus d’une vingtaine de départements. Il n’en a certes gagné aucun mais les digues sautent, les grandes gueules racistes se décomplexent, le FN s’affiche tranquillement sur les marchés et devant les entreprises.
Il serait audacieux de projeter des cantonales où la participation est de 45 % sur une présidentielle, encore lointaine, où elle peut atteindre 80 %. Mais une chose est sûre en tout cas : le système politique risque de « turbuler » de plus en plus, à mesure que ce nouveau tripartisme électoral déborde les cadres du bipartisme que la 5ème République devait imposer pour toujours.
« Pas de Syriza à la française »
Plus Hollande et Valls se réfugient dans la magie du verbe, plus la réalité apparait cruelle : la baudruche de « l’union nationale » de l’après Charlie s’est déjà dégonflée. Le duo socialiste ne va pourtant rien changer. Alors, pour garder un espoir de garder quelques régions en décembre prochain, voire de gagner la présidentielle, ils s’accrochent aux vieilles recettes des pouvoirs socialistes aux abois : la peur du FN et le chantage à l’union. Qui passe aussi par un travail de désagrégation de la concurrence. Ainsi le secrétaire national du PS aux élections, Christophe Borgel, se frottait presque les mains dans une conférence de presse : « Il n’y pas d’alternative, pas de ‘’Syriza à la française’’ qui peut naître. On va donc pouvoir parler de rassemblement dans des conditions plus sereines… »
Pourtant le Front de gauche aurait plutôt bien résisté (de 6 à 9 % selon les façons de totaliser des « binômes » à géométrie variable) et le poids électoral d’EELV ne se réduit pas aux 2 % affichés par ses binômes « pur jus ». Mais il est vrai que personne ne flambe électoralement à la gauche du PS. Vrai aussi qu’une grande partie de la « gauche de la gauche» ne sait vraiment plus où elle habite. Montebourg « refait sa vie » comme vice-président… du groupe Habitat. Les frondeurs s’opposent loyalement. Le Front de gauche est écartelé entre volonté de durcir le ton contre le PS et angoisse de couper les liens électoraux qui garantissent les fauteuils municipaux, départementaux, régionaux… EE-LV est au bord de la scission, entre Duflot qui explore (prudemment) la possibilité d’un rapprochement avec le Front de gauche, Placé et de Rugy qui se verraient bien ministres de Hollande, et la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse qui a réussi l’exploit de faire meeting un jour avec Mélenchon, le lendemain avec Valls ! Comment les classes populaires, dont la colère mais aussi le désarroi sont profonds, pourraient-elles prendre au sérieux de tels « opposants » ?
Ce qui sépare Sarkozy de Marine Le Pen
A l’issue de ces élections, on voit déjà se dresser le théâtre de guignol des deux ans à venir, jusqu’à la présidentielle. Le soir du 22 mars, Sarkozy affirmait : « Il n’y aura aucun accord local ou national avec les dirigeants du FN. Dans les cantons dans lesquels nos candidats ne sont pas présents au second tour, l’UMP n’appellera pas à voter pour le FN, avec qui nous n’avons rien en commun, ni pour le PS, dont nous ne partageons pas les choix. » Mais : « Aux électeurs du FN, je dis que nous entendons leur exaspération. Mais ce parti, qui a le même programme que l’extrême gauche, qui s’est félicité de l’élection de l’extrême gauche en Grèce, n’apportera aucune solution aux Français ».
Ainsi ce « rien de commun » entre le FN et la droite… serait le discours anti-austérité, « d’extrême-gauche » (sic !), de Marine Le Pen ! Pas la dénonciation obsessionnelle d’un « communautarisme » arabe ou musulman, la rhétorique du temps des colonies (« je suis passé de l’idée d’intégration à celle d’assimilation », dixit Sarkozy), la chasse aux pauvres-qui-ruinent-la-France (« aucun bénéficiaire de minima sociaux ne doit être dispensé de travailler »). N’en doutons pas : sur le terrain, dans les mairies et les départements, FN et droite « républicaine » vont rivaliser d’imagination. Qu’inventeront-ils encore en matière de discriminations et de mesquineries vexatoires, après l’interdiction des paraboles aux balcons (le FN à Béziers) et le porc obligatoire à la cantine (l’UMP à Chalon)?
Or cette France du 29 mars, sur laquelle souffle la haine des pauvres et des étrangers, Valls et Hollande ne la combattent pas. Ils en sont largement responsables par leur politique.
Yann Cézard
dans la revue L'Anticapitaliste n° 64 (Avril 2015)