François Maspero : la culture de la révolution

Libraire, éditeur, écrivain et traducteur, François Maspero est décédé le 11 avril 2015 à l’âge de 83 ans. Son travail a marqué toute une génération de militants.

Celles et ceux dont la vie politique a commencé dans les années soixante et soixante-dix se souviennent de ce qu’ils lui doivent. Mais au hasard des bouquinistes, c'est encore sous la forme d'ouvrages de la Petite Collection Maspero que les plus jeunes peuvent parfois découvrir certains textes de Marx, Engels, Luxemburg, Trotsky, Guérin ou encore Fanon.

En guise de modeste hommage, nous diffusons ici François Maspero : les mots ont un sens, un moyen métrage réalisé par Chris Marker en 1970.


François Maspero ouvrit sa première librairie en 1955. Après son exclusion du PCF fin 1956, pour s’être opposé au soutien accordé par le parti à la politique colonialiste de Guy Mollet et à l’écrasement de l’insurrection de Budapest par les chars soviétiques, il s'engagea totalement dans le combat contre le colonialisme.

Tout au long de la guerre d’Algérie, sa librairie La joie de lire fut un lieu de rencontre et de débat pour les anticolonialistes et les internationalistes, et elle resta ensuite « le quartier général de tous les révoltés », comme le dit le communiqué du NPA.

C’est en 1959 que Maspero se lança dans l’édition. Il publia au total plus de 1350 ouvrages. Avec le recul, s'il regrettait la publication de certains textes et revendiquait un droit à l’erreur, il déclarait cependant : « Je pense ne pas m'en être trop mal tiré ». Son travail d'édition faisait en quelque sorte écho à l'ancienne Librairie du Travail, qui fut active de 1917 à 1939 et qui publia de nombreux écrits révolutionnaires, dont ceux de Trotsky et des communistes opposés à la contre-révolution stalinienne ; Maspero réédita d'ailleurs plusieurs ouvrages de la Librairie du Travail, parmi lesquels on peut citer Culture prolétarienne de Marcel Martinet, Histoire de la Commune de 1871 de P.-O. Lissagaray, L'An I de la Révolution russe de Victor Serge, L'accumulation du capital de Rosa Luxemburg, ou encore les Manifestes, thèses et résolutions des quatre premiers congrès de l'Internationale communiste. Ajoutons à cela qu'en 1977, les éditions Maspero firent paraître une monographie consacrée à leur cousine d'avant-guerre, dont la devise était « La vie enseigne, le livre précise ».

Plusieurs livres publiés « chez Maspé » furent interdits, comme Main basse sur le Cameroun de Mongo Beti (1972), qui pointait du doigt l’impérialisme français ; certains numéros de la revue Partisans, créée en 1961, furent saisis parce qu’ils dénonçaient les crimes de l'armée française en Algérie. L'activité de libraire et d’éditeur de Maspero dérangeait : elle était très utile aux militantes et militants d'extrême gauche. Pour prix de son engagement, il dut s'acquitter d'amendes ruineuses, subir les attaques répétées de l'extrême droite, et il fut même condamné à une peine de trois mois de prison ferme qu'il ne fit heureusement pas car, disait-il, « grâce à la mort de Pompidou, Giscard [avait] eu la bonne idée de déclarer une amnistie pour les petites peines ».

En 1970, Maspero rejoignit la Ligue Communiste, dont il resta membre pendant quelques années et pour laquelle il créa la collection « Livres rouges ».

Entre les condamnations à des amendes et les vols commis dans sa librairie par des militants maoïstes qui lui reprochaient d’être un « commerçant permanent de la révolution », Maspero fut confronté à des difficultés financières grandissantes, dès les années 1973-1974. Sa librairie dut fermer ses portes en 1975, et sa maison d’édition ne résista pas au reflux militant de la période : en 1982, il en céda ses parts à l'un de ses collaborateurs, et aux éditions Maspero succédèrent les éditions La Découverte.

Maspero se consacra ensuite à l’écriture ainsi qu’à la traduction. Il fut notamment l’auteur de L’honneur de Saint-Arnaud (1993), ouvrage sur les crimes de la colonisation de l'Algérie. Il écrivit au total un quinzaine de livres, principalement des romans, comme Le sourire du chat (1984), ouvrage en grande partie autobiographique sur les années 1944-1945 vues par un adolescent, et des récits de voyages comme Les passagers du Roissy-Express (1990), qui raconte un trajet dans le RER B entre les gares de Roissy et Saint-Rémy-lès-Chevreuse.

Gaël Klement

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